Sélectionné dans la compétition internationale des courts-métrages de la nouvelle édition du Cinéma du Réel, le documentaire « L’Amie d’Amélie » de Clémence Diard nous plonge dans l’intimité d’une relation entre deux sœurs. L’une est la réalisatrice elle-même et l’autre l’Amélie du titre, jeune femme atteinte d’autisme et dont la prise en charge par sa sœur le temps d’une semaine constitue le prétexte d’un tournage élaboré dans son plus simple appareil : une caméra numérique, la filmeuse d’un coté et la filmée de l’autre. La jeune cinéaste, ancienne étudiante de la Fémis issue du département montage, livre un film de fin d’études étonnant dont l’épure et l’apparente simplicité du dispositif parviennent à reposer et éclairer les enjeux du cinéma documentaire.
La séquence d’ouverture du film nous emmène dans un premier temps en terrain connu : un montage d’images d’archives extraites de bandes VHS sur lesquels sont enregistrés les jeux d’enfants de la réalisatrice et de sa fratrie nous est présenté, et succinctement commenté par une voix-off nous plaçant d’emblée dans la confidence. La voix est celle de Clémence, et les quelques mots qu’elle pose sur ces images livrent l’essentiel des informations dont nous aurons besoin pour appréhender le récit à venir, ou tout du moins son point de départ : celui de sa relation avec sa sœur Amélie, diagnostiquée autiste à la naissance et dont la cinéaste confesse de «ne pas avoir pardonné le handicap durant son enfance». L’on pourrait craindre à cet instant que le film réduise son champ à celui d’une frontière délimitée par le handicap, et que l’ambition qui en découle nous amène sur le terrain rebattu d’un léger bousculement de notre zone de confort vis-à-vis de ce sujet et de sa représentation.
La réalisatrice résout assez vite cette question dès lors que nous entrons dans l’espace-temps de cette semaine où elle garda sa sœur, profitant de cette intimité retrouvée pour la filmée au présent de leur relation et de leurs possibles échanges. En occultant nullement dans les premières séquences la gaucherie d’Amélie, ses écarts de conduites et ses moments de ressassement, la réalisatrice trouve l’angle juste et pose un regard bienveillant sur son sujet en cela qu’elle nous le donne dans son acception la plus prosaïque. La représentation du handicap n’est dès lors plus envisagée comme une fin en soi, mais comme l’espace d’un échange particulier que la proximité permise par le tournage documentaire peut nourrir en l’investissant de nouvelles questions, de nouveaux enjeux.
Rapidement, un troisième acteur intervient au milieu de cet échange privilégié entre la réalisatrice et sa sœur : l’énigmatique Christine, esthéticienne et vraisemblablement amie d’Amélie qu’elle ne cesse d’évoquer au cour de ses discussions avec Clémence et qu’elle souhaite convier à un goûter. Un fil narratif se dessine alors progressivement et transforme la rencontre éternellement repoussée avec l’esthéticienne en véritable feuilleton, dont l’intérêt principal tient dans le déplacement des enjeux du récit qu’il opère en fabriquant un hors-champ inattendu. L’intelligence de la cinéaste se traduit alors par la prise en compte de cette nouvelle altérité, jusqu’à en faire le pivot à partir duquel les rapports entre les différents acteurs du film se transforment et redéfinissent, parfois avec une ironie surprenante, les statuts de chacun.
Car au cours de ce feuilleton, un épisode déterminant survient. Amélie saisit à un moment la puissance de l’outil-caméra et énonce l’envie de réaliser son propre projet pour se rapprocher de son amie absente, matérialisant de ce fait une donnée essentielle de la démarche documentaire : la présence de la caméra comme objet dont le filmeur et le filmé peuvent s’emparer au même moment, chacun construisant son film en parallèle du film de l’autre. Les sœurs finissent par se rencontrer au plus bel endroit, celui du cinéma qui leur offre par le truchement d’une caméra et du hors-champ qu’elle fabrique un espace à investir ensemble.
La réussite du film de Clémence Diard tient dans le fait qu’il ne verse jamais dans le pathos ni dans la démagogie, et replace le geste documentaire au cœur de son projet. En s’emparant d’une matière personnelle qu’elle interroge à chaque instant, la cinéaste entreprend de répondre à son sujet dans le temps de la fabrication plutôt que d’imposer a priori un sens ou un discours quelconque. Si le cadre vacille, l’œil, lui, regarde assurément dans la bonne direction.
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Pour information, le film est projeté ce samedi 21 mars à 18H30 au Luminor, le lundi 23 mars à 13H30 au Cinéma 1 et le jeudi 26 mars à 19H30 au Centre Wallonie Bruxelles.
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