Après avoir plutôt filmé l’adolescence dans ses précédents courts-métrages, Léo Fontaine, jeune réalisateur originaire des Yvelines, raconte dans Qu’importe la distance, qui était sélectionné en compétition nationale au Festival de Clermont-Ferrand, le trajet d’une mère qui, pour la première fois, va voir son fils au parloir. Ce film, construit comme un road-movie nous tient en haleine jusqu’a la dernière image, point culminant d’une réalisation pleinement maîtrisée. Léo Fontaine raconte pour Format Court ses influences et sa façon de travailler.
Format Court : Tu as plutôt fait des films sur la jeunesse et l’adolescence avant Qu’importe la distance. Qu’est-ce qui a fait que dans celui-ci, tu as plutôt voulu filmer du point de vue d’une femme adulte, d’une mère ?
Léo Fontaine : J’essaye de partir de mon vécu. Dans les films sur l’adolescence, j’ai voulu raconter des parties de ma jeunesse et les questions que je me suis posé à cet âge-là. Il y avait presque une recherche d’étude sur cette partie de ma vie. Le long-métrage Jeunesse, mon amour que je viens de réaliser, ça a été un peu la finalité, ça parle de l’adolescence aussi. Qu’importe la distance, je l’ai fait après le long et il y a quelque chose qui me manque souvent, c’est d’avoir un discours social engagé. Je suis un fan de Ken Loach. Dans mes films d’adolescents, c’était plus des feel good movie, des trucs de potes. L’histoire de Qu’importe la distance, c’est plutôt une découverte. Je n’ai jamais été personnellement touché par la prison mais c’est un sujet que je trouve intéressant, que l’on fantasme beaucoup dans le cinéma. J’ai découvert une association qui s’occupe d’accompagner des mères de prisonniers au parloir et j’ai commencé à m’intéresser à ce sujet-là. Ça m’a travaillé et je me suis dit que pour ceux qui vivaient la prison de l’extérieur, les accompagnants, ça pouvait être étrange. Ce ne sont quasiment que des femmes, des mères et même si le scénario est tout simple, il y a quelque chose de fort qui se passe derrière et j’ai eu envie d’en parler. Je suis en recherche de ça parfois : trouver des idées fortes pour tenter d’avoir un poids dans la société. Mes films d’adolescents peuvent toucher mais ça ne va pas changer quoi que ce soit. Alors que ce film est le premier dans lequel je me suis engagé d’un point de vue social.
Le film se passe pour moitié dans les transports, qu’est-ce qui a motivé ce choix de réalisation d’en faire un personnage à part entière du film ?
L.F : En rencontrant ces mères ou ces familles de prisonniers, je me suis rendu compte qu’il y avait un sujet de société. Ce sont des personnes qui ont une vraie difficulté à aller voir leurs proches. Quand tu creuses, tu te rends compte qu’il y a des carcans psychologiques qui pèsent, parce qu’il peut y avoir de la honte, de la culpabilité d’avoir un proche enfermé. J’ai réalisé que pour ces personnes-là, le trajet était quelque chose de très important. Le parloir est un endroit où ces familles de prisonniers cachent ce qu’elles vivent pour être disponibles pour la personne qui est enfermée. Il y a des gens qui font trois heures de route, qui peuvent mettre de côté, voire perdre leur travail. Ça, on n’en parle pas. Les parloirs sont des temps très courts, quarante minutes, une heure. Parfois, la famille n’y a pas accès. Il suffit que le détenu ait fait une connerie et qu’il soit bloqué, le visiteur n’est pas au courant. Il y a plein d’éléments, comme ça, que je n’ai pas forcément traité, mais qui sont assez déroutants. Et aussi, ce n’est pas forcément le sujet du film, mais c’est plutôt un constat de la réalité, ce sont pour la plupart, selon les endroits, des personnes issues de l’immigration qui sont concernées. Il peut y avoir la barrière de la langue, la barrière de la compréhension de l’administration. Obtenir une date de parloir peut être une tannée. Et encore plus quand on ne comprend pas vraiment le système dans lequel on évolue. Certaines personnes ont besoin d’assistance et ne l’ont pas forcément. Je me suis dit que le sujet du film, c’était la trajectoire. Après, il y a eu, bien sûr, un traitement scénaristique : essayer de mettre un peu de tension là-dedans. Je me suis dit qu’il fallait que mon héroïne quitte son travail plus tôt (ce qui est une vraie mise en danger personnelle), affronte tous les problèmes de transport, le retard, les contrôleurs. Ce sont des choses qui peuvent arriver, que j’ai entendues et qu’on a aussi scénarisé pour rajouter de la dramaturgie.
