Cette année, à Cannes, de jeunes réalisateurs de courts passent – avec succès – au long et d’autres, déjà bien installés, reviennent à la forme courte. D’autres qui tracent leur sillon dans leur long méritent qu’on revienne brièvement sur leurs très beaux courts. Identification de quelques parcours qui nous intéressent particulièrement.
À l’officielle, on ne fera que citer la britannique Lynne Ramsay qui entre We need to talk about Kevin et son nouveau film sélectionné en compétition, You were never really here, a eu le temps de faire un très beau court que nous avions chroniqué sur Format Court : Swimmer, présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en 2013. Mentionnons aussi le suédois Ruben Östlund qui après plusieurs longs revient à Cannes avec son nouveau long-métrage, The Square. On l’oublie peut-être mais Ruben Östlund avait réalisé à ses débuts le magistral Incident by a bank, Ours d’Or à Berlin en 2010, et véritable choc esthétique où son sens inné du montage et de la narration se révélait déjà.
Dans la section Un certain regard présidée par Uma Thurman, deux premiers longs-métrages retiennent particulièrement notre attention. Tout d’abord, En attendant les hirondelles, le premier film de Karim Moussaoui, réalisateur algérien que nous avions primé en 2013 pour son superbe moyen-métrage, Les Jours d’avant (également sélectionné à Locarno et en lice pour les Cesar). En attendant les hirondelles établit un lien avec le film précédent : Karim Moussaoui poursuit son exploration de la société algérienne et ses dilemmes (raison/sentiments) à travers plusieurs histoires croisées. À Format Court, on croit beaucoup dans ce nouveau projet, étape cruciale pour son auteur étant venu sur le tard au cinéma.
Toujours à Un certain regard, l’italienne Annarita Zambrano propose ces jours-ci de découvrir Après la guerre , son premier long-métrage s’intéressant au passé de l’Italie et à un ancien militant de gauche, soupçonné d’avoir commandité l’attentat d’un juge bolognais.
Si Karim Moussaoui est sélectionné à Cannes pour la première fois, Annarita Zambrano est pour le coup une habituée : elle a réalisé en 2010 le très beau Tre Ore (sélectionné à la Quinzaine) mais aussi Ophelia en 2013 (retenu en compétition officielle) dont nous avions précédemment parlé.
À la Quinzaine, Rungano Nyoni, réalisatrice d’origine zambienne, propose son premier long-métrage tourné avec des non-professionnels, I am not a witch. Le film réalisé à Lusaka (capitale de la Zambie) et dans ses environs, s’intéresse à une petite fille semant la zizanie dans un camp pour sorcières. Par le passé, Rungano Nyoni avait co-réalisé le très beau Listen avec Hamy Ramezan dans le cadre de la Nordic Factory, également projeté à la Quinzaine 2014. On se souvient aussi de la jeune réalisatrice pour son lien à l’enfance et à son pays d’origine, avec son joli court Mwansa the Great (2011) et sa contribution au scénario de l’intense The Mass of Men (2012) réalisé par Gabriel Gauchet et primé à Locarno en 2012.
Aux côtés de Rungano Nyoni, Jonas Carpignano, italien d’origine, débarque à la Quinzaine après un passage à la Semaine de la Critique avec un film du même nom ! Il faut distinguer A ciambra, court-métrage racontant une nuit dans la vie de Pio, un jeune Rom qui vit en Calabre, distingué à la Semaine de la Critique 2014 du Prix Découverte Sony, et A ciambra, le long-métrage homonyme présenté cette semaine à la Quinzaine, reprenant le sujet du court-métrage en le développant sur une durée plus longue que ses 16 minutes initiales.
Effectuons une parenthèse du côté de la sélection des courts à la Quinzaine pour dire un mot sur Tijuana Tales réalisé par Jean-Charles Hue. Après de très nombreux courts (dont des films expérimentaux), un moyen et trois longs, le cinéaste français revient à ses débuts avec une proposition expérimentale, mêlant images super 8 et numériques. Nous aurons l’occasion de revenir plus longuement sur ce film.
