Voici la deuxième partie de notre reportage sur L’Étrange Festival 2016, XXIIe du nom, après la première partie publiée en fin d’année. Au menu, toujours autant de merveilles courtes, venues de tous les horizons et sous toutes les formes. Futurs hypothétiques, bestioles bizarres et dérangeantes, états physiques proches de la folie, encore une fois, les écrans du Forum des Images vibraient au mois de septembre sous le poids d’histoires plus énormes et délirantes les unes que les autres.
Programme n°3 – Dans quel état j’erre
Eludons le jeu de mots osé du titre (on comprend, cela nous arrive aussi…), et préoccupons-nous de ce programme n°3 qui accueille plusieurs films déjà évoqués sur Format Court, comme le bouillonnant « The Invitation of Armageddon » de Paul Hough, l’hystérique et splendide « Manoman » de Simon Cartwright (Prix Format Court à Court Métrange cette année), ou encore le surréaliste film d’animation « Decorado » du génial artiste espagnol Alberto Vazquez. C’est à un autre réalisateur espagnol que nous nous intéresserons cette fois-ci, à savoir Alex Pachón pour son film expérimental, « You Will Fall Again ».
Commissionné par le Hong Kong City Contemporary Dance Company, « You Will Fall Again » mélange film de danse, expérimentation visuelle et suspense très codifié. Un jeune homme handicapé en fauteuil roulant occupe une pièce sombre et délabrée, sans issue, à part une petite porte au fond, difficile à atteindre. Il va essayer de s’enfuir par cette porte, en se traînant hors de son fauteuil pour rejoindre l’issue unique. Seulement, à mesure qu’il atteint son objectif, les membres de son corps craquent et se brisent, comme le plafond qui se fissure tout du long jusqu’à la porte.
Œuvre empreinte de cruauté, boucle infernale de souffrance physique autant que mentale, « You Will Fall Again » décrit métaphoriquement la difficulté à affronter un handicap quel qu’il soit et tous les efforts à fournir pour ne pas sombrer. En un ballet éprouvant utilisant la danse comme échappatoire au handicap physique, le film dépeint une lutte interminable appelée à se répéter indéfiniment, dans une boucle qui entremêle intimement espoir et désespoir.
Programme n°4 – Les belles histoires de tonton Strange
Mais qui est donc ce tonton Strange et pourquoi veut-il nous raconter de soi-disant belles histoires ? C’est avec une certaine appréhension que nous sommes entrés dans la salle de cinéma pour ce quatrième programme décidément bien étrange… Et nous avions bien raison de rester sur nos gardes !
Pour nous amadouer, on nous a d’abord montré « Le Repas Dominical » de Céline Devaux, bien connu chez Format Court, mais la méfiance n’a pas quitté nos esprits. Pour détendre l’atmosphère, on a voulu nous attendrir en jouant sur la corde sensible avec « La rentrée des classes » de Vincent Patar, Stéphane Aubier et toute la bande du long-métrage « Panique au Village ». Et cela marcha !
Après « La bûche de Noël » (2013), où Cow-Boy et Indien donnaient du fil à retordre au Père Noël, les deux réalisateurs de « Pic Pic & André » rempilent avec « La rentrée des classes » pour notre plus grand bonheur. Cette fois-ci les deux affreux jojos ont complètement oublié la reprise des cours. Pour éveiller l’intérêt des élèves de la classe, la directrice de leur école organise un grand concours dont le premier prix est un voyage sur la Lune. « Indien » et Cow-Boy sont évidemment prêts à tout pour embarquer sur la fusée.
Toujours animés en stop motion (image par image) avec des figurines chinées de-ci de-là ou fabriquées pour la circonstance, le duo belge offre aux deux maladroits compères une nouvelle aventure trépidante avec notamment une poursuite hilarante dans les méandres du cerveau de Cochon, l’un de leurs camarades de classe. Près de 15 ans après le premier épisode, l’humour et la bonne humeur restent intacts. Vivement la suite !
Après tous ces films, tout allait bien et nous avions définitivement baissé notre garde. Puis, l’air de rien, quelqu’un « lâcha » sans prévenir « The Procedure » de Calvin Lee Reeder . En moins de 4 minutes, l’atmosphère de la salle avait changé, les spectateurs retenaient leur souffle et espéraient plus ou moins secrètement ne pas voir à l’écran ce que le réalisateur Tom Six avait déjà imaginé à trois reprises en long-métrage (à savoir la trilogie « The Human Centipede »).
Si le film tient plus au départ de la blague ou d’un pari raté entre amis, à y regarder à deux fois, on peut y voir autre chose. Prenant à cours nos attentes ou nos craintes (tous les goûts sont dans la nature), le film s’achève de façon pour le moins déconcertante.
Star montante dans le milieu du film d’horreur indépendant, son réalisateur Calvin Lee Reeder est déjà à l’origine de plusieurs courts-métrages depuis le début des années 2000 et a également réalisé deux longs-métrages (« The Rambler » et « The Oregonian »). Dans « The Procedure », il parodie allègrement un univers dont il est familier (il a joué également dans « You’re next » et « V/H/S ») et notamment celui des films en vogue depuis quelques années : le « torture porn », sorte de sous-catégorie du film d’horreur, où souvent un prétexte scénaristique déclenche toute une pléiade de brutalités, voire d’atrocités plus ou moins diverses et variées mais surtout souvent gratuites. Même s’il fait mine de ne faire qu’un film potache sans aucune arrière-pensée, le réalisateur originaire de Seattle fait avec ce petit film un joli pied de nez salvateur à un certain cinéma qui peut parfois manquer d’humour.