Est-ce qu’en préparant le film, tu as regardé ou revu des films se passant dans les transports ?
L.F : Dans tous mes films, quasiment, je filme quelqu’un dans un véhicule en mouvement. Pour ce film, je n’ai pas le souvenir d’avoir vraiment regardé beaucoup de films de road trip, parce que je n’avais pas la sensation d’en faire un. J’ai revu Le Fils de Saul qui est un film très violent où il y a un parti pris de mise en scène d’être collé au personnage tout le temps et où tout se joue en off. Je cherchais avant tout à savoir comment filmer cette maman et comment faire comprendre ce qu’elle vit. C’est un trajet hors du commun. J’avais peur que l’on s’ennuie royalement dans les transports. L’idée, c’était de pouvoir faire des plans-séquences dans le bus et de rester le plus longtemps possible dedans. Il y a eu une recherche de mise en scène sur comment filmer cette femme. Par exemple, on n’a utilisé qu’un seul objectif pendant tout le film. On est en 4/3, c’est toujours la même image. On est tout le temps sur elle. Ça a été réfléchi bien en amont et accentué au montage. Il y avait vraiment cette volonté de créer le portrait de cette femme, peu importe les endroits où on était. Il n’y a pas vraiment eu d’influence de road trip. J’ai plutôt regardé des portraits. Je me suis refait des Andrea Arnold. Elle tire des portraits de femmes qui sont assez époustouflants.
En évoquant tes influences – tu parlais de Ken Loach tout à l’heure – qu’est-ce qui alimente ton cinéma ? Y compris au niveau des courts-métrages qui ont pu t’influencer ?
L.F : J’ai revu Marlon, par exemple de Jessica Palud, qui traite du même sujet, mais à travers le personnage de la fille, jouée par Flavie Delangle. J’ai revu des courts qui traitaient de la prison. J’ai revu Baltringue de Josza Anjembe. Je trouve que dans le court-métrage, finalement, il y a pas mal de films sur la prison. J’en ai revu quelques uns comme ça. Après, moi, je suis nourri par un peu de tout. Je suis un fou de Kurosawa et de Ken Loach. Je revois tous leurs films, tout le temps. Après, j’aime beaucoup le cinéma d’après-guerre italien : Pasolini, Rossellini. Le cinéma de Jim Jarmusch, de Harmony Corinne, de Larry Clark, m’inspire beaucoup. Et en France, la Nouvelle Vague, notamment Eric Rohmer que j’aime beaucoup. Il peut avoir cette façon de travailler en ne faisant qu’une seule prise, sans répétition, ce qui est un parti pris fort. J’adore trouver des partis pris et m’y tenir coûte que coûte. C’est hyper créatif. Je vais m’inspirer du cinéma sans argent aussi. Wong Kar-Wai, par exemple, je trouve ça dingue ce qu’il fait et quand je me renseigne, je réalise qu’il n’y a pas beaucoup d’argent pour certains de ses films. Quand je rencontre un cinéaste, j’aime bien tout regarder. Commencer par le début et voir l’évolution. J’ai fait ça avec Kurosawa et c’était assez impressionnant.
Qu’est-ce que t’apporte la forme du court-métrage ?
L.F : Je trouve ça très intéressant, parce que ça t’enferme, mais positivement, dans une façon de raconter où très vite, l’erreur est beaucoup plus directe que dans le long-métrage. On a moins de temps, donc on doit aller plus à l’essentiel. Ça appelle à la créativité. Ça oblige à faire des choix, toujours, tout le temps. Je pense que j’aurai toujours le besoin d’essayer d’en faire. Et puis, c’est aussi un endroit où, finalement, on n’a pas besoin de grand-chose. Les longs-métrages, on rentre tout de suite dans quelque chose de plus… business. Dans le court-métrage, il y a besoin d’avoir des gens à filmer, une caméra, et un peu de son. C’est comme ça que j’ai commencé. Pour mes premiers films, j’appelais mes potes et on y allait. On avait 2 000 euros et on se débrouillait, personne n’était payé mais tant pis. Le court-métrage m’a permis de fonctionner comme ça et je me suis épanoui là-dedans. C’est un endroit que je trouve très précieux, que je conserve, et que j’espère pouvoir continuer à explorer. En ce moment, j’ai besoin d’avoir plus de temps pour raconter donc forcément, je vais essayer d’aller vers le long. Je regarde beaucoup de courts, mais je ne fouille pas. J’attends de voir les sélections, par exemple des César, de Brest, de Clermont ou de Berlin. Je suis très intrigué de voir quels sont les films mis en avant. Ça me permet de renforcer aussi ma critique. Il y a des films avec lesquels je suis très dur, mais je garde ça pour moi. Le court-métrage me permet d’analyser beaucoup.
