En novembre dernier, a eu lieu la 37ème édition du festival du court-métrage de Brest. Originellement créé en 1987 par Olivier Bourbeillon et soutenu par l’association Côte Ouest, ce festival permet aux professionnels, aux scolaires et au grand public de découvrir des courts-métrages français et européens, avec une mention spéciale pour la région Bretagne.
Cette année, les habitués et les nouveaux venus se sont retrouvés dans une ambiance conviviale (et sacrément festive) pour partager et faire découvrir des courts débutants ou confirmés. Le festival a aussi été l’occasion de rattraper des manquements dûs au confinement de 2020, en décernant notamment les prix en mains propres à certains qui n’avaient pu être présents cette année-là.
Dans ce focus sur le Festival de Brest, figureront des critiques et des films en ligne à voir sans conditions pour célébrer la forme courte.
Warsha de Dania Bdeir
Warsha, troisième court-métrage de Dania Bdeir, a remporté le Grand Prix du Festival de Brest. Le film avait déjà remporté le prix du meilleur court-métrage au Festival de Sundance, ce qui lui ouvrait les portes des Oscars. Un aboutissement qui vient consacrer un travail de longue haleine puisque le projet avait été lancé en 2017 pour être achevé finalement en 2021.
La réalisatrice libanaise, puise dans la richesse culturelle de son pays pour nourrir son histoire comme elle l’avait déjà fait pour ses deux précédents projets Kaléidoscope et In White. Elle raconte avoir imaginé l’intrigue après avoir vu, depuis son balcon, un homme faire sa prière sur le sommet d’une des nombreuses grues qui surplombent Beyrouth. Elle dit dans une interview pour L’Orient-Le Jour : « C’est ce moment magnifique, qui a fait une sorte de déclic dans ma tête. D’ailleurs tous mes films sont nés d’un moment magique. J’ai alors pensé que toutes ces grues et ces machines qui nous entourent à Beyrouth dissimulent des hommes et leurs histoires. De leur cabine exiguë, ils peuvent observer le monde sans qu’on ne les voit. Et cette idée qui m’a traversé l’esprit est devenue obsessionnelle ».
Avec cette poésie, Dania Bdeir raconte l’histoire de Mohammad, un migrant syrien, qui travaille sur un chantier de construction à Beyrouth. Il tire profit de la monotonie et de la violence de son travail de conducteur de grue, pour s’adonner à un passe-temps interdit. Cette solitude lui donne l’occasion de se soustraire au regard d’autrui. Au-dessus d’une société marquée par la religion et la masculinité intransigeante, chaque jour, entre deux prières suspendues au-dessus du sol, Mohammad danse au son de sa radio en face d’un public imaginaire. Entre la diva queer et l’enchanteresse orientale (à la manière de Sherihan, une chanteuse égyptienne des années 80-90), c’est un pied de nez qu’il fait à la société « d’en bas ». Mohammed prend de la hauteur, sur les hommes, sur la condition humaine et sur les principes inhérents à leurs sociétés qui n’ont de sens que parmi eux.
La vie de Mohammad est marquée par le gris et le labeur sans échappatoire. C’est sur une toile de fond qui n’est pas sans rappeler le terne 1984 de George Orwell qu’il trouve la liberté et la couleur : le rouge. Dans un spectacle grandiose marqué par l’élégance, Mohammad est suspendu au dessus de la ville accroché à des chaînes, dans un costume rouge sang. Il devient un coeur qui palpite dans le vide de Beyrouth, symbole de la passion humaine pour l’art, l’amour et la vie. Un cœur qui fait irruption et qui prend toute la place et dont nos yeux ne peuvent plus se détacher. Et le message que porte l’histoire nous arrive de lui-même avec beaucoup de lucidité, malgré le peu de dialogues pour expliciter la situation.
Cette pauvreté de dialogues compte beaucoup pour la beauté de l’histoire, elle évoque la pudeur orientale, où les sentiments sont peu exprimés par les mots. Dania Bdeir met à profit tous les ressorts du cinéma qui parle en images pour illustrer cela et montrer que la vie, même contenue sous une chape de plomb, trouve toujours à ressurgir, plus extravagante et plus libre encore.
