Story Chen : « Je suis très inspirée par mes propres émotions »

À Cannes, nous avons interrogé la lauréate de la Palme d’or du court-métrage, Story Chen, au sujet de son film The Water Murmurs. La jeune réalisatrice chinoise aborde son parcours, sa passion pour l’élément de l’eau, fil conducteur de son film, ainsi que son intérêt pour la question de la mémoire et des souvenirs.

Format Court : Pourquoi avoir quitté la Chine pour étudier aux Etats-Unis ?

Story Chen : La Tisch School of the Arts (NYU) est la meilleure école pour étudier le cinéma. A 12 ans, je suis allée aux Etats-Unis et j’ai beaucoup aimé la ville de New-York. Il y a beaucoup d’artistes de qualité. J’y ai trouvé beaucoup d’inspirations et j’ai eu alors envie d’aller à la NYU. Il y a eu de nombreux cours où j’ai pu faire de la pratique et j’ai pu tourner beaucoup de films pendant mon cursus. C’était vraiment mieux que l’université en Chine, car il y a beaucoup de théorie mais on ne nous donne pas beaucoup l’occasion de pratiquer ou de faire un tournage. En Chine, l’éducation n’offre pas autant d’opportunités de pratiquer par rapport aux Etats-Unis. J’ai juste comparé les deux systèmes d’éducation. C’est pourquoi je suis allée à New-York étudier le cinéma, mais c’est aussi pourquoi je suis aussi revenue en Chine parce qu’il y a beaucoup de financements et d’opportunités pour les nouveaux réalisateurs.

Pourquoi as-tu choisi le cinéma comme moyen d’expression ? Comment as-tu réussi à entrer à la Tisch School of the Arts ?

S.C : On doit soumettre un court-métrage pour accéder à l’école. J’ai réalisé mon premier court-métrage à 15 ans, avec des amis et un caméscope. J’ai commencé très tôt car j’avais envie de raconter une histoire. Je me suis demandé : « de quoi a-t- on besoin pour faire un film ? Réponse : d’une caméra, d’une histoire, de quelques acteurs ». J’ai juste rassemblé une équipe à la manière dont j’imaginais qu’un film devait être fait. Je n’avais jamais eu d’expérience ou quoique ce soit. Mais finalement, même de cette manière très amateur, on peut faire un court-métrage. J’ai vraiment apprécié le processus de composer une équipe. Quand j’ai postulé pour la Tisch School of Arts, j’avais déjà réalisé trois court-métrages par moi-même. J’ai envoyé à l’école celui qui me paraissait le meilleur. Ils ont peut-être vu du potentiel en lui.

Est-ce dur de faire des court-métrages en Chine ?

S. C : Pour les courts-métrages non, il n’y a pas de censure car il y a moins de visibilité. En Chine, il n’y a pas de soutien pour les courts, je pense que c’est la raison pour laquelle la plupart des réalisateurs en Chine ont du mal à faire leurs courts-métrages. Toutefois, on peut trouver des producteurs qui aiment vraiment le cinéma et qui veulent aider des jeunes réalisateurs. Je pense que ça dépend des producteurs qu’on choisit car les court-métrages ne coûtent généralement pas chers. On peut en faire pour beaucoup moins cher qu’un long-métrage. Une bonne chose à propos des court-métrages, c’est qu’on peut être totalement créatif, car il n’y a pas de censure, et les producteurs veulent juste t’aider : ils n’attendent pas d’argent en retour.

Entertainment T.H, qui t’a soutenue pour The Water Murmurs, est une boite de production locale ?

S.C : Oui c’est une boîte de production qui finance mes films, mais j’ai aussi mes propres producteurs et ma propre équipe de création. J’ai eu de la chance qu’ils m’aient accordé une totale liberté du point de vue de la création. Quand j’ai annoncé vouloir filmer au format 35 mm (ce qui signifiait un budget supplémentaire), ils m’ont proposé d’offrir la moitié, et de voir avec l’autre partie pour le reste. Ils m’ont soutenue dans mes décisions durant tout le processus.

Pourquoi était-ce important pour toi de tourner en 35 mm ?

S. C : Car j’étais très inspirée par mes propres émotions durant la pandémie. J’étais à New-York, prête à tourner mon premier long-métrage, mais il a été annulé à cause du confinement. Je suis donc retournée en Chine, et j’y suis restée durant ces deux dernières années. Tout est allé lentement, les producteurs étaient très méfiants à propos des films sur lesquels ils auraient à investir. Il y a donc eu moins d’opportunités, ça devait être pareil pour tout le monde à ce moment, surtout pour les nouveaux réalisateurs.

