La société de conservation et restauration de films anciens Lobster Films a édité le mois dernier un coffret réunissant trois courts-métrages d’un réalisateur quelque peu oublié de l’histoire du cinéma : André Chotin. Son oeuvre s’étale du début des années 1930 à la fin des années 1940, en plein dans l’âge classique du cinéma français, avec des réalisateurs comme Jean Renoir, Marcel Carné, Sacha Guitry, pour ne citer qu’eux.
Ce coffret comprends les trois courts-métrages suivants : La fine combine (1931) avec Fernandel, Raoul Marco et Edwige Feuillère, Bric-à-brac et compagnie (1931) avec Fernandel, Raoul Marco et Madeleine Guitty, et En plein dans le mille (1932) avec Jean Gobet, Christiane Dor et Georges Cahuzac.
Nous sommes à un moment de transition dans l’histoire du cinéma: en France le parlant est apparu en 1929 mais ne s’est imposé pleinement qu’en 1934, des films muets continuent ainsi de circuler dans les années 1932 et 1933.
Ces trois films gardent des traces du burlesque muet: on y trouve des chutes, des accrochages ou des coups de poings involontaires. C’est Monsieur Topinois, de La Fine combine, qui contrôle mal son corps pataud, ou qui est ridiculisé par sa maîtresse qui lui enroule les dernières touffes de cheveux sur sa tête. Ou c’est encore Octave dans En Plein dans le mille, qui se fait bousculer plusieurs fois par une porte qui s’ouvre dans son dos, comique de répétition qui prépare le retournement où il va reprendre confiance en lui.
Les dialogues ajoutent une dimension comique supplémentaire avec des quiproquos, des expressions savoureuses, des surnoms cocasses. Ces films sont le résultat de ce curieux mélange, témoins d’une époque encore hésitante à abandonner les gags visuels du cinéma muet.
Les récits tournent autour des thèmes de la vie domestique, de l’adultère, du mariage, avec des personnages esquissés à grand traits mais pourtant attachants. André Chotin n’hésite pas à dresser des portraits de bourgeois ridicules, comme le couple Topinois dans La fine combine : la femme essaie désespérément de perdre du poids tandis que le mari échafaude des plans pour retrouver sa maîtresse qui en fait se joue de lui. Il se permet également une satire des moeurs en jouant avec l’hypocrisie liée à l’argent, comme dans En plein dans le mille où un le patron d’une banque qui cherche à écraser un employé est pris à son propre jeu.
Ces films sont ponctués par des plans, tournés en extérieurs, qui d’une part rythment l’action et d’autre part ancrent les histoires dans des lieux et des pratiques. Dans En plein dans le mille, nous découvrons le célèbre Palais Brongniart qui accueillait la bourse de Paris et ses occupants, où tout se passait à la criée, avant l’ère des ordinateurs. Dans La fine combine, c’est le champ de courses qui est filmé, avec ses constellations de chapeaux Panama dans le public et ses rituels autour des chevaux.
Ces plans rappellent les vues des Frères Lumière, scènes quotidiennes filmées en extérieur entre 1895 et 1900, à la différence que dans les films d’André Chotin une dimension frictionnelle est reliée à ce décor réel, qu’un personnage traverse le paysage urbain ou qu’un enjeu narratif soit relié à ces scènes.
Ajoutons que La fine combine et Bric-à-brac et compagnie font partie des premiers films de Fernandel, puisqu’auparavant il n’a tourné que dans deux courts-métrages de Marc Allégret en 1930. Nous constatons qu’il avait déjà sa verve hilarante, dans le rôle d’un domestique témoin des combines de ses maîtres ou d’un vendeur survolté aux puces de Saint-Ouen. Même si André Chotin n’aura pas connu la même renommée que l’acteur, il y a une véritable richesse dans ses films que Lobster Films nous permet de redécouvrir.
André Chotin, 3 courts-métrages, Edition Lobster Films : https://shop.lobsterfilms.com/fr/products/andre-chotin-3-courts-metrages