Caillou de Mathilde Poymiro
Caillou, le dernier court de Mathilde Poymiro s’est vu décerner le Grand Prix France 2 au Festival de Brest. Le film est porté par le jeune acteur Lucien Arnaud qui incarne Elias Petit, un jeune garçon de 17 ans qui vient de perdre son père brutalement. Alors que chacun attend de lui une réaction appropriée au deuil, Elias continue sa vie comme si de rien n’était. Il se plonge dans les livres, il remplit ses nuits de lectures faute de sommeil, fait des exposés en classe devant ses camarades de manière très enjouée et se rend à des fêtes le soir. Il rencontre une jeune fille aux airs décalés qui lui plait tout de suite. Elias a une vie d’adolescent tout à fait normale, en somme.
Cependant, il y a comme un cri en sourdine qui résonne en arrière-plan tout le long du film. Elias, qui ne se défait jamais de son bonnet rouge, est marqué par une stabilité à l’équilibre très mince, il s’enferme dans une routine presque maladive. En témoigne son bonnet qu’il porte tout le temps sur lui, comme un porte-bonheur. Pour preuve, lorsqu’il le perd, son calme indolent le quitte aussitôt. S’ensuit une scène de panique dans les rues, où le jeune garçon demande au hasard à des passants des renseignements sur son bonnet égaré. L’enchaînement des plans et les tremblements de caméra nous communiquent le manque de contrôle du personnage qui abandonne son air composé et se trouve complètement perdu.
La performance des acteurs est remarquable, notamment celle de Lucien Arnaud (Elias Petit) et Delphine Gleize (Alice Petit, sa mère). Les deux acteurs sont incroyablement justes et réussissent à transmettre beaucoup d’émotions d’une manière très simple et épurée. Leur manque de communication par les mots, dans une période où ceux-ci ne suffisent plus à exprimer les sentiments, est compensé par beaucoup de présence et une attention à l’autre qui se ressent. Ce qui touche particulièrement, c’est de voir une mère qui essaye de rattraper son fils, enfermé dans le mutisme, et qui s’efforce de le ramener à elle par la communication.
Avec le sourire figé qu’Elias arbore de façade, le jeu des apparences continue lorsqu’il s’intéresse à une jeune fille haute en couleur, aussi mutique que lui et qui elle aussi fait semblant. On la voit découper des yeux dans les journaux pour se les poser sur les paupières afin de dormir durant la classe en toute tranquillité. Les deux jeunes gens se rencontrent à une fête alors qu’ils rangent ensemble des cailloux, loin du bruit de la soirée. On aime trouver dans ce qui semble une rencontre amoureuse comme on en voit beaucoup au cinéma, un conte qui relate la réunion de deux jeunes « un peu à coté » ; une fille excentrique et un garçon qui fait semblant d’aller bien.
Titou de Max Lesage
C’est avec son deuxième court-métrage Titou que le jeune Max Lesage remporte le Château d’or du Festival de Brest dans la catégorie Compétition Bretagne. Après son court métrage Ailleurs (2017), le jeune réalisateur présente un film électrique, burlesque et délicat à la fois, en signant une deuxième collaboration avec son frère Oscar Lesage qu’il met en scène cette fois sous les traits d’un jeune rappeur.
Titouan (Maxime Crescini) est un jeune homme qui voit le monde en images. Il arpente les parcs en prenant des photos d’inconnus qu’il compte leur vendre ensuite, mais dont personne ne veut. Fasciné par le tournage d’un clip de rap qu’il voit dans la rue, il décide de réaliser le clip d’un ami à lui (Oscar Lesage) et l’embarque en Bretagne dans la maison de sa grand-mère récemment décédée. Ils sont accueillis par l’aide-soignante de la vieille dame qui squatte la maison à présent inoccupée. Entre l’intrusion féminine qui se met en travers des grands projets du duo et les galères de réalisation, le tournage ne se passe pas comme prévu.