Tu reprends souvent les mêmes acteurs dans tes distributions ? Pourquoi ce choix ?
L.F : Quand je constitue mes castings, je travaille avec une responsable de distribution artistique qui s’appelle Anouk Abolnik qui m’aide énormément. Elle a un regard et elle me permet d’avoir du recul sur le travail. Avec elle, on va essayer de créer des rencontres avec les comédiens, beaucoup plus que des castings. C’est une façon différente de travailler. J’ai besoin de créer un lien de confiance fort avec les comédiens parce que je leur donne tout derrière. Tout est fait pour eux en tournage. Je reçois énormément aussi. Je suis dans la notion de famille avec les comédiens et les comédiennes. J’ai besoin de grandir avec eux, de partager la même vision du cinéma. Quand j’écris, je m’inspire de ceux que je connais. Je les appelle souvent. Le long-métrage que j’ai réalisé, c’est pareil, c’est avec des acteurs et des actrices qui sont très importants. C’est comme une lumière qui réconforte de les avoir sur le plateau. Héloïse Volle, qui est venue deux jours pour Qu’importe la distance, pour un rôle très spécial à défendre, sans dialogue, l’a fait avec un grand plaisir. Le fait de l’avoir là, ça me réconfortait et ça me rassurait. Celui qui joue le fils, Yves Batec-Mendy, c’est mon alter ego. Il m’a aidé à écrire ce film. Je l’ai rencontré pour mon film de fin d’études et maintenant il est sur tous mes films. Quand il n’est pas devant la caméra, il est derrière. Avec Sylvia Homawoo, la comédienne, il y a eu une vraie connexion. J’ai essayé de créer un lien fort pour qu’à un moment donné, elle n’ait presque plus besoin de moi. Pour faire la scène de fin où elle voit son fils, qui est quand même fondamentale, je ne l’ai presque pas dirigée. On a répété et on a tourné. J’ai confiance en ça. Parfois, je me dis que j’aurais dû refaire une prise, tirer un peu mais c’est ça, l’apprentissage.
C’est aussi valable avec tous les chefs de poste. Ce sont des gens que je compte comme récurrents dans mon travail, avec qui on est potes et que je vois en dehors du cercle du cinéma. Et ça, c’est un besoin avec mon chef-op, Olivier Ludot, ma scripte, Amandine Derdoukh, mon monteur qui a monté tous mes films. Plus on se connaît, plus c’est simple et plus d’un coup, on va dans la même direction. Il n’y a pas pire que d’être sur un plateau où il n’y a pas une bonne ambiance. Je préfère, même si on fait un film nul, qu’il y ait une bonne énergie sur le plateau. C’est aussi peut-être parce qu’à mes débuts, on a fait des films bénévoles et on n’avait rien à proposer de plus aux équipes qu’un bon moment et une belle expérience. On a gardé cette espèce de leitmotiv. On rappelle les gens avec qui on s’entend bien. C’est précieux. Ma scripte me connaît par cœur. Parfois, elle n’a même pas besoin de moi pour aller voir la chef déco ou même le comédien et lui dire de tenter telle ou telle chose. Elle sait très bien comment je fonctionne et ça, c’est précieux. C’est elle qui a choisi Sylvia, par exemple. On avait le choix entre trois comédiennes. J’hésitais et elle m’a dit : « C’est elle que tu vas choisir ». Elle me connait et elle a eu raison. Il y a donc cette volonté de garder les mêmes équipes pour pouvoir préserver cette confiance. Comme je suis quelqu’un de très arrêté dans mes choix, je suis un peu borné, c’est rassurant de pouvoir compter sur eux.
La musique interpelle beaucoup dans le film, il y en a peu mais elle est remarquable. Est-ce que tu peux nous expliquer comment tu as travaillé ?
