En attendant que la prochaine cérémonie des César 2022 récompense le meilleur court métrage de fiction le 25 février 2022, Format Court vous propose de revenir plus en détail sur 5 courts métrages, parmi les 24 en lice côté fiction. Cette présélection très prometteuse atteste en elle-même de la diversité et de la vitalité flamboyante de la forme courte.
Sous les nuages inquiets, sur la plage de Casablanca, une mère prie en tenant fermement la main de son enfant. Bientôt, ces deux âmes, dont le lien est indestructible, vont devoir subir une douloureuse épreuve de séparation, et ces jours passés ensemble à la fin de l’été 2004 se transformeront en souvenirs.
Récompensé à la dernière édition du Festival Format Court (Prix d’interprétation décerné à Ayam Rachdane, pour le rôle de l’enfant et Mention spéciale à l’ensemble des acteurs du film), Le Départ de Saïd Hamich raconte l’histoire d’Adil, 11 ans, qui s’apprête à vivre un grand changement avec l’arrivée de son père et de son frère, revenus de France au Maroc natal. Grâce à sa voix-off, le récit prend une dimension rétrospective, comme si Adil portait un regard déjà adulte sur lui-même.
Dès la première séquence, le spectateur est plongé dans une atmosphère de mélancolie douce-amère, avant même d’en découvrir les raisons. Le garçon passe ses journées dehors, entouré de ses copains. Le vaste chantier de construction dans une banlieue casablancaise s’ouvre, pour cette bande attachante, à une infinité de jeux. Le temps semble être étiré. Avec sa caméra contemplative, le réalisateur Saïd Hamich parvient à saisir les petits riens charmants qui forment l’univers enfantin et à révéler la poésie dans la banalité : les batailles d’eau, le pinball, un petit chiot, meilleur ami à quatre pattes, la télé jusque tard la nuit pour voir le coureur Hicham El Gueroujj remporter la médaille d’Or aux Jeux Olympiques.
Les captations de cette célèbre victoire viennent s’ajouter à la narration en la plaçant dans son contexte historique général. Celles-ci se présentent par ailleurs, comme une métaphore d’un instant de réel vécu intensément, d’un bonheur partagé, mais servent aussi à illustrer la tempête émotionnelle d’Adil. Tout comme son idole sportive, il entame une course (vers l’inconnu, loin de sa mère et des copains), avec une immense volonté de réussite. C’est précisément la dissonance extradiégétique entre les cris enthousiastes des commentateurs et la musique triste, qui rend palpable ses sentiments mitigés. Le temps n’est plus simplement ajusté à la durée nécessaire pour accomplir une action quelconque, mais il devient une matière malléable et autonome.
Avec Le Départ, Saïd Hamich reconstitue soigneusement un éventail d’images marquantes et personnelles qui forment le souvenir d’un émigré, tout en inscrivant celles-ci dans une forme d’universalisme. D’une émouvante sensibilité, le film s’adresse à tous les spectateurs, qu’ils soient séparés des contrées qui les ont vu grandir ou non, pour explorer le mécanisme même de la mémoire.
Avec L’Effort commercial, la réalisatrice Sarah Arnold tire la sonnette d’alarme et dénonce les conditions de travail des salariés de la grande distribution.
Issu d’un appel à projet lancé par l’association Femme et Cinéma sur le thème « Femme au travail », ce court-métrage vibrant de 15 minutes est inspiré d’un fait réel : en novembre 2016, une employée d’Auchan de la ville de Tourcoing, enceinte de trois mois, faisait une fausse couche sur son siège de caisse. Son responsable, bien au courant de ses maux de tête et de ventre, avait refusé ses nombreuses demandes de prendre une pause.
Dans L’Effort commercial, c’est Léa, jeune étudiante au sourire innocent, qui vient seulement de commencer son contrat saisonnier, qui devient témoin de ce drame. En défiant l’habitude du spectateur vis-à-vis de la chronique sociale, Sarah Arnold fait le choix d’un décor explicitement artificiel et abstrait afin de faire résonner davantage l’ampleur de la pression insoutenable que subissent quotidiennement ces travailleuses. La réalisatrice remplace le vrai supermarché par un lieu d’une blancheur stérile, tel un bloc opératoire avec des caisses à la place des lits : son esthétique, l’absence de clients, aussi bien que de marchandises, permettent de mettre en lumière combien ces femmes sont réduites à leur seule force du travail. Manipulant incessamment les produits invisibles, elles n’ont pas le droit à la moindre erreur, placées sous la stricte surveillance du manager, chargé de s’assurer de la bonne application des règles marketing à limite de l’absurdité. Le film fournit des illustrations choquantes de la violence sur le lieu de travail (psychologique, comme physique) et rend bel et bien un hommage poignant à l’une de ses victimes.
