Angélique Daniel est réalisatrice. Cette année, elle présente son premier court-métrage Montréal en deux en compétition nationale (F6) au Festival de Clermont-Ferrand. Ce film raconte, par un procédé original, le partage des différents quartiers de la ville de Montréal, par un couple venant de séparer. Également productrice au sein de sa société Naïka Films, la réalisatrice originaire du Sud-Ouest et ayant vécu une demi-décénnie à Montréal, nous raconte ses choix, ses intentions, ainsi que ses désirs de cinéma.
Format Court : Comment vous est venue l’idée de Montréal en deux ?
Angélique Daniel : Il y a quelques années, après avoir travaillé au sein de différentes sociétés produisant des films de longs-métrages, j’ai eu le désir de fonder ma propre structure et de me consacrer au développement de projets de courts-métrages. À cette période, j’avais deux projets en cours d’écriture et j’échangeais régulièrement avec des amis, auteurs québécois, à qui j’avais demandé de m’envoyer des textes.
Maxime Robin (auteur, metteur en scène, réalisateur et comédien québécois) m’a envoyé Québec en deux. Il s’agissait d’une courte forme écrite pour le théâtre, six pages de dialogue sans une indication, seulement deux personnages, « UN GARÇON » et « UNE FILLE », et sur la page de garde une question : « Qu’est-ce qu’on se dit quand c’est fini ? ».
Je ne connais pas vraiment la ville de Québec, et j’ai immédiatement projeté cette bal(l)ade à Montréal, là où Maxime et moi nous sommes rencontrés. Je lui ai demandé s’il accepterait que nous adaptions le dialogue, que nous le transposions ailleurs pour en faire un court-métrage. Il a été tout de suite enthousiaste.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter cette histoire de cette façon ?
A.D. : Ce qui m’a intéressée, c’est l’idée d’aborder une histoire d’amour par son envers, c’est-à-dire la rupture et tout ce qui s’y joue : le rejet, la nostalgie, la jalousie, les rancœurs, les souvenirs, l’espoir… Mais si le dialogue entre ce couple défait reflète une expérience commune, il a la particularité de s’attacher à une composante essentielle : la mémoire, et même plus particulièrement la mémoire des lieux. L’intuition de Maxime au moment de l’écriture de Québec en deux était que les lieux que l’on fréquente dans nos parcours amoureux, entre autres, portent les traces invisibles des expériences que l’on y a vécues. L’adapter supposait donc de chercher comment renouer, grâce au cinéma, avec cette charge émotive que nous leur conférons. Se demander comment chacun de nous, à sa façon, « traverse » ces lieux, les habite, et observer comment on se les approprie. C’est la raison pour laquelle, très tôt, l’idée de travailler à partir d’images documentaires de Montréal aux quatre saisons s’est imposée. Pas besoin de comédiens à l’image, pas de mise en scène. Faire le pari d’une fiction qui se déploierait au moment du montage à travers les voix, les images de la ville et ses saisons. Cette approche m’offrait une grande liberté, à toutes les étapes de la fabrication de ce film. La ville devenait ainsi un inépuisable terrain de jeu, traversé par mille et une histoires venant nourrir la fiction de ce couple qui n’en est plus un, que l’on ne voit jamais, mais que l’on projette partout.
Comment s’est passée la connexion avec les acteurs-rices qui sont les voix téléphoniques du film, notamment Tiphaine Raffier, également réalisatrice de courts-métrages ?
