Le Festival de Clermont-Ferrand a débuté le 2 février. La plus importante manifestation cinématographique mondiale consacrée au court-métrage comme aime à le rappeler les organisateurs, propose une 46ème compétition nationale, autant que le nombre d’éditions au compteur. Celle-ci recense 45 films, mêlant animation, expérimental, fiction et documentaire, qui concourront pour se partager 6 prix.
La sélection fait la part belle à diverses formes de récit. Avec une réelle diversité de genres et d’esthétiques, la sélection nationale réserve de belles projections aux spectateurs du festival. Parmi nos coups de coeur, Montréal en deux de la réalisatrice Angélique Daniel, qui filme Montréal, ses rues, ses marchés, ses quartiers. Pas d’acteurs à l’image, simplement des gens qui marchent, patinent, jouent de la musique, se promènent, font leur courses, superposant sur ces images un dialogue au téléphone entre un homme et une femme, que l’on comprend avoir été en couple, discutant de comment se partager la ville après leur séparation pour qu’ils ne se croisent pas. La discussion évoque les souvenirs d’une relation, les endroits où ils ont pu vivre des moments ensemble. Il y est question de mémoire, de mystère, de souvenirs, de secrets, de centres d’intérêt propres à l’un ou à l’autre.
La forme proposée dans ce film est vraiment originale. Le mélange entre fiction et réalité prend ici tout son épanouissement car comme dans un documentaire, nous voyons des images réelles du quotidien des Montréalais tandis que le dialogue entre l’homme et la femme nous rappelle que nous sommes bien dans une fiction. Les images comme des cartes postales de la ville nous font voyager à travers l’histoire de ce couple, nous éclairant sur leur vécu, leur histoire. La discussion téléphonique devient l’occasion de se rappeler, de se remémorer.
Il est souvent question de départ et de retour dans cette sélection. Comme dans Rentrons de Nasser Bessalah où le réalisateur raconte l’histoire de deux jeunes adultes qui, chacun pour des raisons propres, échafaudent un plan pour quitter l’Algérie et sa Kabylie, et rejoindre la France. L’un, joué par Zine-Eddine Benyache pour aller voir sa mère en train de mourir et l’autre, interprété par Melha Bedia, pour quitter un père autoritaire. Le film va raconter leur errance, leurs déconvenues et leur relation. Peut-être que ces pérégrinations leur permettront de mieux se comprendre et se connaitre.
Ce thème du retour est aussi le point de départ du film de Yohann Kouam, Après l’aurore. Le film débute, dans un train provenant de Berlin et arrivant en France, par la conversation téléphonique d’un homme avec sa copine restée dans la capitale allemande. S’ensuivent les retrouvailles avec ses soeurs, sa mère et ses amis restés au quartier qui le questionnent sur sa vie en Allemagne, ses amours et son manque, voire son absence de nouvelles qu’il aurait pu donner. Il apprend que le père d’un de ses amis est mort. Il s’aperçoit alors que la distance et le manque participent à l’éloignement des proches. Le film tourné en pellicule raconte le parcours de deux autres personnages vivant dans le même quartier mais qui ne se connaissent pas. Un jeune garçon, Hamza, est poussé par son groupe d’amis de retrouver, dans le but de se venger, celui qui l’a sérieusement amoché dans une bagarre. On suit également la tranche de vie d’une entraîneuse de basket qui aurait pu faire carrière mais qui, arrêtée dans son envol par une blessure, s’occupe de jeunes qu’elle entraine et cherche à faire des rencontres via des applications dédiées. Chacun dans sa trajectoire est lié par l’endroit où il vit et surtout par le fait que pour tous les trois, le soleil se lèvera le lendemain. Ce moment, point culminant et magnifique final du film, nous rappelle que quoi qu’il se passe, la terre continue de tourner pour tout le monde. Le réalisateur, très influencé par la photographie, nous plonge dans une esthétique soignée pour tracer le parcours de ces trois personnages. Le grain de la pellicule et le travail de la lumière font magnifiquement exister ce quartier où les destins et les parcours de vie se croisent, s’emmêlent et se démêlent.
Un cinéma plus « social » prend sa place également dans la sélection, comme dans le remarquable Avec l’humanité qui convient de Kacper Checinski. L’action se passe dans un Pôle Emploi, qui est confronté à la menace d’une chômeuse désespérée planifiant de venir se suicider à l’agence. Le film, porté de bout en bout par une poignante et touchante Joséphine De Meaux, nous rappelle que le cinéma est aussi le refuge pour aborder les parts plus sombres de notre société.
Cette atmosphère pesante, on la retrouve aussi dans Qu’importe la distance de Léo Fontaine. Le film très maîtrisé du jeune réalisateur, nous montre, comme une fable, le parcours d’une mère allant voir son fils au parloir pour la première fois. Le parcours, semé d’embuches de cette femme, nous fait voyager à travers les nombreuses péripéties qui entravent le chemin des familles devant aller rencontrer leur proches en prison.
Magnifiquement interprétée par Sylvia Homawoo, l’actrice est présente dans presque tous les plans du court-métrage, filmée en gros plan par une caméra qui ne la quitte pas. Le spectateur se trouve au plus proche de ses émotions et de ce qu’elle vit lors de son périple. Le film, extrêmement bien documenté, est le fruit d’une enquête du réalisateur, notamment auprès d’associations s’occupant d’épauler et guider des familles de détenus. Le cinéaste, déjà auteur de 4 court-métrages, nous fait vivre ce parcours par une mise en scène et un sens du montage qui nous tient en haleine jusqu’à la dernière scène. La musique, composée pour l’occasion par Côme Ordas, arrive comme un contrepoint poétique, faisant de ce voyage un conte initiatique.
Interviews associés : Angélique Daniel, Yohann Kouam, Léo Fontaine (à venir)