Thriller avec une petite note d’humour noir, Les Criminels de Serhat Karaaslan, traite de l’union libre, frappée du sceau de l’interdit par la société islamo-conservatrice en Turquie. Dans les rues obscures d’une ville de l’Anatolie, un jeune couple recherche un hôtel pour passer la nuit ensemble. N’étant pas mariés, l’homme et la femme reçoivent un ferme refus partout où ils se rendent jusqu’à devoir inventer un stratagème pour pouvoir se retrouver dans la même chambre.
Entre la fraîcheur du premier amour et l’ambiance sinistre de l’hôtel sordide ressemblant à celui de Barton Fink dans un film éponyme (Frères Coen, 1991) le contraste est fort. Celui-ci est mis au service de la mise en scène : le cadrage serré témoigne de l’inhospitalité du lieu, annonce la future menace (qui survient toujours du hors champ), mais ouvre aussi la voie vers un espace intime (bien que très précaire et éphémère) des amoureux.
Le spectateur découvre, à travers le jeu du formidable duo d’acteurs formé par Lorin Merhart et Deniz Altan, ce que c’est qu’être jeune et vivre dans un monde où aimer, signifie contre tout bon sens, la prise de risques. Le film condamne la rhétorique qui défie la raison et ne laisse à l’individu aucun droit à la vie privée : pourquoi ces innocents doivent-ils se confronter à la violence démesurée de ceux qui cachent, sous le masque des gardiens de la morale, des visages de monstres pervers ?
Sous la forme d’un ciné-journal,The Nightwalk d’Adriano Valerio, ce concentré de beauté mystérieuse et anxiogène, relate le quotidien d’un jeune homme étranger, confiné dans sa chambre d’étudiant à Shanghai à plus de 9000 kilomètres de sa famille, suite aux annonces gouvernementales de l’état d’urgence sanitaire en Chine.
L’isolement, le sentiment d’insécurité et la solitude pèsent lourd sur sa santé morale : les notions du temps et d’espace commencent rapidement à se diluer, les nuits d’insomnie se suivent aux jours de somnolence. De multiples bribes d’images composent son témoignage en voix-off : se mêlent alors dans un cocktail fiévreux des extraits de films variés (de Buster Keaton à la comédie italienne des années 80) et d’archives personnelles, ainsi que des photos prises au moment de sa claustration, avec du grain apparent, faisant penser à la poussière stagnante dans une pièce non aérée.
Difficile de trouver un meilleur dispositif pour exprimer cet état d’aliénation d’un esprit pris au piège par le temps en arrêt, et, par conséquent, par ses propres souvenirs et affects. Ce temps, le réalisateur Adriano Valerio le mesure selon toute logique en images fixes, faisant ainsi du banal l’objet d’une attention artistique particulière. Des nouilles instantanées, une bouteille de vodka en guise de vase à fleur, une cuillère sur le lit à côté d’une chaussette dépareillée : le héros est hanté par nombreuses natures mortes « imparfaites », dont il est lui-même auteur. Il ne retrouvera sa sérénité qu’après avoir enfin bravé ses ténèbres intérieures. Franchir le pas dehors, un si humble besoin, lui paraîtra alors soudainement réalisable. The Nightwalk est un film à la fois pensif et émotif, mais aussi torturé, dont la longue introspection du personnage ne nous laisse pas insensibles.
Avec L’Inspection, les réalisateurs Caroline Brami et Frédéric Bas touchent à la difficulté de trouver un juste équilibre entre rationalité, morale et émotion, lorsqu’il s’agit de l’enseignement de l’histoire de la Shoah.
Une professeure d’histoire reçoit dans sa salle de classe un inspecteur de l’Education Nationale. Impossible pour eux de trouver un accord commun. Esthétiquement très sobre, le film met en scène leur dialogue d’une grande densité émotionnelle et accorde le même temps de parole à deux points de vue divergents. Aucune micro expression faciale, aucun geste n’échappe à la caméra attentive qui filme tout leur échange, dont la tonalité devient de plus en plus aigüe, en champ contre-champ.
Très sincèrement étonné par l’approche pédagogique développée par l’enseignante, l’inspecteur essaye vainement de comprendre : pourquoi passer plus de temps que prévu dans le programme à étudier l’histoire de la Shoah ? Pourquoi montrer des images qui peuvent potentiellement nuire à la psyché des élèves réceptifs ? Se retrouvant face à une personne qui considère dangereuse non pas les images, mais la neutralité dont il est adepte, le fonctionnaire est désarmé : il ne lui reste rien d’autre que d’abandonner la salle.
Le film révèle une faille du système qui veut rendre lisse ce qui ne peut pas l’être par définition et nous incite à nous interroger sur ce que nous voulons transmettre à nos futures générations, et surtout, avec quelle tonalité.