A.D. : La rencontre avec Tiphaine s’est faite tardivement, presque accidentellement. Cela faisait un moment que je travaillais sur le montage du film et je patinais complètement. Emilie (mon associée au sein de Naïka Films) a insisté pour que je rencontre Tiphaine et lorsqu’elle s’est prêtée à une première lecture avec Toby Andris Cayouette, j’ai eu l’impression de redécouvrir le dialogue, de l’entendre pour la première fois. Tiphaine est une personne brillante, d’une grande finesse et d’une grande générosité. Nous nous sommes donné rendez-vous au studio quelques jours plus tard et avons enregistré le dialogue en un soir, dans une atmosphère joyeuse. Concernant Toby, je l’ai rencontré à Paris à l’occasion de ce projet. À l’instar de Tiphaine, Toby a plusieurs casquettes : c’est un musicien, un compositeur, et il a également réalisé plusieurs courts-métrages dont trois en Géorgie ces dernières années. Il est très talentueux. J’ai eu beaucoup de chance de travailler avec eux, qu’ils me prêtent leur voix pour incarner ce « GARÇON » et cette « FILLE ».
Vous filmez Montréal, ses quartiers, ses habitants, qu’est-ce qui pour vous fait de cette ville, une ville de cinéma ?
A.D. : J’ai vécu à Montréal pendant presque cinq ans et il est évident que je n’aurais pas pu faire ce film sans cette expérience-là. Dans mon esprit, et encore aujourd’hui dans mon imaginaire, Montréal est lié au cinéma, à mon rapport au cinéma dans le sens où c’est là que j’y ai fait mes études. Mon parcours au sein de l’Université de Montréal m’a permis de croiser des professeurs, des chargés de cours, des étudiants qui tous ont nourri mon désir de cinéma. Quand je remets les pieds à Montréal, c’est avec tout cela que je renoue et je suis heureuse que mon premier court-métrage puisse être accueilli comme un hommage à cette ville. Il y a aussi une réalité : Montréal nous offre à chaque saison un visage différent, les lieux se transforment, et pour une personne qui a grandi dans une ville du Sud-Ouest de la France, il y a une véritable fascination, une curiosité intarissable à l’égard de ces mouvements et un réel plaisir à les observer.
Avez-vous eu des influences particulières, notamment cinématographiques, pour faire ce film ?
A.D. : Je me souviens qu’avant de partir pour la première session de tournage, me revenait souvent en tête L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais ou du moins, les souvenirs un peu épars que j’en avais… Il m’est arrivé de repenser parfois à La Jetée de Chris Marker. Entre deux sessions de tournage, je regardais Les amoureux de Montréal de Jacques Giraldeau, un long-métrage documentaire de 1992.
Je ne sais pas si on peut parler d’influences, mais ce sont des films qui m’ont accompagnée. Appréhender les différentes sessions de tournage de Montréal en deux n’a pu se faire sans penser au cinéma direct de la fin des années 50 – début des années 60 au Québec et à des cinéastes comme Claude Jutra, Gilles Groulx ou encore Michel Brault. Les livres ont été importants également : la lecture de Beaux Rivages et les mots de Nina Bouraoui m’ont souvent portée. Ils ont été si importants qu’ils ouvrent ce film d’ailleurs. Là où Beaux Rivages offre « la radiographie d’une séparation », Montréal en deux a vraiment été pensé comme la tentative d’une « cartographie sensible » de la ville.
C’est votre premier film en tant que productrice avec votre société Naïka Films, comment vous sentez-vous avec cette casquette de productrice ? Est-ce que vous envisagez de développer d’autres projets ?
A.D. : Assumer la production d’un film, qu’il soit de long ou de court-métrage, est une expérience à la fois exaltante et d’une grande exigence. Si le désir de poursuivre sur la voie de la réalisation est présent, celui de la production ne l’est pas moins. En revanche, je ne crois pas que je réitèrerai celle de la double casquette, ou en tout cas pas comme seule productrice. La relation réalisateur.trice / producteur.trice est bien trop précieuse, et je suis très attachée à la rencontre, qu’il s’agisse de celle avec un auteur ou avec un sujet. La perspective d’accompagner des auteurs dans leurs projets de film et de m’y immerger me plaît. C’est d’une certaine façon ce que je fais aujourd’hui, ce qui occupe la grande partie de mon temps. Au-delà de la dichotomie « réalisation » / « production » je crois que ce qui me passionne, c’est la pratique du cinéma du point de vue de sa fabrication, de ce qu’elle met en jeu.
