Défricheur de grand talent qui fit de la télévision un terrain de jeu pour tous les allumés de formes courtes sortant de l’ordinaire, Alain Burosse est le créateur d’émissions cultes (Haute Tension, L’œil du Cyclone, Avance sur Images) qui ont façonné l’imaginaire collectif de plusieurs générations, mais également le « Mr court métrage » de Canal + pendant deux décennies, fonction qu’il occupe depuis à l’Étrange Festival. Rencontre avec un homme passionné d’images, passeur invétéré et cinéphile insatiable.
Quel est votre parcours et comment en êtes-vous venu à créer les Programmes Courts de Canal + ?
Je me suis retrouvé un peu « bombardé » responsable des Programmes Courts, c’était un nouveau titre à Canal + en 1984, et notre mission était de remplir des cases qui s’appelaient les « Surprises », avec des durées variées, diffusées entre deux films ou alors entre du sport et des films. Un peu comme, je déteste cette appellation et ce qu’elle sous-entend, des programmes de complément, faisant office de bouche-trou.
Je n’y connaissais franchement rien quand je suis arrivé. Il se trouve que je faisais avant une émission sur la 2, dans Les Enfants du Rock, quelque chose de plutôt néo-punk qui s’appelait Haute Tension et qui diffusait essentiellement de l’art vidéo. Mais tout de suite, j’ai plongé dans le bain en achetant des courts métrages un petit peu partout, et j’ai eu un déclic, en février 1985, la première fois que je suis allé au Festival de Clermont-Ferrand, beaucoup plus petit et modeste à l’époque. C’est vraiment là où j’ai découvert le court métrage.
Après ce festival, je suis allé au Festival d’Annecy, ainsi qu’au Festival de vidéo de Montbelliard. Au bout d’un an, j’avais une idée assez précise de tout ce qui pouvait se faire en court métrage. Nous avions les moyens pour acheter des films, et puis, petit à petit, Canal + a commencé à gagner de l’argent, donc nous avons eu aussi les moyens de produire et de pré-acheter. C’était un peu l’âge d’or de Canal + par rapport au court métrage, nous sommes devenus partenaires de Clermont-Ferrand et d’Annecy, et nous avons créé des émissions spécifiques de courts métrages. Nous pré-achetions un nombre considérable de courts métrages de tous genres, il pouvait y avoir de la fiction, de l’expérimental, de l’animation. Cela pouvait être des petits films de cinq minutes comme d’autres plus longs, par exemple « Carne » de Gaspar Noé, qui débordait considérablement de notre case, censée durer une vingtaine de minutes au départ. Mais de temps à autre, nous débordions quand le film nous semblait important.
Je suis parti en 2001, et Pascale Faure, qui travaillait déjà avec moi, a pris le relais. Depuis, elle s’occupe des courts métrages à travers Mickrociné notamment, ainsi que les pré-achats de courts métrages et les partenariats comme Clermont.
Pouvez-nous parler de la création de L’œil du Cyclone ?
Avant L’œil du Cyclone, il y a eu une émission qui a duré au moins deux ans, mais qui est beaucoup moins connue et qui s’appelle Avance sur Images. C’était un magazine centré sur l’art vidéo. Au bout de deux ans, nous avons pris conscience que nous manquions de matière. Nous nous sommes dits que nous allions créer un nouveau projet, une émission qui ne ressemblerait à rien de connu et qui montrerait un foisonnement d’images provenant du monde entier, mais aussi en fabriquant nos propres images, ce fut L’œil du Cyclone.
Nous voulions qu’il n’y ait aucun présentateur, ou du moins qu’il y ait une présentation, mais qui soit différente à chaque fois. Nous avions seulement la contrainte de la durée, qui était de 26 minutes, et l’horaire de programmation, en règle générale, le samedi en début d’après-midi. Nous avions cette chance de posséder les moyens financiers de faire ce que l’on voulait ainsi qu’une grande liberté artistique. Évidemment, il y avait des choses un peu pointues et tout ce qui relevait de la pornographie ou de l’humour trop potache, nous ne devions pas y toucher. Nous nous sommes quand même rattrapés dans La Nuit du Cyclone en faisant passer les images qu’on adorait et qui nous étaient interdites de diffusion.
Puis, l’émission s’est terminée, mais sans que l’on nous demande d’arrêter. Nous nous sommes plutôt sabordés nous-mêmes en nous disant que ce n’était pas plus mal de s’arrêter sur une bonne note. Je me suis rendu compte, au bout de quelques années, que le système que l’on avait mis en place pouvait être interminable, sans fin, donc nous avons préféré arrêter avant de nous lasser. Ce qui m’intéressait, c’était avant tout de créer une émission culte, un ovni de la télévision.