L.F : Je suis très content qu’on le remarque parce que c’était un gros sujet pour nous, la musique. On s’est demandé si les gens allaient être touchés. Il y a deux morceaux composés par un compositeur qui s’appelle Côme Ordas et qui fait partie de mon équipe. On a fait mes courts Emma Forever, Les coeurs en chien, celui-ci et le long-métrage ensemble. C’est quelqu’un que j’appelle tout le temps. Il vit à Clermont. Je lui montre mon scénario et on cherche des idées ensemble. Il n’avait pas encore orchestré, il n’avait jamais enregistré de musiciens. On a essayé de voir avec les producteurs si on pouvait décrocher du budget pour la musique, que l’on a finalement pu avoir. Je lui ai proposé la flûte comme instrument parce que pour moi, ça renvoyait aux cours de musique au collège. C’est un rappel à l’enfance. Je me suis dit qu’il fallait absolument que la musique rappelle ce fils que l’on va découvrir à la fin. Avec Côme, on est parti sur la flûte pour cette espèce de musicalité de l’enfance. Il me connait très bien donc il a fait plein de tests. C’était hyper chouette. Il est très fort en propositions et il s’est éclaté. Il a tout composé et on est parti chercher un flûtiste, un italien, que l’on a fait venir et que l’on a enregistré à Clermont dans un studio qui s’appelle Tour du Sud. Je lui laisse très peu de place, il n’y a que deux morceaux mais il comprend et il s’épanouit beaucoup. Je trouve que la musique fait beaucoup de bien dans ce film. J’ai hâte de savoir ce que les spectateurs vont en penser. Avec ce film, on attrape ton cerveau pendant 15 minutes, ça peut donner la nausée à des gens parce que ça bouge beaucoup et la musique est posée. A la fin, c’est l’envolée pour laisser place à l’émotion. Côme vient de la musique digitale. Il adore mêler l’orchestration avec des choses très modernes. On est allé chercher vraiment des notes assez modernes, dans les accords, dans les arrangements.
Tu as évoqué un long que tu as déjà tourné. Est-ce que tu peux nous en parler ? Est-ce que tu as d’autres projets ?
L. F. : J’ai tourné ce long-métrage, il y a deux ans, pendant l’été 2022. Il s’appelle Jeunesse, mon amour. Il dure 70 minutes et sort en salle, sauf gros retournement de situation le 3 avril prochain. C’est l’histoire d’un groupe d’amis de 25-30 ans qui étaient très proches au lycée, qui se sont perdus de vue et qui se retrouvent maintenant à cet âge-là parce que l’un des membres du groupe vend la maison d’enfance de ses parents. C’est dans cette maison que toutes leurs histoires ont eu lieu. C’est vraiment un film qui traite de ce que c’est que de perdre ses amis à partir de 25 ans. C’est triste de se rendre compte que ces personnes-là ne vont plus exister dans notre vie. En même temps, c’est beau de savoir qu’on a tous ces souvenirs et que ça nous a forgé. Le film traite de ce groupe qui se rappelle de tout ça, qui fait un état des lieux. Ça parle d’amour, d’amitié de nostalgie. Il y a 7 comédiens et comédiennes fabuleux. Je suis très heureux qu’il puisse sortir enfin en salle.
En novembre prochain probablement, je partirai tourner un court-métrage en Martinique qui s’appelle Dédé King. C’est un film que j’écris depuis 4-5 ans. Je voulais tourner en Bretagne et faire un film sur mon père. En fait, je me retrouve en Martinique à faire un film dans un endroit où je n’ai jamais mis les pieds avant. C’est la réalité du parcours de financement, on va chercher des aides. Pour l’instant, les guichets tombent, s’ouvrent petit à petit mais on a pas encore assez d’argent pour le faire. J’ai bon espoir, ça peut être un joli court métrage sur le foot qui est ma première passion. A part ça, j’écris un prochain long-métrage que je veux vraiment défendre comme un deuxième long. J’essaie de trouver des résidences pour le faire. J’ai réalisé un premier film très vite, maintenant, j’ai envie de prendre plus de temps, de profiter de la sortie du long, de Qu’importe la distance, de tout ce travail-là pour essayer d’avoir les meilleurs collaborateurs possibles pour exister dans le cinéma.
Propos recueillis par Damien Carlet