La 19ème édition de l’Etrange Festival qui s’est terminée il y a 15 jours est restée résolument fidèle à sa ligne éditoriale, ouverte aux quatre vents, avec une appétence toute particulière pour les films irrévérencieux et inclassables. Les programmes courts 3 et 4 que nous vous proposons de découvrir n’ont pas dérogé à la règle.
Le programme n°3 commençait avec un film d’animation et d’anticipation « Last Breath » réalisé par Ying Ping Mak, qui dépeint une société devenue intolérante, représentée par un lapin faussement naïf. Yeuk Seng, jeune employé de bureau, comprend qu’il est devenu un paria et tente de continuer à vivre dans une ville où il n’a plus sa place. Pour échapper à la surveillance de la police, il ingère un produit qui provoque des effets secondaires indésirables. Dans ce film, le décalage entre la violence de la répression et sa représentation est saisissant : tandis que la fuite en avant du personnage s’intensifie, le monde qui l’entoure se fait de plus en plus oppressant et angoissant. L’utilisation habile de sons et d’un certain type de graphismes inspirés des jeux vidéo des années 80 (8 Bits) participe également à ce jeu en eaux troubles.
On continua avec « Fist of Jesus », biopic espagnol désopilant sur la vie du plus célèbre habitant de Nazareth. Suite à l’un de ses sermons sur la montagne, Jésus – accompagné de son fidèle compagnon Judas – est conduit devant le corps inerte de Lazare. Le miracle a lieu : Lazare se réveille alors d’entre les morts… transformé en zombie ! Avec brio et humour, David Munoz et Adrian Cardona revisitent ici plusieurs épisodes de la vie de Jésus, quelque part entre « La vie de Bryan » des Monty Pythons et les joyeux drilles de « Shaun of the Dead » réalisé par Edgar Wright. On est d’autant plus curieux que le tandem prépare actuellement un long métrage qui répond au doux nom de « Once upon a time in Jerusalem ».
« Lonely Bones » est le nouveau film de Rosto, artiste protéiforme qui s’est d’abord fait connaître avec ses romans graphiques (en particulier « Mind My Gap ») qu’il a ensuite adapté en courts métrages. Avec « Lonely Bones », il signe un deuxième film inspiré du projet « Thee Wreckers » après « No Place Like Home », réalisé en 2008.
Le réalisateur poursuit ici son exploration des mondes sombres et tourmentés : on y voit un homme à la tête trouée s’échapper de sa chambre et errer dans un monde abandonné, où le temps et l’espace se confondent. Comme dans les précédents films de Rosto, les ambiances lugubres et inquiétantes sont particulièrement réussies, laissant le spectateur se perdre dans l’impénétrable univers de cet Hollandais qui ravira les amateurs de “mythologie lovecraftienne”.
Phillip Barker continue lui aussi à cultiver ses sujets de prédilections. Avec « Malody », il brouille les pistes et les repères spatio-temporels en livrant un film énigmatique qui joue habilement avec la perception du spectateur et les codes de la fiction. Entre expérimentation et trouvailles visuelles, voici bel et bien un film malade et déconcertant à l’image de son personnage principal, dont nous vous invitons à retrouver la critique sur le site.
Simple et efficace, « Plug & Play », prix Canal + au Festival de Clermont-Ferrand 2013, de Michael Frei est un film d’animation mettant en scène les opposés et ses contraires en noir & blanc avec des prises électriques mâles et femelles qui cherchent à s’emboîter. On pourra y voir ce que l’on veut, mais ce qui est sûr c’est que le charme opère. On poursuit avec « Rauch und Spiegel » de Rick Moore, une jolie digression australienne, symétrique et élégante qui transforme un numéro de trapèze de cirque en volutes poétiques.
Enfin, « Welcome and… our condolences » de Leon Prudovsky, est un faux documentaire teinté d’humour noir racontant les déboires d’une famille russe émigrant en Israël en 1991, au moment de l’éclatement de l’U.R.S.S, qui se retrouve bloqué à l’aéroport avec le corps inerte de leur vieille tante morte avant l’atterrissage de l’avion. Avec un ton enlevé et amusé, le réalisateur choisit de filmer une série de scénettes, adoptant le point de vue de l’enfant apprenti cadreur, témoin candide des tractations et stratagèmes des adultes et des quiproquos et situations cocasses en tout genre. Le film, léger et divertissant, avait remporté le Prix de la Jeunesse au dernier Festival de Clermont-Ferrand.
Le programme n°4 de l’Etrange Festival s’ouvre, lui, sur un film d’animation slovène à l’humour grinçant, « Pandy » de Matúš Vizár, où l’on découvre les nombreuses métamorphoses qui ont amené le panda à devenir ce qu’il est, mais aussi l’être humain à en faire l’attraction vedette d’un zoo. A travers les turpitudes darwiniennes d’un des derniers pandas sur terre et ses problèmes existentiels, on entrevoit avec beaucoup d’ironie une vision pour le moins désenchantée de l’humanité et de la faune terrestre.
On prend de la hauteur avec « Parasite Choi » réalisé par Damien Steckpour, sorte d’introspection d’un homme errant au milieu de montagnes arides et reculées. Au service de ses visions, 15 artistes issus de 10 pays différents ont collaboré avec le réalisateur pour concevoir des effets spéciaux de toute beauté : une mise en image non sans emphase, un film en forme d’objet d’art.
On tombe ensuite sans prévenir au milieu d’un cauchemar halluciné aussi gore qu’hilarant : le très réussi « Perfect Drug » du Flamand Toon Aerts ou comment une banale livraison de drogues sur le parking d’un hôtel se transforme en un véritable exutoire. Exubérant et joyeusement timbré, le réalisateur joue avec les codes du film noir pour prendre la tangente et filmer les hallucinations de ses personnages (qui rappellent celles qu’on avait pu voir dans « Trainspotting » de Danny Boyle). Une direction artistique très soignée (production : Koen Mortier), un casting tout à fait remarquable. On a hâte de voir le prochain film de Toon Aerts !
Tandis que le film s’achève et que les drogues continuent a produire leurs effets, on peut voir « Shift » réalisé par Max Hattler, un film en stop motion de 3 minutes où les objets et les formes se frôlent, s’assemblent pour créer des visages ou des silhouettes familières.
Un véritable bad trip visuel surgit alors de l’écran pour près de 30 minutes avec « Vexed » du collectif Telcosystems. Des lignes instables et magnétiques envahissent la salle, accompagnées de sons répétitifs, faisant varier les couleurs et notre persistance rétinienne. Les motifs visuels et les sons reviennent inlassablement avec, à chaque vague successive, une légère nuance : une véritable expérience sensorielle, de quoi hypnotiser définitivement et durablement les spectateurs.
On sort du tunnel pour finir ce programme avec « Solipsist » de Andrew Thomas Huang qui nous propose un essai visuel riche en couleurs et en interprétations, où trois formes distinctes et complémentaires se rejoignent à la fin du film dans une éclatante et nébuleuse explosion. Dualité, matières et mouvements : le réalisateur capture avec virtuosité ces fulgurances dans ce voyage onirique. Un véritable régal pour les yeux.
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