Du 21 septembre au 1er octobre 2023 s’est déroulé à Rennes la 19ème édition de Court Métrange, un festival qui se targue de ne pas se conformer aux films traditionnels, mais qui met en valeur des films de genre, des expérimentations et, dans le meilleur sens du terme, de l’étrangeté. Dans une programmation osée où 9 prix ont été décernés, Format Court a choisi quelques coups de cœur à partager avec ses lecteurs.
Un genre de testament (France), qui a fait ses débuts à la Berlinale 2023 et qui est en lice pour le César 2024 du meilleur court-métrage d’animation, est le premier film de l’animateur Stephen Vuillemin. Nous suivons l’histoire d’une femme qui découvre un site web sous son nom avec plusieurs animations très complexes basées sur ses photos Facebook. Le réalisateur utilise une palette de couleurs, signature à la fois vibrantes et morbides, pour créer un univers visuel psychédélique et opulent qui plonge le spectateur dans ce voyage absurde.
Plus qu’une enquête sur les raisons pour lesquelles ces animations ont été mises en ligne, le court métrage explore la mystérieuse relation en miroir de ses personnages. Le film rassemble plusieurs couches à mesure que les animations du site Web commencent à se mélanger avec l’histoire de la femme dont elles sont inspirées.
L’utilisation des médias sociaux et de la technologie constitue un aspect important de l’esthétique et de l’histoire du film, qui incorpore plusieurs dispositifs dans les images et la narration. Des dispositifs qui ont été essentiels pour la création de ce projet. Le film en soi est intrinsèquement lié à une époque numérique et au métier d’animateur lui-même.
Dans La Pursé (Brésil), réalisé par Gabriel Nóbrega et Lucas René, une vieille dame qui refuse de nourrir son chat qu’elle croit être déjà trop gros, est courtisée en permanence par son voisin, qui lui propose d’étranges cadeaux. Le film se déroule dans une banlieue d’une calme inquiétante, avec des grandes maisons qui semblent hantées et où personne ne se balade dans la rue. L’image est désaturée, contribuant à une sensation morbide, en accord avec la profession (ou peut-être même le hobby) du voisin.
La réussite de ce film se trouve dans son positionnement entre l’horreur et le film pour enfants par des éléments différents. L’usage de plans diagonaux à la Hitchcock et le décor inquiétant, composé de maisons spacieuses avec peu de meubles et un faible éclairage, contrastent avec les personnages qui semblent sortis d’un dessin animé pour enfants. Ces grosses têtes sur des petits corps seraient assez amusantes à regarder si on oubliait dans quelle bizarre et même tragique situation ils se trouvaient.
Alors que les biopic hollywoodiennes deviennent chaque jour plus nombreux, Erik van Schaaik les utilise pour créer une drôle satire du star system américain. The Smile (Pays-Bas), qui était aussi présent dans la sélection officielle d’Annecy 2023, raconte la trajectoire de l’une des plus grandes stars du cinéma de son époque, une idole qui a conquis le cœur du pays avec son sourire : Knud Dendermonde. Le seul détail à retenir est que Knud est un crocodile.
Se plongeant dans l’E! Entertainment, The Smile représente l’étrange relation qu’entretient Hollywood avec son star system. Quand Knud est accusé d’avoir dévoré ses co-stars, certains des ses ex-collègues refusent de voir son lien avec les crimes, tandis que d’autres, même croyant à sa culpabilité, sont toujours charmés par son glamour. Utilisant des artifices comme les entretiens et les images d’archives, Van Schaaik réussit à explorer un genre qui se prend trop au sérieux, parfois au prix du ridicule, et à l’exagérer pour en extraire une critique comique et absurde.
Dans Les dents du bonheur (France, Belgique), de Joséphine Darcy Hopkins, Madeleine, 8 ans, accompagne sa maman esthéticienne lors d’un rendez-vous de travail. Elle passe son temps à jouer avec les filles des clientes de sa mère à un étrange jeu de société : le jeu de la reine, dont « le but, c’est de devenir la reine. » L’annonce du concept de jeu est déjà une constatation du véritable sujet du film : le rapport des classes. Alors que les filles riches incarnent le stéréotype des familles bourgeoises, servies par des employés qui leur parlent en anglais, Madeleine est victime d’une violence qui devient de moins en moins subtile.
La réalisatrice concrétise devant nos yeux ce problème social. Elle le traduit dans les règles du jeu, dans les costumes et dans les espaces. Quand Madeleine est emmenée dans la salle de jeux, on imagine une belle ludothèque colorée avec plein de jouets. Le spectateur est vite frappé à la découverte d’un énorme salon vide avec seulement une petite table entourée par les antipathiques Eugenie, Clemence et Emeraude. Cet usage des grands espaces vides, au style The Shining, crée une ambiance hostile qui produit la tension du film.
Darcy Hopkins donne de la complexité aux personnages d’enfant, leur accordant des moments de gentillesse, candeur, compétitivité, et même méchanceté. Les dents du bonheur est un film d’horreur qui réussit à créer des personnages captivants de bout en bout.
Abordant différents genres comme l’horreur, le suspense et la comédie, à travers des esthétiques uniques, le festival Court Métrange présente un concept assez rare en France : explorer des films inhabituels, des œuvres où les auteurs peuvent expérimenter et se plonger dans la création d’un nouvel univers mais aussi dans la distorsion du nôtre.