Programme n°5 – Souviens-toi du futur
Pour ce 5ème programme, les programmateurs de L’Étrange Festival ont sorti leur plus belle boule de cristal pour nous montrer un futur étrangement familier, sorte de réalité parallèle à la fois attirante et inquiétante.
« Peripheria » de David Coquard-Dassault propose une immersion dans une époque indéterminée où la vie humaine semble avoir disparue. Toutefois, des témoignages de leur passage sur Terre restent encore présents. Dès les premiers instants du film, nous sommes frappés par le contraste saisissant entre l’architecture massive et désertée de ces cités-dortoirs et le silence qui entoure ces imposantes masses de béton. Sorte de vestige d’une présence humaine, cette Pompéi des temps modernes voit son repos perturbé par les aboiements de chiens errants. Comme dans le célèbre roman de Clifford D. Simak, « Demain les chiens », la population canine semble avoir pris possession de ce territoire abandonné par les humains. Même s’ils restent absents du film, « Peripheria » met indirectement cette disparition au centre de son dispositif.
Dans son précédent film « L’Ondée », David Coquard-Dassault mettait aussi en scène des personnages dans un contexte urbain. Sous une pluie diluvienne, les êtres humains tentaient tant bien que mal de se mouvoir dans une ville aux tours d’immeubles démesurément grandes tandis que des oiseaux prenaient leur envol vers d’autres horizons. Frontalité et contrastes sont bien les maîtres mots de la mise en scène de ces deux films. Avec ou sans leurs occupants, ces bâtiments faramineux ne paraissent ne jamais avoir été adaptés à l’Homme ; d’un film à l’autre, le réalisateur semble même émettre l’hypothèse qu’ils ont peut être même favorisé sa disparition laissant ça et là des traces de vie encore perceptibles.
En terme de contrastes, on peut dire que le rutilant film de Keiichi Matsuda, « Hyper-reality » n’est pas en reste. C’est même une vraie mise en image d’un futur tellement proche que l’on pourrait presque l’effleurer du bout des doigts ! Ce réalisateur anglo-japonais propose une approche du quotidien imprégnée de “réalité augmentée” où réalité physique et réalité virtuelle seraient intimement mêlées jusqu’à ne faire qu’une seule et même unité. Cette séduisante mais néanmoins intrigante proposition de six minutes montre avec un fourmillement de détails digne des plus grisantes salles de casino comment chaque interaction avec le monde qui nous entoure pourrait être régentée par la technologie. Dans ce film, on suit à travers les yeux d’une jeune femme une déambulation dans les rues de Medellin (Colombie) et aux alentours. Sa vision se voit parasitée par des sollicitations tous azimuts et chacune de ses actions se voit conditionnée à cet environnement virtuel comme si rien ne pouvait être fait autrement.
Certains verront dans ce film une prouesse technique, d’autres un certain avant-goût de l’enfer virtuel quotidien qui nous attend. Une chose est sûre : pensez à bien mettre à jour la dernière version de votre système d’exploitation après avoir lu ce papier…
Programme n°6 – Bipèdes et autres bestioles
La 22ème édition de L’Étrange Festival se clôt par une programmation chargée (15 films), fourmillant de bestioles en tous genres, papillon, cheval, gastéropode et autre enfant à deux têtes. Pénétrons doucement cet univers sauvage, laissons de côté le beau et sombre « Dernière Porte au Sud » de Sacha Feiner (Prix Format Court au Festival Le Court en dit long 2016) et intéressons-nous plutôt à deux œuvres d’animation singulières.
Nouvelle création du tandem magique Vincent Patar et Stéphane Aubier (leur autre film « La rentrée des classes » est d’ailleurs évoqué dans le programme n°4), « Le Bruit du Gris » a été réalisé dans le cadre de la collection « Dessine Toujours ! », lancée à la suite des attentats contre Charlie Hebdo (en janvier 2015), pour réfléchir sur la liberté d’expression.
Film-concept métaphorique reprenant les personnages de « Panique au Village, » à savoir Cheval, Cowboy et Indien, pour les confronter à la répression artistique, « Le Bruit du Gris » a trouvé une forme de simplicité d’exécution qui étaye à merveille son propos. Cheval, Cowboy, Indien et leurs amis investissent le hall d’une maison sans vie, aux murs gris et livides, et commencent à peindre, écrire, jouer de la musique, lui redonnant des couleurs, « du rose aux joues ». Soudain un homme informe et colérique déboule pour tout arrêter, leur faire vider les lieux à « coup de pied gigantesque » et tout remettre en bonne et due forme : vide, morne, complètement éteint… Seulement, la vie continue d’elle-même, et dans une boucle formelle infinie, les apprentis « artistes » reviennent investir les lieux pour notre plus grand plaisir. Fin et intelligent, « Le Bruit du Gris » est un film sobre, presque minimaliste, mais d’une grande puissance évocatrice, à la fois éducatif et complètement libre.
Imaginez un instant, que vous êtes de nouveau un petit garçon ou une petite fille et vous êtes naturellement intéressé(e) par tout ce qui relève du monde des adultes, tiraillé(e) par l’envie d’en découvrir plus sur tous ses aspects les plus troubles. « Don’t Tell Mom », de la réalisatrice japonaise Sawako Kabuki, est fait pour vous.
Utilisant la forme du film éducationnel entièrement perverti, « Don’t Tell Mom » est une sucrerie trash, un film d’animation expérimental et dépravé qui initie aux choses de l’amour à travers une comédie musicale des plus débraillées. Dans un style à la fois naïf et libidineux, « Don’t Tell Mom » est une farce irrévérencieuse pour adultes, un karaoké de débauche à chanter à tue-tête, dans son coin, à l’abri du regard de vos parents… On vous aura prévenus !