À la croisée des mondes, le film emprunte autant à l’esthétique campagnarde de Rohmer qu’à l’esprit pop électrique de l’univers du rap. La colorimétrie des images est très chaude et assure à elle seule la promesse d’un film d’été. Tout est jouissif dans ce court. Le plan est souvent long et laisse les personnages évoluer dedans et déployer le comique de situation. La mise en scène travaillée introduit du burlesque dans des actions assez simples en somme. On retrouve l’outrance de la comédie britannique, vu sous un oeil qui révèle la comédie dans ses plus petits ressors. Le ton léger n’empêche pas pour autant le drame et l’approche de certains sujets profonds : les difficultés d’un jeune artiste qui essaye de créer, le questionnement du talent, la possibilité d’un quelconque écho de son travail.
Le film alterne les passages où la musique envahit l’espace et vient nous envelopper, et des moments de décalages burlesques, comme lorsque les garçons écoutent la musique avec des casques audio et se dandinent au son d’un rythme que le spectateur n’entend pas.
Au milieu de ces considérations artistiques, il y a des gens qui se croisent, qui se heurtent les uns aux autres et qui se loupent parfois. L’apparition de la jeune aide-soignante est à la fois une rencontre heureuse pour le rappeur qui se lie amoureusement avec elle, et un obstacle pour Titou qui la voit comme une intruse dans sa maison et dans son monde créatif en général. D’un autre côté, Titou est toujours à la périphérie des autres qu’il n’arrive pas à rencontrer et à faire entrer dans son monde.
Le personnage est comme prisonnier de son monde créatif fourmillant d’idées et d’envies qui l’empêchent d’aller à la rencontre de l’autre. Son hermétisme fait sa fragilité et explique comment quelques éléments perturbateurs dans son tournage peuvent le conduire à l’explosion. Il apparaît comme la figure caricaturale du jeune artiste (et double du réalisateur ?) qui doit prouver son talent afin de se faire une place et qui lutte pour avoir les moyens de créer et de s’exprimer pleinement.
Sardine de Johanna Caraire
Le grand prix de la jeunesse dans la catégorie française a été décerné à Brest à Sardine, le premier court-métrage de Johanna Caraire fondatrice et organisatrice du FIFIB (Festival du Film Indépendant de Bordeaux). Son court-métrage de 30 minutes est l’aboutissement d’un projet de 4 ans qui débute lorsqu’elle filme ses amies et qu’elle recueille leurs confidences sur leurs problèmes personnels. La réalisatrice ne voulant pas dévoiler ces paroles, qu’elle juge trop intimes, elle passera donc par la fiction pour parler de choses qui touchent ses amies, elle-même, et beaucoup d’autres femmes en somme.
L’histoire de noue autour de la fête de la Sardine qui a lieu tous les ans sur l’ile de Lanzarote. Malgré le nom cocasse, la célébration est importante pour la population locale, et réunit des milliers de personnes à chaque fois. En lien avec la nature, cette fête païenne est un gage de renouveau, elle est l’occasion de célébrer la vie, et pour certaines de la convoquer. C’est ce que fait Eve qui se rend sur l’île en hommage à sa grand-mère avec qui elle aurait dû faire ce voyage avant que celle-ci ne décède. Elle cherche désespérément à tomber enceinte et espère que ce voyage l’aidera. Ses amies la rejoignent par surprise, transformant le voyage initiatique en réunion sororale qui passe par le rire et les rituels sacrés.
Le film débute avec une voix off aux tonalités graves. On rentre dans l’histoire comme dans un conte, une mythologie ancienne qui relie toutes les générations entre elles. On assiste à de très belles scènes de communion entre ces femmes d’une trentaine d’années. Elles s’enlacent, se disputent, confient leur doutes et leurs peurs. On y parle d’inceste, de règles, de fausse couches… d’ »histoires de femmes » en somme. Des sujets que la réalisatrice souhaite porter à l’écran pour parler de son expérience personnelle, notamment aux générations futures. À Brest, elle a raconté être particulièrement touchée du Prix de la jeunesse qui lui a été décerné par un public entièrement féminin. Elle a aussi exprimé dans son discours de remerciements son envie de parler à tout le monde, et de tendre à la généralisation. En témoigne le prénom de son personnage principal : Eve, la première femme dans la tradition judéo-chrétienne, une figure qui porte le message universaliste de la réalisatrice.
