24 courts métrages concouraient dans la compétition nationale du festival namurois. Une sélection qui, à nouveau, laissait transparaître les questionnements des réalisateurs d’aujourd’hui. De la difficulté de s’affirmer pour exister à la solitude et la recherche du désir perdu en passant par le spleen brumeux de héros décalés… Une programmation soucieuse de montrer la diversité cinématographique du plat pays. Topo de ce qui a tapé dans l’œil.
S’affirmer pour exister
« Zinneke » est un terme hybride désignant, en bruxellois, un (chien) bâtard. Pour son film d’études, Rémi Allier, issu de l’IAD (Louvain-la-Neuve), a voulu filmer les pérégrinations de Thomas, qui du haut de ses 9 ans, cherche à se faire accepter de Bruno et Pascal, deux brocanteurs du marché aux puces de la place du Jeu de balle à Bruxelles. Bien ancré dans la lignée fictionnelle des gamins bruxellois goguenards tels que les Manneken pis et autres Quick et Flupke, n’ayant pas leur langue dans leur poche, Thomas a cet âge trouble où l’innocence rencontre l’audacieux bagou. Attiré par les allées et venues du tandem de brocanteurs flamands, le petit trublion fait des pieds et des mains pour les accompagner dans leur camionnette remplie de « brol ». Ainsi embarqué avec les « grands », il a la satisfaction de faire partie de la bande, même si le rite initiatique consiste à voler des objets de valeur chez les bourgeois du coin. Une mise en scène dynamique laisse entrevoir un style proche du documentaire où l’on pressent toute l’importance des points de suspension.
Et si Thomas avait grandi, c’est sans doute sous les traits d’Alex qu’on le retrouverait. Le héros de La Part sauvage de Guérin Van de Vorst a 20 ans et une envie folle de tout faire péter. Entouré de sa bande de potes avec qui il fait les quatre cents coups, il sait tout au fond de lui qu’il est temps de se ranger et de s’investir sérieusement dans la formation de soudeur qu’il a décidé d’entreprendre. Une caméra mobile, à l’image de nos 20 ans remplis d’espoir et de désillusions naissants, montre la difficulté de grandir. Jérémie Ségard, découvert dans le film L’Enfant des frères Dardenne campe un Alex tout en nuances, partagé entre le besoin d’exprimer sa colère par la destruction et la nécessité de rentrer dans les rangs de l’âge adulte. Avec La Part sauvage , Guérin Van de Vorst nous offre un joli portrait d’adulescent.
Elisabet Lladó, quant à elle, dépeint le milieu des banquiers et des agriculteurs dans un film à la réalisation maîtrisée. Le Conseiller, c’est Christophe, un banquier dont l’ambition n’a d’égale que celle d’Arthur, un agriculteur qui reprend la ferme familiale. Quand le premier doit faire du chiffre pour gravir les échelons de la société, le second se voit obliger de s’agrandir et contracter emprunt sur emprunt pour rester compétitif. L’absurdité d’un système économique est ainsi admirablement dénoncée dans une fiction irréprochable. Elisabet Lladó opte pour une mise en scène sobre et froide reflétant l’avarice dévorante du banquier. Les personnages en face-à-face s’affrontent plus qu’ils ne se rencontrent. Les étendues verdoyantes apparaissent dès lors comme un paradis perdu et déshumanisé où tout espoir a disparu.
Ô Féminin
Alors que les trois films précédents traitaient de la nécessité masculine de s’affirmer, deux films de la sélection attirent l’attention par leur façon toute personnelle d’aborder le féminin.
L’Inconnu est une histoire simple, en somme. Une veuve apprend a posteriori que son mari la trompait. Banal, oserait-on dire. De cette banalité de pitch, Anne Leclercq tend à émouvoir et à titiller les sens, grâce à un savoir-faire dont elle avait déjà fait preuve dans Dissonance (Prix du Jury au FIFF en 2010) mais qu’elle approfondit davantage. En ayant appris la vérité, la vieille dame qui s’était montrée aimable et vive quelques minutes avant, plonge dans une douce folie, et le monde qui l’entoure se révèle alors aussi étrange qu’hostile. Elle laisse là ses petits-enfants et s’enfuit. À mesure qu’elle s’éloigne de sa maison (lieu de repères solides et durables) pour se réfugier quelque part dans la forêt, l’héroïne s’écarte de la réalité. La nature, filmée en de grands plans-séquences et en contre-plongée, rend compte du vertige de l’héroïne qui s’y abandonne complètement. Dotée d’une réalisation psychologique, L’Inconnu reste une très belle exploration de l’intime et du féminin.
Le second court métrage est la première réalisation de la comédienne Salomé Richard qu’on a pu voir dans Pour toi, je ferai bataille et Les Navets blancs empêchent de dormir de Rachel Lang, notamment. Septembre est une longue (dé)monstration d’une jeune fille en quête de désir, elle qui n’est plus désirée par sa douce moitié. Salomé Richard nous parle du couple avec maladresse et ennui car, elle l’a bien compris, c’est dans les failles que la vérité apparaît dans sa plus noble nature. Le film traite du désir féminin, le montre sans détours et sans faux semblants.
Spleen sentimental
C’est un autre acteur que nous retrouvons derrière la caméra de Houle sentimentale. Tom Boccara, étudiant à l’IAD, a joué dans plusieurs courts métrages dont l’excellent Thermes de Banu Akseki. Pour son film de fin d’études, Boccara offre un univers à l’humour décalé et loufoque. Le Belge serait-il influencé par un certain Kaurismäki ? Peu importe pourvu qu’on en ait l’ivresse. Dans cette houle des sentiments, une jeune femme, (se) fête son anniversaire, toute seule, confinée dans une roulotte à la décoration originale. On ne sait pas s’il faut rire ou pleurer. Sans aucun dialogue, l’émotion naît de la rencontre des contraires. Le film de Boccara est un plaisir pour les yeux et les oreilles dans la lignée des cinéastes absurdes.
Dans une veine plus animiste, Simon Gillard réalise l’un des trop rares documentaires de la sélection. Etudiant à l’INSAS, quand il découvre le Burkina-Faso, il sait qu’il doit y retourner avec sa caméra pour filmer les gens qu’il a côtoyés, les paysages qu’il a vus. Ce sera Anima, un documentaire envoûtant, où les images d’une beauté saisissante construisent la narration. Esthétisée, la réalité offre une autre perspective, loin (très loin) des clichés habituels. Un regard transcendé qui sublime la terre, le travail, les gestes et les hommes de cette partie reculée du monde pour lui rendre hommage tout simplement.
En lice pour le César de l’animation avec son Betty’s Blues, Rémi Vandenitte peut avoir le cœur léger et le sourire aux lèvres. C’est que l’auteur de Grise Mine a su séduire les membres du Comité Animation de l’Académie des Arts et Techniques du Cinéma grâce à la maîtrise de techniques variées (marionnettes en stop motion, animation en 2D) au service d’une histoire émouvante, celle de Blind Boogie Jones, dans la Nouvelle–Orléans des années 20. Chantée sur des accords de guitare, la légende du jeune noir américain se laisse découvrir et apprécier facilement. Sur fond de racisme, de violence et de Ku Klux Klan, Betty’s Blues est une animation qui transpire la tristesse de la souffrance et l’extase de la vengeance.