Durant ces deux dernières années, The Water Murmurs est le seul court-métrage que j’ai réalisé. J’ai souffert de ne pas travailler (rires) !. Pendant ces moments, j’ai vraiment senti que j’avais trop pris l’habitude de me concentrer totalement sur ma carrière. Pendant la pandémie, j’ai vraiment ressenti de l’amour pour les gens autour de moi. L’équipe, les ami.es, la famille. J’ai réalisé qu’il y avait plus de choses précieuses que ce que je pensais. J’ai choisi de tourner à Yibin (dans le sud-est de la Chine). J’ai voulu explorer la mémoire, le passé, capturer cette sensation et je pense que le format 35 mm aide vraiment à créer cette atmosphère.

C’est quelque chose que tu as testé quand tu étais à l’école, le 35 mm ?

S.C : Oui, j’ai vraiment adoré, j’ai appris en tournant sur mes films aussi. J’ai compris comment la pellicule peut transformer ce que vous voyez avec vos yeux. Quand on tournait, mon chef opérateur avait aussi de la pellicule. Ça allait ensemble.

The Water Murmurs est lié à la pandémie. Comment ce projet est-il venu dans ton esprit et est finalement devenu un film ?

S.C : Je préparais mon long-métrage, mais il y a eu beaucoup de difficultés, donc j’ai pensé à faire un court où j’aurais besoin de moins de ressources. J’ai voulu m’accorder une totale liberté de création pour faire quelque chose auquel je croyais, sans être dérangée par le côté financier. J’ai fait le pitch au producteur, c’était d’ailleurs celui de mon long-métrage qui n’a pas pu être tourné. Il m’a fait confiance. Le processus financier a été facile, on se connaissait et on se faisait confiance. Je me suis lancée dans le scénario, cela ne m’a pas pris beaucoup de temps.

Comment le tournage s’est-il passé ?

S. C : Je suis allée à Yibin en 2019, je savais à quoi ressemblait la ville : elle est très industrielle mais elle est près d’une rivière. Il y a ces éléments contradictoires : des constructions par des hommes et des plantes, beaucoup de plantes naturelles. Ça donne un effet surnaturel, et il y a beaucoup de brouillard, d’eau : c’est un lieu passionnant pour l’imaginaire. C’est comme un souvenir ; il s’agit de brouiller les frontières entre le passé, le présent et le futur. Je pense que l’imaginaire en lui-même comporte des émotions donc c’était déjà dans mon esprit. J’ai dit au revoir à beaucoup de gens, j’ai voyagé de New-York à la Chine, d’une ville à une autre pour le travail ou autre. J’ai rencontré des gens puis après quelques semaines ou mois, je leur dis au revoir en ne sachant pas si je les reverrai un jour. J’ai fait l’expérience personnelle de beaucoup d’adieux, il ya des fois où je n’ai pas réussi à dire ce que j’aurais vraiment voulu dire car je ne pouvais pas vraiment mettre de mots dessus. C’est aussi quelque chose que j’avais déjà dans mon cœur. Quand j’ai décidé de faire ce court-métrage, je me suis dit que j’allais mettre tout ça. J’ai écrit le pitch, le synopsis et j’ai trouvé un écrivain pour écrire avec moi. On est retourné à Yibin pour faire des interviews, des repérages de lieux, on a parlé avec des habitants pour enrichir le contenu du scénario. Bien que la ville ne soit pas réelle dans l’histoire, je voulais quelque chose de vrai, de concret, et créer une connexion avec les gens. C’est un mélange flou entre la réalité et le surréalisme.

Penses-tu que la situation climatique a été une inspiration pour ton film ?

S.C : Je pense que l’humanité a remarqué tous les défis auxquels nous sommes confrontés : les changements climatiques, la maladie, la pandémie, la guerre. Je ne voulais pas aborder un défi particulier mais faire quelque chose de fantastique loin de nous, où on peut comprendre une métaphore. J’utilise quelque chose qui n’arrive jamais : le côté fantastique avec un aspect très concret. Je voulais pousser un challenge à un point extrême : si un astéroïde nous tombe dessus, c’est une catastrophe. Sauf que ça n’arrive pas. L’arrière-plan de l’histoire, c’est la question du départ : face à une catastrophe, on est censé partir. Mais c’est aussi un choix : partir ou rester. Quand tu dois dire adieu à quelqu’un, c’est un déclic de vraiment prendre conscience de ce qui est vraiment important pour toi, de ce qui est précieux. Je pense que ce serait arrogant de dire qu’on peut changer le futur. Ce qui peut vraiment toujours rester avec nous, peu importe à quel point les temps sont durs, c’est la mémoire, les souvenirs, la connexion avec les gens de ta région.

