Lors du festival de Cannes 2011, Format Court s’était entretenu avec Serge Bromberg, de Lobster Films, après la projection exceptionnelle de la version restaurée, colorisée et musicale du « Voyage dans la lune », le chef d’œuvre de Georges Méliès. À l’occasion des 20 ans des séances Retour de flamme, fêtés au Balzac jusqu’au 16 décembre, nous revenons sur l’histoire et la sauvegarde de ce film, édité en DVD.
Très tôt, Georges Méliès, l’inventeur des effets spéciaux, des fééries, des trucages, de la prestidigitation et du spectacle au cinéma, a combiné magie et cinéma, imaginaire et merveilleux, apparitions et disparitions dans ses films. Premier succès mondial du cinéma, « Le Voyage dans la lune » (1902) raconte en 15 minutes un épisode fantasmé de la conquête de l’espace bien avant qu’un Américain ne pose le pied sur l’astre lunaire.
Peut-être avez-vous vu ce film muet, en noir et blanc, ultra connu pour son plan emblématique d’obus percutant de façon accidentelle l’oeil de la lune. Si ce titre et l’univers de Méliès vous intéresse, sachez dans ce cas qu’une version couleur du même film a fait son apparition à la fin des années 90 dans un bien fâcheux état et que sa sauvegarde relève du miracle. Cette épopée, Serge Bromberg et Eric Lange, les fondateurs de Lobster Films, nous la relatent justement dans un des multiples bonus de ce DVD, un documentaire intitulé « Le Voyage extraordinaire ».
La face cachée du film, la voici. En 1999, Anton Jimenez de la Cinémathèque de Barcelone se rend chez Lobster pour retrouver des films de Segundo de Chomón, un réalisateur catalan spécialisé dans les films à trucs, dont un film très similaire au « Voyage dans la lune » nommé « Excursion dans la lune » (1908), également présent dans ce DVD. Dans la conversation, il révèle à ses interlocuteurs qu’il dispose d’une copie en couleurs du « Voyage », longtemps considérée comme perdue, en état de décomposition avancé. Eric Lange et Serge Bromberg récupèrent la copie, l’image comporte bon nombre d’impuretés mais est effectivement en couleurs ! Image par image, le film sera photographié et numérisé avec beaucoup de patience. Différents laboratoires seront approchés, sans succès, pour sauver le film, jusqu’à ce que les Américains (Technicolor Creative Services, sous la personne de Tom Burton) réussissent à mener à bien la résurrection du film et à réparer les dégâts du temps, en faisant jouer les moyens modernes et technologiques, à savoir les pixels et les palettes graphiques. Les outils numériques permettront ainsi de rassembler les fragments des 13.375 images du film et de les restaurer. Quant aux images manquantes, perdues ou trop dégradées, elles seront récupérées de la version noir et blanc du film puis coloriées.
La copie d’origine est muette, mais pour compléter ce lifting, un autre projet naît à cette période : celui de transmettre le film à une jeune génération qui ne connaît ni Méliès ni son film et d’accompagner le film d’une musique originale. Le groupe Air, ayant déjà signé des B.O. de musiques de film, la composera, avec comme particularité celle d’écrire une partition continue, puisque le film de Méliès ne comporte aucun dialogues.
109 ans après sa création, « Le Voyage dans la lune » s’offre donc une restauration de premier plan et la créativité d’un groupe français reconnu. Face à de tels changements, certaines personnes s’enthousiasment quand d’autres s’offusquent. Après la projection du film à Cannes, les uns vibraient encore tandis que les autres prenaient à partie Serge Bromberg, ne reconnaissant que la copie originale, avec ses imperfections liées au temps. Seulement, pour le collectionneur, une copie ne prime pas sur l’autre, comme l’atteste la présence sur ce DVD de versions supplémentaires du même film. « Le voyage dans la lune », en noir et blanc, se décline en effet en plusieurs options : muet, versions orchestre et boniments, orchestre seul ou piano seul. D’autres bonus complètent enfin ce DVD : les entretiens avec Air et des auteurs influencés par Méliès (Michel Hazavinicius, Michel Gondry, Costa-Gavras, Jean-Pierre Jeunet), mais aussi deux films de Méliès, plus rudimentaires, et tournant aussi autour de l’astre phare : « Eclipse de soleil en pleine lune » (1907) et « La lune à un mètre » (1908). Pour compléter ces bonus, « Le Voyage extraordinaire » propose aussi de nombreux extraits de films de Méliès et des documents d’époque, dont un émouvant enregistrement de la voix du père du spectacle cinématographique parlant de sa découverte inopinée du trucage.
Article associé : Le Voyage dans la lune de Georges Méliès par Serge Bromberg
Le Voyage dans la lune de Georges Méliès en couleurs : Editions Lobster Films
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