Fiction, 5′, 2016, Autriche, Moshel Filmproduction
Après le tollé déclenché sur le web par son premier clip Metube 1: August Sings Carmen ‘Habanera’, le réalisateur Daniel Moshel réitère l’expérience en proposant un remix techno du célèbre O Fortuna de Carl Orff, interprété par la même star de Youtube August Schram, et présenté ces jours-ci au Festival d’Annecy. L’aspect déjanté et hilare du premier essai se renforce ici et prend une ampleur importante qui laisse croire que cet artiste excentrique n’est pas qu’un simple (you-)tube sans lendemain.
Sur la place de Bayerische Staatsoper à Munich, une foule de touristes se promène en plein été. Une vieille dame et un curieux homme qui flotte dans les airs proposent un spectacle : une interprétation de l’ouverture de Carmina Burana de Carl Orff, en solo pour la modique somme d’1 euro, et une “super super version” pour le double du prix. Déçu de la première version, un petit gamin ajoute 1 euro supplémentaire pour voir si la deuxième est à la hauteur des attentes.
Au contraire du cadre domestique dans lequel Moshel a tourné l’interprétation fantasque de l’air de Carmen (un intérieur banal donnant sur une sorte de back-room rempli de musiciens et danseurs queer en cuir), le cinéaste autrichien tourne son deuxième film sur la place publique. Il mobilise ainsi plusieurs dizaines de chanteurs et de danseurs, pour ne pas parler d’une gigantesque équipe technique (un making-of expose d’ailleurs les coulisses du tournage bien élaboré ). Fidèle à lui-même, l’artiste situe l’action devant un énorme chantier dont les échafaudages servent de décor pour le spectacle officieux.
Car, n’oublions pas que tout l’intérêt des films de Moshel réside dans l’affirmation que ces tubes de musique classique, aussi connus soient-ils, peuvent être désacralisés, réinterprétés à la sauce amateur, et ainsi toucher bien plus de gens que depuis les hautes scènes ampoulées et élitistes. Et pour cela, quel meilleur médium que Youtube, terreau de talents insoupçonnés, anonymes et inclassables ? Cela fait bien des années que Hollywood et le monde spectaculaire cherchent à s’accaparer l’art lyrique avec comme conséquence d’avoir permis sa plus grande diffusion. Mais si les innombrables partenaires de scène du grand (showman) Pavarotti issus du monde de la pop, ou les Sarah Brightman et autres poupées amplifiées d’un André Rieu tentent de déguiser leur médiocrité artistique derrière un voile de mièvrerie et d’angélisme nauséabonds, la génération Youtube que nous sommes assume, elle, pleinement le décalage par rapport aux représentants “pur-sang” du grand Art. Leur objectif est de livrer une vision parfois imparfaite, souvent iconoclaste et toujours personnelle, et ils réussissent ce pari de manière bien plus convaincante que les susdits imposteurs. D’un côté, le medium du peuple propice aux partages “viraux” permet de toucher un nombre colossal de visiteurs en peu de temps. De l’autre côté, la qualité de certaines de ces interprétations peuvent parfois valoir celles des plus grandes vedettes reconnues (et le ténor August Schram se défend très bien de ce point de vue).
À l’ère des “sensations du web”, Metube 2 illustre parfaitement le parcours vertigineux même si quelque peu précaire des bloggers, vloggers et musiciens aspirants. Comme dans tout, seuls un fond de talent suffisant et une capacité à se réinventer avec chaque prestation garantissent un succès durable dans le cruel firmament changeant “velut luna” de la Toile. Avec ce film, Moshel prouve qu’il fait partie de cet heureux lot de fortunés.
Bien plus qu’un exercice rigolo, ce film se présente comme une curiosité, voire un nouveau genre hybride, à la fois sujet aux exigences de rentabilité de production et par nature librement disponible à tous : alors que le spectacle coûte 2€ dans le film, celui-ci est lui-même visible gratuitement sur Youtube.