Tu es très mature. Quel âge as-tu ?

S.C : 27 ans (rires) !

Dans ton film, la nature est omniprésente, celle-ci est d’ailleurs un vrai personnage…

S.C : Oui, c’est un personnage très important. J’adore vraiment l’élément de l’eau. Je sens que cet élément a un pouvoir : elle coule constamment, elle résiste aux frontières du temps et de l’espace : elle peut t’emmener n’importe où, n’importe quand. J’aime vraiment cette fluidité et la magie qui en découle. C’est pourquoi j’utilise énormément l’eau dans ce film, qui communique avec ta mémoire et ton passé, ton présent, … Yibin est une ville près de la rivière. Là-bas, il y a beaucoup de rivières, d’eau, de brouillard. L’eau est présente dans le brouillard, dans la pluie, dans cette vague géante que je filme, dans ce début si paisible, … J’ai vraiment essayé de capturer différentes formes d’eau pour transmettre différentes formes d’émotions. L’eau dans ses différentes caractéristiques véhicule, selon moi, différentes énergies et différentes émotions.

Que fais-tu pour te détendre ?

S.C : Je joue du piano et je chante !

As-tu déjà essayé la méditation face à l’eau (rires) ?

S.C : J’ai essayé mais c’est très difficile. Je n’arrive pas à me concentrer, mais je fais du yoga !

Comment as-tu vécu la sélection de ton film à Cannes ?

S. C : C’était un vrai honneur et une surprise ! On a reçu un mail trois jours avant l’annonce sur le site et je n’y croyais pas. Pendant l’écriture du scénario, j’ai changé beaucoup de choses : on essayait de trouver la meilleure façon d’exprimer les sentiments. Ç’a été un long et difficile processus. Quand j’ai fini ce court-métrage, j’étais très fatiguée, je ne savais pas si le film était bon. Quand je suis arrivée à Cannes et que j’ai rencontré tous les réalisateurs sélectionnés, c’était très amical. Nous n’étions pas en compétition, nous étions égaux. Les tournages ont été difficiles pour chacun d’entre nous, c’était encore plus étrange de se retrouver à Cannes après ce qu’on avait vécu.

Qu’est-ce que signifie pour toi ce prix, cette Palme ?

S.C : A la remise des prix, lorsque le jury a dit que le film primé était présent dans le passé, le présent et l’ avenir, je me suis demandé : « est-ce qu’on parle de mon film ? C’est son sujet ». Puis, les jurés ont annoncé The Water Murmurs, c’était une très grosse surprise pour moi ! Le jury m’a félicitée et m’a dit qu’il avait ressenti les sentiments. Ils sont donc universels, on n’a pas besoin d’avoir la nationalité chinoise pour ressentir mon film.

Tu as un projet de long-métrage autour d’une histoire d’amour. Le prix va-t-il t’aider à préparer sereinement ce projet ?

S. C : Mes producteurs sont très contents, ils veulent m’aider pour mon long-métrage, donc j’aurai sûrement de l’aide financière en Chine. J’ai fini la première version de mon scénario, cela parle d’amour, mais ce n’est pas juste une histoire d’amour. Je pense que les choix qu’on fait en amour reflètent la manière dont on perçoit ce qui est le plus important dans la vie. C’est à travers cette perception qu’on choisit son amant.e. Lorsque tu restes avec la même personne, ta vie change. Le film parle des gens dans la trentaine : si on te donne une autre chance, changerais-tu quelque chose comme l’amour pur ? Il y a une similitude avec The Water Murmurs. Je veux parler de sentiments purs dans le fort intérieur de l’humanité. Je pense que c’est le plus important. Peu importe ce qui se passe.

Quelle valeur accordes-tu au format du court-métrage ?

S.C : Je pense qu’avec les courts, tu peux expérimenter beaucoup. J’ai essayé des choses que je n’avais jamais testées, comme le travelling constant avec cet effet de flottement un peu surnaturel. J’avais fait peu de travellings dans mes courts précédents. Je veux transmettre des sentiments avec une nouvelle méthode dans ma manière de filmer. Avec un long-métrage, je n’oserais pas essayer autant de choses.. Dans un court-métrage, tu peux prendre des décisions très courageuses et uniques, je pense que c’est son charme.

Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription : Laure Dion

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