Le premier long-métrage de Valentina Maurel, Tengo Sueños Eléctricos, sort en salles le 8 mars avec Geko Distribution. Un film qui nous plonge dans les errances adolescentes de la jeune Eva et qui fut repéré en 2022 à Locarno, où il a décroché les Prix de la Meilleure Réalisation, de la Meilleure actrice (Daniela Marín Navarro) et du Meilleur Acteur (Reinaldo Amien Gutiérrez).
Eva a seize ans et des parents en plein divorce. Sa mère profite de l’héritage d’une vieille tante pour reconstruire sa vie autour d’un nouvel appartement, tandis que son père, éternel adolescent, squatte chez un ami en attendant mieux, ce qui ne vient jamais. Eva, bien entendu, préfère passer du temps avec ce « copain » pas si vieillissant qu’avec une mère aimante, mais ferme.
À partir de ce fil conducteur à première vue ordinaire, la caméra de Valentina Maurel nous entraîne avec conviction et précision dans les émois adolescents de cette Eva. Attentive au détail et à la vérité de son image, la cinéaste la filme au plus près, en plans très rapprochés. Le jeu sobre, sans pathos ni lyrisme inutile, de Daniela Marín Navarro qui incarne la jeune fille, permet aux spectateurs et spectatrices de se fondre en Eva. Les changements d’émotions de l’adolescence – colère, tristesse – sont joués avec simplicité, comme s’ils ne faisaient que glisser sur la jeune fille.
Car Eva, c’est avant tout une jeune fille qui, si elle est capable de révolte contre sa mère qui la surveille d’un peu trop près ou contre son père qui se débarrasse de son chat, semble avant tout suivre le cours de sa vie sans trop d’états d’âme. Ce jeu en mode mineur s’accorde à merveille avec l’esthétique globale du film, où la lumière laisse peu de place à l’éclat ou à la romantisation de cet âge difficile. La justesse, notamment, avec laquelle Valentina Maurel rend à l’écran la masturbation adolescente est à saluer : aucun romanesque dans cette recherche de satisfaction, aucun voyeurisme dans la façon de la filmer, un simple constat, sans commentaire. Cette attention simple à la réalité triviale et concrète de la sexualité féminine et adolescente fait de Tengo Sueños Eléctricos un excellent exemple de female gaze.
Ce choix est d’autant plus important qu’Eva connaît, dans le film, sa première fois avec un ami de son père. La tentation eût été forte, dès lors, de filmer cet événement comme un rite de passage, comme une histoire sordide ou un amour caché. Il n’en est rien : Eva accepte le rapport comme elle fait toute chose, avec une grande économie de mots et d’émotions apparentes.
La sobriété de l’actrice comme de la caméra ne s’accompagne nullement de froideur ou d’ennui. Bien au contraire, elle permet aux détails du quotidien, qui font la réalité d’un sentiment ou d’un acte, de s’incarner véritablement. Dès lors, l’identification au personnage, qui s’ancre dans cette trivialité, devient plus aisée.
Le female gaze ne se loge pas que dans ce refus de romantisation. Il définit l’intégralité du personnage d’Eva, déterminée face à ses premières injustices. Cette héroïne de tous les jours permet d’aborder, sans jamais sombrer dans le pathos ou dans le film à thèse, des questions d’actualité comme l’inceste, les rapports hommes-femmes ou la violence intra-familiale.
Ces thèmes et cette esthétique étaient déjà à l’œuvre dans les deux courts-métrages de Valentina Maurel, Paul est là (2016) et Lucia en el limbo (2018).
Le premier est son film de fin d’études de l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et des techniques de diffusion de la Fédération Wallonie-Bruxelles). Il s’intéresse également aux relations entre père et fille et à leurs potentielles dérives incestuelles à partir de la figure de Paul (Bart Cambier), qui débarque sans crier gare dans la vie de sa fille. ≠ court d’argent, il n’a d’autre choix que de se tourner vers son enfant qu’il avait perdue de vue. Comme dans Tengo Sueños Eléctricos, les relations entre parent et enfant sont par instants inversées, avec ce père à la dérive qui n’a d’autre bouée que sa progéniture. Les dialogues sont rares mais justes et le visage de Sarah Lefevre, qui joue la fille, s’impose également avec évidence. Remarqué à l’époque, Paul est là a reçu en 2017 le Premier Prix de la Cinéfondation au Festival de Cannes.
La filiation entre Tengo Sueños Eléctricos et Lucia en el limbo est plus évidente encore. Dans les deux films, nous suivons une jeune fille qui cherche à grandir hors des injonctions des adultes. Une difficulté se présente toutefois à la protagoniste de Lucia en el limbo, sélectionné à la Semaine de la Critique en 2019 : en dépit de ses seize ans, son cuir chevelu grouille de poux. Comment entrer dans le monde adulte quand sa tête est recouverte de parasites infantiles ? C’est là le problème, pas si anecdotique que cela, auquel est confrontée Lucia, tiraillée entre une mère qui cherche sans succès des remèdes aux poux et des amies qui lui enjoignent de coucher enfin avec un garçon pour entrer dans le monde des grandes. Comme dans Tengo Sueños Eléctricos, la jeune fille semble au premier abord traverser les événements avant, sans conflit aucun, de mener sa barque comme elle l’entend. Ana Camila l’incarne avec précision, tandis que Reinaldo Amien Gutiérrez, qui joue le père d’Eva dans Tengo Sueños Eléctricos, joue un voyeur de passage.
Il ressort de ces trois films une réalisatrice qui offre un regard singulier sur l’adolescence, dénué de poncifs et de pathos. Son absence de romantisation, sa précision et son sens du détail mènent à des films forts que l’on suit avec attention.