Dernier film de la réalisatrice française Alice Diop, Nous dresse une observation profonde, tendre et bienveillante des banlieues qu’elle suit dans la plupart de ses films. Nous, produit par Athénaïse et distribué par New Story, sort ce mercredi 16 février. Format Court accompagne la sortie de ce film documentaire singulier et humaniste qui, 5 ans après Vers la tendresse, récompensé du César du meilleur court-métrage 2017, nous amène à nous éloigner de tout stéréotype et montre des réalités plurielles.
Les clichés sur les banlieues françaises ont la peau dure. La cinéma a d’ailleurs tendance à jouer avec une image vive, insaisissable et souvent tumultueuse. Alice Diop nous offre une vision opposée : lente, contemplative et intime à travers plusieurs personnages qu’elle suit dans le documentaire.
C’est l’histoire d’un garagiste sans-papiers. Ce sont quelques extraits vidéos – seules “traces” qu’il reste – de la mère d’Alice. C’est le récit de l’arrivée de son père en France, de la vie qu’il y a construite. Ce sont les histoires des personnes qui ont déposé leurs valises dans le 93, et dans tous les départements en périphérie de Paris, venant d’Afrique, d’Italie ou de Bretagne. C’est l’histoire d’un voyage qui ne s’arrête jamais vraiment et qui survit à travers le temps. C’est le portrait véritable d’un France simple, « normale » et altruiste; qui se démène autant qu’elle peut pour mener une vie correcte, malgré de nombreuses peines et aléas. C’est aussi le portrait d’une banlieue plus boisée, plus aisée, qui semble pourtant aussi paisible que cruelle.
Néanmoins, Alice Diop ne porte de jugement sur aucune de ces histoires. Elle raconte par l’intermédiaire de ces personnages son voyage personnel à travers cette banlieue qui l’a vue grandir, et qu’elle a – en reprenant ses mots – appris à aimer.
Les procédés cinématographiques auxquels elle a recours sonnent comme un écho à son précédent moyen-métrage Vers la tendresse, dans lequel elle questionne des jeunes hommes des “banlieues” sur leurs rapports au sexe et à l’amour. Plans fixes et voix off qui laissent défiler l’histoire, alternance de gros plans et de plans larges font naître une certaine proximité. Dans ces deux films, elle semble vouloir à la fois montrer l’environnement de vie et s’en débarrasser, pour que le spectateur se concentre uniquement sur les individus et leurs histoires personnelles. Elle installe un cadre qui laisse place à l’empathie, la compréhension et à la justesse des propos.
La voix off s’inscrit dans une sorte de pudeur et d’intimité. Comme si l’on regardait un carnet de voyage ou un album de famille en présence de nos êtres chers. On partage des souvenirs, des lettres, des appels comme si nous étions avec eux et elles dans la salle, comme si ces personnes se confiaient à nous et que nous prenions totalement part à la scène que nous étions en train d’observer. Nous partageons leurs émotions, nous faisons le point sur notre propre vie et sur les personnes qui nous entourent. “Nous”, c’est finalement les confessions et les récits de vécus qui ne nous concernent pas forcément mais dont nous finissons par nous sentir irrémédiablement proches.
Dans Nous, Alice Diop laisse le temps aux silences et aux plans fixes vides d’action sur les paysages ferroviaires, les parcs, les parkings, les barres d’immeubles… Par ce temps long, la réalisatrice semble nous inviter à observer et à cultiver un regard nouveau. Il y a très peu de repères géographiques, très peu de repères temporels mentionnés dans son film. Ce sont bien souvent des clins d’œil. Comme si les villes et les quartiers n’avaient pas d’importance. Alice Diop s’attarde sur les vies qui les peuplent, les vies qui sont souvent invisibilisées. Son film s’articule autour de la même envie que celle de François Maspéro, l’auteur du livre “Les passagers du Roissy-Express » à qui elle dédie ce film : valoriser les êtres dans leur quotidien avec leurs rêves, leurs espoirs et surtout leur présent.
Avec beaucoup de douceur et de poésie, Nous nous amène à redécouvrir l’histoire de ces zones périurbaines, qui se sont beaucoup modifiées, par l’intermédiaire les témoignages poignants de leurs habitants. La caméra se rapproche d’eux comme pour laisser la trace de leurs vies et faire les faire perdurer au-delà de la périphérie. Ils deviennent centraux.
En sortant du visionnage de ce documentaire, il y a un questionnement constant qui s’installe sur le rapport à la vie, le questionnement de notre “réalité”. Si vous allez le voir en salles à sa sortie le mercredi 16 février, faites le test. Asseyez-vous seul à la terrasse d’un café, questionner la vie des gens qui vous entourent, aller au-delà de votre premier jugement. Qui sont-ils ? Quelle est leur histoire ? Que vivent-ils ? Vous verrez, c’est perturbant.
Et c’est sans doute pour cela qu’à Format Court on aime tellement les films d’Alice Diop. Grâce à une esthétique singulière et des partis-pris affirmés, elle nous amène là où ne nous nous n’attendons pas nous-même : proche des autres, dans l’espoir de fonder un avenir « véritablement » commun.