Quels sont vos autres projets en écriture, tournage ou développement ?
A.D. : Actuellement, je travaille à la mise en production d’un projet de premier long-métrage auquel je me consacre à travers une autre structure que la mienne, et pour laquelle je me consacre depuis quelques années. C’est un projet qui me tient beaucoup à cœur. J’ai également un projet, personnel cette fois, qui me fait renouer avec l’écriture et dont j’ignore encore la forme qu’il peut prendre. Mais réinvestir le champ de l’écriture m’apporte beaucoup, j’y trouve une forme d’équilibre.
Comment appréhendez-vous la forme du court-métrage ? Est-ce que vous en regardez ?
A.D. : Le court-métrage m’a toujours inspiré l’image d’un « laboratoire », un lieu d’expérimentation en quelque sorte où l’on éprouve ses premières envies, ses premières idées, où l’on s’y confronte. Il m’inspire aussi un sentiment de grande liberté, en partie attachée à son économie qui peut s’avérer très précaire et qui pousse à être toujours plus créatif, plus imaginatif, et qui nous encourage sans cesse à recomposer.
Il y a quelques années je regardais pas mal de courts-métrages et je me rendais régulièrement dans les festivals. J’aime voir des courts en salle. J’ai un goût tout particulier pour les courts-métrages d’animation (et pour l’animation en générale), ainsi que pour les courts expérimentaux qui questionnent autant qu’ils racontent. Le court demeure un lieu de création et de réflexion essentiel pour le cinéma.
Quel est votre sentiment d’être en sélection nationale au Festival de Clermont-Ferrand ?
A.D. : J’éprouve une grande joie et j’aurais adoré partager cette aventure avec les personnes qui ont collaboré à la fabrication de ce film. Je pense immédiatement à Sandy Pujol Latour, la monteuse image, qui prépare actuellement son premier court-métrage en Corse en tant que réalisatrice. C’est un crève-cœur de ne pas partager ce moment avec elle qui, en plus d’être une collaboratrice hors pair, est aussi une amie de longue date.
C’est la même chose avec Cédric Martinez, le chef opérateur, qui est en ce moment en Norvège et que je connais depuis bientôt 25 ans…
Ce projet de court-métrage m’aura offert de rencontrer Patrick Avakian (H1000), un promeneur écoutant pour reprendre l’expression de Michel Chion. Patrick est un amoureux des montagnes et propose depuis des années des randonnées sonores. Déambuler à ses côtés au sein de la ville (qui est tout sauf son environnement naturel !) a été une expérience enrichissante, et il faut absolument aller découvrir ses balades radiophoniques. La collaboration avec Thomas Huguet (monteur son, mixeur, en charge de la création sonore) m’a également beaucoup apporté et m’a permis d’explorer de nombreuses pistes quant à l’appréhension du son. Enfin, les deux comédiens ne pourront pas davantage se joindre à moi et c’est un vrai regret (Toby Andris Cayouette achève actuellement son prochain court-métrage à Tbilissi). Néanmoins, j’ai la chance de partager les premiers jours du festival avec Maxime qui fait le déplacement de Québec pour accompagner les premières projections publiques de Montréal en deux.
J’ai le sentiment d’une page qui se tourne et d’une bulle dont je m’extrais avec nostalgie. Mais au-delà de ce qui concerne la sélection de Montréal en deux en compétition nationale, Clermont-Ferrand, c’est surtout la possibilité de voir des centaines de courts venus d’horizons si divers, d’être confrontée à une multitude de regards et d’avoir la chance de rencontrer et d’échanger avec ces « regards ».
Propos recueillis par Damien Carlet
Article associé : notre reportage sur la compétition nationale du 46ème Festival de Clermont-Ferrand