Ultime sélection de la vingtième édition de l’Etrange Festival, le programme 5 des courts métrages en compétition présentait en début d’année pas moins de onze films, tous très différents, avec de nombreux films très courts, faisant la part belle à l’expérimental et l’animation. Petit florilège de quelques courts marquants de cette sélection, allant de l’ours en peluche belliqueux au robot dépressif, en passant par des visions sataniques démentes.
Requiem for a Robot de Christoph Rainer (États-Unis)
Rob est un robot défectueux qui a quelques problèmes de mémoire : il ne se souvient pas ce qu’il a pu faire de mal… Pour comprendre son état, il décide de retourner voir son créateur.
Tourné par Christoph Rainer lors de ses études à la Columbia University de New York, « Requiem for a Robot » a été réalisé avec $200, de la débrouille et quelques bonnes idées. A la manière des personnages de Michel Gondry dans « Be Kind Rewind », le réalisateur a décidé de transformer les problèmes de budget en force, créant un robot avec ce qui pouvait lui passer sous la main, pariant ainsi que ses imperfections le rendrait d’autant plus sympathique auprès du public. Le pari est réussi, le film a un beau parcours en festivals aux quatre coins du globe et a même remporté le Emerging Filmmaker Award au TIFF (Toronto International Film Festival).
Nebenan d’Andreas Marterer (Allemagne)
« Nebenan » est un court métrage d’animation en 3D qui s’insinue subrepticement dans l’intimité des habitants d’un immeuble. La caméra pénètre successivement dans chacun des appartements et révèle les secrets qui y sont dissimulés. Pour incarner les personnages de ces petites histoires anonymes, Andreas Marterer choisit d’utiliser des automates accompagnés des mécanismes apparents qui les font fonctionner, chacun de ces pantins répétant ainsi l’action qui finit par se confondre avec eux-mêmes.
De par son dispositif, Nebenan parvient à rendre explicite à la fois les tourments qu’abritent ces murs et dans le même temps la nature machinale de ces personnages. Un premier film aussi inquiétant que maîtrisé.
Beauty of Mathematics de Yann Pineill & Nicolas Lefaucheux (France)
En à peine 100 secondes, le duo Yann Pineill & Nicolas Lefaucheux nous donnent à voir quelques événements anodins de la vie quotidienne à travers le prisme des mathématiques. Divisant l’écran en trois parties, les réalisateurs ont choisi de mettre en parallèle un objet quelconque avec la formule mathématique qui le définit et le schéma descriptif qui le représente, offrant ainsi une lecture alternative des phénomènes qui nous entourent grâce à leur interprétation simultanée en termes mathématiques. Comme l’indique la citation de Bertrand Russell qui ouvre le film, les mathématiques possèdent “une beauté froide et austère” que ce court métrage parvient habilement à mettre en lumière. « Beauty of Mathematics » trouve le bon équilibre entre l’exercice conceptuel et la tentation de l’esthétisme, le film parvenant à offrir aux néophytes un aperçu de la “beauté suprême” des mathématiques.
Invocation de Robert Morgan (Grande-Bretagne)
Comédie noire à l’ironie mordante, mélangeant animation image par image et film live, « Invocation » du britannique Robert Morgan prend comme point de départ le tournage d’un film d’animation en stop motion que prépare minutieusement un passionné de cinéma en installant d’un côté une caméra Super 8 et de l’autre, l’interprète principal de son futur film, un ours en peluche. Seulement, au cours de cette préparation, l’homme se blesse au doigt et une goutte de sang perle et se loge dans le compartiment caméra. Au début, tout se passe bien, l’homme bouge l’ours patiemment pour enregistrer image par image toutes les décompositions de ses gestes. Mais, alors qu’il commence à martyriser l’ours, une sorte de blob informe apparaît à la base de la caméra et cette dernière se met à enregistrer des images très spéciales qui créent un double monstrueux de l’ours à l’intérieur même du compartiment. Ce double s’échappe et s’en prend sauvagement à l’homme, le transformant en un pantin sanguinolent inanimé qu’il peut ensuite filmer et tourmenter à son tour.
Réflexion malicieuse sur le cinéma et la capture du vivant à travers l’image, mais également comédie frivole à la cruauté délicieuse, « Invocation » jongle aisément entre légèreté revancharde et violence graphique outrancière pour créer, en quelque sorte, une variation gore et filmique de « L’Arroseur arrosé ».
Baskin de Can Evrenol (Turquie)
Film d’ambiance, moite et poisseux, venu de Turquie, « Baskin » suit un groupe de policiers répondant à un appel de routine en pleine nuit, et découvrant sur place un culte satanique ayant invoqué rien de moins que “l’enfer”. Au cours d’un affrontement aussi inégal que particulièrement sanglant, les policiers sont assaillis par des créatures surpuissantes qui ne leur laissent aucune chance. Utilisant les codes classiques du genre fantastique, le film arrive à créer un suspense tout en montée, grâce à la découverte progressive d’un lieu saumâtre et des activités sordides auxquelles s’adonnent ses occupants. Particulièrement efficace dans sa mise en images, « Baskin » joue sur des peurs ancestrales avec un certain brio, allant jusqu’à convoquer l’imagerie lovecraftienne dans le culte infernal pratiqué.
Julien Beaunay et Julien Savès
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