Comment avec Canal +, ainsi que personnellement plus tard, en êtes-vous venu à collaborer avec l’Étrange Festival ?
Cela remonte à l’époque où l’Étrange Festival se déroulait au Passage du Nord-Ouest, c’est-à-dire au « millénaire dernier ». Au sein des programmes courts, nous avons tout de suite vu que Frédéric Temps assurait une programmation plus originale par rapport à ce qui faisait alors. Donc, nous avons naturellement commencé à le soutenir et, assez rapidement, à devenir partenaire de l’Étrange, notamment en remettant un Prix Canal du meilleur court métrage.
Je ne participais pas encore à la programmation, j’ai commencé à m’y investir une fois parti de Canal +. À l’époque, j’étais président d’une autre manifestation, le Festival du Film Gay et Lesbien de Paris, et au moment de mon départ de ce festival, Frédéric Temps m’a proposé d’intégrer l’Étrange, j’ai dit oui assez facilement.
La compétition de courts métrages existe depuis de nombreuses années, mais au départ, il n’y avait pas autant de séances. Il y en a eu quatre pendant longtemps, puis l’année dernière, nous sommes passés à cinq, et maintenant six pour marquer le coup. Il y a également les programmes spéciaux « 20 ans d’Étranges courts » préparés par Canal + qui montrent un panel de films importants qui ont marqué toutes ces années, avec des auteurs que l’on a suivis au fil des ans et qui sont devenus des réalisateurs confirmés, comme Bill Plympton (« Santa : The Fascist Year »), Guy Maddin (« Sissy Boy Slap Party »), Bill Morrison (« Light Is Calling »), Patar et Aubier (« Les Baltus au Cirque »), David Lodge (« La Comtesse de Castiglione »), etc.
Comment définiriez-vous la ligne directrice de l’Étrange Festival ?
Si l’on entend par là la ligne artistique ou esthétique, les films doivent posséder quelque chose relevant de « l’étrange », mais la définition étant plutôt large, cela permet de faire entrer dans la compétition de nombreux courts différents allant de l’expérimental pur et dur jusqu’à de la comédie plus classique, avec juste un petit côté bizarre.
Ce que nous avons essayé de faire en plus cette année, c’est de thématiser les différentes séances. Nous avions eu des retours de spectateurs qui se plaignaient que ce soit un peu bric-à-brac au niveau de l’agencement de la programmation, que l’on passait d’un genre à l’autre, ce qui personnellement ne me gêne pas vraiment et fait la richesse des propositions. Pour la première fois, nous avons regroupé les films sous des thèmes particuliers. Mais, j’ai l’impression qu’au final, malgré tout, les spectateurs viennent surtout voir les courts de l’Étrange parce qu’ils savent qu’ils vont voir des choses différentes qu’ils ne verront pas ailleurs.
Avez-vous eu envie de passer à la réalisation pendant toutes ces années de défrichage et de programmation ? Et si oui, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos films ?
J’ai surtout réalisé des films documentaires, mais jamais de fiction, c’est quelque chose qui me fait peur. J’aurais du mal à travailler avec des comédiens, par exemple, je ne saurais pas comment les gérer. Je me sens beaucoup plus à l’aise dans la forme documentaire ou expérimentale.
En documentaire, j’ai fait deux épisodes de L’œil du Cyclone, un qui portait sur les personnes hermaphrodites, et qui s’appelle « L’hypothèse Hermaphrodite », l’autre, « Glozel », en rapport avec un mystère archéologique, sujet qui m’intéresse par dessus tout, puisque j’ai fait des études d’archéologie à la base. Je me suis retrouvé un peu par hasard dans le monde merveilleux des médias, mais ce que je voulais faire, c’était égyptologue.
J’ai également réalisé un film pour Arte, un voyage dans une oasis égyptienne, « Siwa », endroit très particulier, à trente kilomètres de la Lybie, ainsi qu’un autre film, co-réalisé avec une amie, sur la deuxième île de Cuba qui est moins connue et qui s’appelle « l’Île de la jeunesse ». Je travaille actuellement sur un nouveau projet, expérimental, mais je ne peux pas en dire plus, car c’est tellement à l’état d’embryon que j’ai peur de faire une fausse couche…
Je n’ai cependant jamais officié dans la fiction, c’est quelque chose qui me fait peur. Les comédiens, par exemple, je ne saurais pas comment les gérer. Je me sens beaucoup plus à l’aise dans le documentaire que dans une forme fictionnelle. Je travaille actuellement sur un nouveau projet, expérimental, mais je ne peux pas en dire plus, car c’est tellement à l’état d’embryon que j’ai peur de faire une fausse couche…
Propos recueillis par Julien Savès et Julien Beaunay