Proposé en collaboration avec le site internet Critikat.com, le programme « Pays rêvés, pays réels » présenté ces derniers jours au Cinéma du Réel se compose d’une sélection de films contemporains courts et longs traitant au sens large de représentations imaginaires, fantasmées ou concrètes que les individus portent sur des espaces géographiques d’ici ou d’ailleurs.
La sélection de courts métrages s’articule autour de six films. Certains sont orientés vers un imaginaire fort, comme « L’île » de Pauline Delwaulle (France) qui explore une forme documentaire à la frontière de la fiction en utilisant des textes de récits de voyage qui illustrent les images contemporaines. D’autres, en revanche, sont très ancrés dans une réalité sociale comme « Mitote » où le réalisateur, Eugenio Polgovsky (Mexique) jongle entre contexte politique, rituels culturels et rassemblement sportif.
Comment rêver, s’extraire d’une réalité parfois trop dure à porter pour les populations, les individus ? Comment s’accomplir dans un monde en mutation ? Quelles vies peut-on s’autoriser dans la marginalité, dans la norme ? À quel moment basculer dans la folie douce pour mieux accepter sa condition réelle ? Autant de questionnements qu’abordent les réalisateurs dans ces films courts qui interrogent l’individualité et le groupe.
Chacun à sa manière, avec son propre spectre de connaissances et d’envies cinématographiques, explore les pays et paysages. Chez Bertille Bak, on regarde même du côté de l’art contemporain. Le film « Transport à dos d’hommes » (France) use en effet de procédés artistiques relevant du happening mis en scène au sein d’une population de voyageurs comme pour surligner leurs pratiques : le mouvement, toujours le mouvement vers l’ailleurs.
À l’opposé, dans son court métrage « A Cerbère » (France), Claire Childéric filme au plus près les gestes répétés d’ouvriers dans un entrepôt ferroviaire et fige ainsi leur vie dans cet espace unique où les trains partent sans jamais emmener les ouvriers à leur bord. À Cerbère, la vie continue mais flotte sur les vestiges d’un prestigieux passé qui n’est plus. Ultime trace architecturale du faste d’antan : l’hôtel qui n’est plus qu’une coquille vide presque muséifiée.
Dans ce programme, la part belle est faite aux productions récentes avec des films encore peu vus. Seul le court métrage de l’inimitable Luc Moullet datant de 1995 « Imphy, capitale de la France » ouvre un regard sur le contexte avant la crise dans laquelle ont été réalisés les autres courts métrages. Ce film offre ainsi une bouffée d’air rieuse dans ce programme qui tend plutôt vers la nostalgie d’un monde passé et une certaine mélancolie de l’ailleurs.
Pour autant, le programme ne donne pas dans le fatalisme, les hommes semblent tous trouver des ressources pour s’extraire de leur réalité par l’imaginaire. Le film biélorusse « Wooden People » de Victor Asliuk représente sans aucun doute le mieux la capacité humaine à s’inventer un monde pour survivre. Un vieil homme seul dans un village abandonné s’est ainsi récréé une vie où il est prophète en son pays, un pays peuplé de figurines en bois qu’il façonne de ses mains.
« Pays rêvés, pays réels » est un programme qui transporte le spectateur dans des moments de vie d’individus aussi différents dans leurs existences quotidiennes que semblables au regard de leurs rêves. L’imaginaire est, semble-t-il, le propre de l’homme, et pourtant dans les récits des courts métrages présentés ici, les pays les plus rêvés sont aussi ceux où les hommes sont les plus absents.