Sardine, premier court-métrage de la réalisatrice, est un film assez interessant mais qui passe un peu à coté de son enjeu féministe. La réalisatrice a été inspirée, pour l’histoire, par ses propres considérations sur les règles et la grossesse suite à des complications personnelles qu’elle a vécue. Pourtant la violence qui est évoquée, par le parallèle avec l’éruption volcanique notamment, est restreinte à des sujets déjà considérés comme violents : les règles, la fausse couche, l’infertilité. Il aurait peut être été intéressant d’aborder la violence dont on parle moins, comme la violence psychologique de l’accouchement.
Cela n’empêche pas le film d’être intéressant dans son sujet et agréable dans sa forme (avec un bon jeu des couleurs notamment), et de nous engager à saluer ce premier travail fait dans des conditions peu optimales (Covid). Il n’en demeure pas moins que dans la chaleur de l’été, le voyage initiatique qui se fait sur cette île-caillou, très brute, nous plonge dans une experience onirique qui ne manque pas d’intérêt.
Donovan s’évade de Lucie Plumet
Notre coup de cœur de ce festival est Donovan s’évade, le nouveau court de Lucie Plumet, venue le présenter à Brest trois ans après y avoir été primée pour La jeune fille et ses tocs. La réalisatrice, diplômée de l’INSAS et de la Fémis, présente un troisième court -métrage qui rend compte de son ambition d’aller vers la forme longue. En effet, on sent une certaine lenteur dans la narration, la réalisatrice prend le parti d’étirer le temps de son court métrage (qui est d’une trentaine de minutes) pour développer l’histoire.
L’histoire est celle de Damian (interprété par Yoann Zimmer), un ancien policier reconverti en garde du corps. Il est engagé pour protéger la femme d’un ministre qui séjourne dans sa maison de vacances avec des amis. Comme le titre l’indique, Damian cherche à s’évader : de son ancien travail, de sa classe sociale et plus simplement de l’urbanité grisonnante de la banlieue parisienne. Le cadre de l’histoire prend racine dans la tradition du film de vacances, les personnages sont d’un milieu bourgeois, ils « se la coulent douce » dans l’indolence de l’été, et le monde autour ne semble plus exister.
Lucie Plumet reprend le principe de « la bulle » des vacances, hors du temps et hors du monde, dans laquelle le personnage se réfugie jusqu’à ce que son passé le rattrape sous la forme d’une émeute qui fait irruption dans le lieu de son refuge.
Les mouvements de caméra qui sont fluides nous laissent suivre la déambulation des personnages dans l’espace, cela nous plonge dans un monde en trois dimensions très réaliste dans lequel on regarde s’agiter les personnages comme dans un aquarium. La « bulle » est alors clairement un idéal de vie bourgeois, sans préoccupations matérielles, qui prend forme dans un lieu géographique : la maison de campagne.
On remarque que la variation des plans permet un traitement différent des personnages. Par exemple, le groupe d’amis entièrement caractérisé par leur vie bourgeoise est toujours filmé à une certaine distance, comme un monde qu’on observe et que l’on atteint jamais vraiment. Tandis que Damian est le plus souvent filmé en plan rapproché, un moyen de nous faire entrer dans son intériorité. Les yeux de Damian deviennent les nôtres et nous nous retrouvons à vouloir entrer dans cette bulle où les soucis sont effacés, où l’amitié commence avec un simple verre de champagne, où l’on peut se réinventer et raconter un passé lourd qui n’existe pas pour entrer dans le jeu des apparences.
La dimension sociale et politique du film est intéressante. L’histoire fait référence à la lutte sociale, au cloisonnement des classes, aux violences policières et à la responsabilité du groupe qui détient un pouvoir (politique, économique, ou armé). Damian n’est pas de la classe supérieure qui a le pouvoir économique et politique, mais n’est pas non plus du côté du peuple désarmé qui se révolte et auquel il s’oppose. Quand une manifestation populaire fait irruption dans le jardin de la maison de campagne, il se situe au milieu des deux camps. Si Damian ne parvient pas à s’évader de sa condition, c’est bien car il en est fatalement coincé entre un milieu qu’il voudrait atteindre et un autre dont il voudrait s’échapper mais auquel il appartient fatalement. Le tragique de cette histoire réside dans le risque que prend le personnage, celui de n’avoir sa place nulle part à force d’être dans l’entre-deux.