À la Semaine de la Critique, on repère Ava, le premier film de Léa Mysius. Après Les Oiseaux-tonnerre , son film de fin d’études de la Fémis sélectionné à la Cinéfondation 2014 et un très beau premier film professionnel, L’île jaune, produit par Fanny Yvonnet (Trois Brigands Productions), Léa Myisus retrouve sa productrice pour son long, l’histoire d’une adolescence perdant très rapidement la vue et dont la mère (Laure Calamy) décide de faire comme si de rien n’était pour lui faire passer le plus bel été de leur vie. L’adolescence, la nature, les grands espaces, le sens du cadre et du montage, déjà présents dans ses courts, devraient sans nul doute se faire remarquer dans ce premier long très prometteur.
À la Semaine toujours, on s’intéresse également à Oh Lucy ! d’Atsuko Hirayanagi, une réalisatrice japonaise. Atsuko n’est pas une inconnue à Cannes puisque son film de fin d’école produit par la NYU Tisch School of The Arts, intitulé également Oh Lucy ! avait obtenu le deuxième prix à la Cinéfondation en 2014. Les deux films, le court comme le long, racontent la même histoire de base : celle de Setsuko, une femme d’une cinquantaine d’années qui ne trouve de sens à sa vie que le jour où elle commence à prendre des cours d’anglais auprès d’un beau professeur et à mettre une perruque peroxydée, la transformant en son propre double, Lucy. Là encore, le format long devrait permettre à sa réalisatrice de développer son histoire initiale, rythmée par un sens de l’écriture et de humour sans pareil.
En séance spéciale, difficile de ne pas passer à côté de Yann Gonzalez qui, après son long-métrage Les Rencontres d’après minuit (Semaine de la Critique, 2013) propose cette année Les Iles, un court entre désir, érotisme, voyeurisme et monstruosité. Un geste cinématographique qui plaira ou non dans les prochains jours au festival (le film est présenté ce dimanche 21 mai en compagnie des nouveaux courts de Oscar Conceiçao et de Jonathan Vinel et Caroline Poggi).
Enfin, passons à l’ACID où deux filles et deux garçons nous intéressent particulièrement. Lila Pinell et Chloé Mahieu, habituées à travailler en tandem, présentent leur premier long-métrage Kiss and cry, un film sur le patinage artistique de haut niveau et l’adolescence mise à rude épreuve. Un sujet finalement proche de Boucle Piqué, leur moyen-métrage documentaire suivant de jeunes championnes de patinage artistique partagées entre discipline, rivalité et confusions des sentiments. Ilan Klipper, lui, offre Le Ciel étoilé au-dessus de ma tête, son deuxième long-métrage, un film sur la vie d’un ancien auteur à succès, dont l’entourage s’inquiète toujours autant pour lui 20 ans après sa réussite fulgurante. Un sujet également bien proche de celui de son court Juke-Box dans lequel un chanteur (interprété par Christophe) dont l’heure de gloire est passée depuis bien longtemps vit seul, reclus dans son appartement.
On finit avec Vincent Macaigne qui revient sur la Croisette avec son premier long en séance spéciale, Pour le réconfort, un film sur le retour aux racines, l’amitié, l’âge et le désir. On se souvient encore de Ce qu’il restera de nous, son premier court où la fraternité, la déchirure et l’hystérie faisaient bon-mauvais ménage. Entre les deux films, on a plutôt vu et revu Macaigne le comédien, pitre, angoissé de la vie, trentenaire amoureux dans des courts comme dans des longs, réalisés par les autres. Curiosité donc de le découvrir bientôt dans sa nouvelle réalisation…
Si d’un côté, certains cinéastes sélectionnés cette année à Cannes ont souhaité passé au long, développer leurs idées de courts, franchir une étape importante, grandir en accédant à de nouvelles sections du festival, d’autres préfèrent revenir au court, aux origines, retrouver leur liberté et leur besoin d’expérimentation en osant des films hors normes. À travers les quelques exemples de films précités, on sent toutefois le maintien d’un très beau lien entre formes courtes et longues à Cannes. Tant mieux.