En lice pour le César du premier film, La Nuée de Just Philippot est une œuvre ambitieuse, hybride, à la frontière des genres. Nous vous proposons de redécouvrir le film à travers le coffret DVD et Blu-Ray récemment édité par la société Capricci, agrémenté de bonus, de scènes coupées, des interviews de l’équipe de réalisation, des effets spéciaux et de deux précédents courts-métrages du réalisateur. Nous vous offrons même 3 exemplaires de ce coffret pour les plus rapides.
Il y a déjà sept ans, Just Philippot dévoilait Ses Souffles, court-métrage dans lequel nous suivions les rêves de Lizon, coincée entre les quatre portes de sa maison – la voiture de sa mère – et Karine, une mère éreintée, qui peinait à joindre les deux bouts. En 2018, le réalisateur nous étonnait avec son troisième court-métrage Acide, où la tension et les maux d’un territoire périclitant sous un nuage toxique nous étaient propulsés en pleine figure en moins de vingt minutes.
Pour son premier long-métrage, il se montre plus réservé dans l’horreur, préférant un naturalisme légèrement mâtiné de fantastique au service d’une diégèse vraisemblable pour défendre un propos de société. Cette œuvre hybride portée par des acteur.rice.s habiles – Suliane Brahim et Marie Narbonne en tête – étonnera les curieux par sa forme sans convaincre totalement les aficionados du genre horrifique et gore.
Initié par un appel à projets porté par le CNC pour peu ou prou renouveler le film de genre en France, le film de Just Philippot estampillé Semaine de la Critique 2020 esquisse le portrait d’une armada de sauterelles sanguinaires sans jamais se laisser porter ou déstabiliser par les impératifs du genre.
La Nuée est un projet cinématographique pluriel défendu par une équipe de scénaristes, Jérôme Genevray et Franck Victor, d’un réalisateur Just Philippot, d’Antoine Moulineau et Pierre-Olivier Persin, l’un est un talentueux superviseur des effets visuels dont le talent s’exporte à l’international – The Dark Knight, Avatar – et l’autre un esthète des effets spéciaux de maquillage. S’ajoutent deux producteurs ambitieux, Thierry Lounas – Capricci – et Manuel Chiche – The Jokers – pour relater l’abnégation toute personnelle d’une mère qui tente de ne pas faire faillite sur fond de thriller fantastique.
Laura (Marie Narbonne) et Gaston (Raphaël Romand) grandissent dans une ferme isolée avec leur mère célibataire Virginie (Suliane Brahim) – les contours de la disparition du père au milieu de ses chèvres n’étant jamais clairement évoqués -, persuadée que les sauterelles comestibles représentent l’avenir face à la catastrophe alimentaire des prochaines décennies. Réduites en farine ou grillées et aromatisées, leur richesse nutritive est sans égale et leur exploitation économe en eau finit de la convaincre de la pertinence d’un dessein auquel personne ne croit.
La réalité économique la rattrape rapidement, le prix d’achat de sa farine est constamment revu à la baisse par ses acheteurs tandis que ses rendements sont trop faibles et ne peuvent coller aux attentes d’un marché ultralibéral. De plus, les sauterelles ne semblent pas décidées à se reproduire, elles meurent prématurément, l’exploitation va alors de mal en pis. Prise d’un accès de rage suite à une énième humiliation auprès d’un acquéreur, Virginie envisage de détruire la serre où grandissent les insectes et se blesse avant de perdre connaissance. Lorsqu’elle revient à elle, les insectes paraissent se délecter de son sang. À cet instant commence pour la protagoniste une lente descente aux enfers dans un asservissement charnel et insensé qui mettra sa famille en danger.
Le trio familial entretient des relations contrastées avec les orthoptères ; l’aînée les exècre, déteste cette vie faite de sacrifices, de rafistolages, un mode de vie alternatif où la marge se veut normalité et dans lequel ses camarades se jouent d’elle et des choix de sa mère. Gaston, lui, adopte une attitude plus nuancée et montre un réel intérêt pour ces bêtes qu’il scrute avec minutie au travers de son vivarium.
Difficile d’apposer un épithète sur la relation de Virginie aux sauterelles, ni passionnée ni opportuniste, elle y voit seulement le moyen écologique de préserver la planète et de nourrir le monde de demain. Elle se trompe, au lieu de ça elle contribuera – à une échelle très minime – à le détruire par la menace qu’elle fomente malgré elle.
L’un des points forts du long-métrage est d’entretenir tout du long l’ambiguïté sur la menace planante, de son origine à son incarnation. D’où vient-elle ? S’incarne-t-elle sous les traits de Virginie qui donne corps et sang à ses sauterelles ?
L’appétit des sauterelles pour le sang existe en dehors des limites du récit et c’est Virginie qui le découvre et le perpétue. La protagoniste devient-elle pour autant monstrueuse ? Non, c’est avant tout une femme dépassée, abîmée par les responsabilités et la quête de l’amortissement. Finalement son seul but est de répondre aux besoins de sa famille en alimentant les penchants féroces de son exploitation agricole, un cycle qui ne pourra prendre fin que dans la violence et la destruction. L’horreur tient ici sa place dans le sujet invoqué, elle est économique, sociale, et prend le pas sur le déroulé cinématographique tant le scénario reste plausible et endosse les atours d’une réalité déconcertante. La crédibilité du scénario renforce l’horreur de la situation et nous amène à repenser le flegme de ces petits animaux chantants.
Jamais le réalisateur ne prend le parti du gore ou de l’horrifique et se détourne ainsi du film de genre généralement admis – il n’a rien d’un film d’exploitation mais s’épanouit plutôt dans un doux équilibre entre le fantastique vraisemblable et le naturalisme. La nuée est effrayante par sa multitude, son nombre mais aussi par sa sonorité imposante – à ce titre les bourdonnements croissants des sauterelles lorsqu’approche une victime et leur enracinement dans le paysage sonore de la ferme sont remarquables par leur intensité et leur justesse – mais pas par son individualité. Seule, la sauterelle – ou plus exactement le criquet migrateur casté pour le film – même en gros plan, ne revêt pas un caractère monstrueux mais plutôt fascinant, elle s’impose par une présence amplifiée mais rappelle au spectateur que seule elle est toujours inoffensive.
Si les intentions sont louables et plutôt bonnes, l’on regrette parfois le manque de profondeur de certains arcs narratifs comme la relation avec Karim – Sofian Khammes, excellent acteur aperçu dans Acide – ou encore la scène à la plage qui en substance n’apportent que peu de corps au récit. Mais l’on retiendra surtout une remarquable première œuvre, un réalisateur à l’écoute de ses personnages et de ses acteurs et l’on ne peut que se réjouir de le voir s’atteler à la préparation actuelle de son second long-métrage qui n’est autre que le développement d’Acide.
Léa Vezzosi
La Nuée de Just Philippot : combo Blu-ray + DVD. Edition Capprici. Film et bonus : courts Ses souffles et Acide, commentaire audio de l’équipe du film, présentation des films par Just Philippot, effets spéciaux expliqués par Antoine Moulineau, entretien croisé entre Christophe Lavelle (CNRS) et Just Philippot, entretien avec Jérôme Genevray et Franck Victor, scènes coupées et commentées, storyboard du film par Giuseppe Liotti