Le contremaître est mort, vive le contremaître !
Sélectionné en compétition Labo à Clermont-Ferrand cette année, « Men of the Earth » n’est que le deuxième opus du jeune Australien Andrew Kavanagh, mais affirme déjà son style caractéristique et inimitable. Tout aussi singulier que « At the Formal », découvert l’an dernier, la ciné-expérience aborde, cette fois-ci, les rituels mystérieux auxquels se prêtent des ouvriers de la voirie.
Un travelling lisse suit les travaux dans les coulisses d’une route momentanément fermée à la circulation. Sous un soleil brûlant, des ouvriers municipaux coordonnent méticuleusement leurs activités. Cette scène des plus quelconques – en contraste frappant avec le tableau esthétisé de « At the Formal » – réussit néanmoins à capter l’attention, tant la chorégraphie représentée dément l’impression de banalité. En effet, l’anguille émerge de sa roche dès lors qu’un des ouvriers est mis à nu, rituellement lavé et rhabillé par ses confrères. Il se révèle alors que la caméra oblective mais intrusive a pour vocation de filmer un enterrement formel et la transmission du casque du contremaître défunt à son successeur.
Le temps est comme suspendu d’un bout à l’autre du film, précisément entre le moment où une voiture de jeunes, filmée en plan subjectif, attend la réouverture de la route après la cérémonie d’inhumation. À l’intérieur de cet encadrement temporel, Kavanagh, usant de moyens narratifs étonnamment économes et surtout très réalistes (rappelons-nous a contrario le sacrifice surréaliste à la fin de son premier film), parvient à créer un univers de magie cinématographique, où le spectateur est transporté autant dans les sensations que dans l’émotion. La superbe partition musicale sous forme d’un chant funèbre arrangé pour voix d’hommes a capella mérite une mention particulière dans ce contexte.
Encore une fois, Kavanagh piège même le plus sceptique d’entre nous par sa créativité envoûtante qui consiste à creuser une situation anecdotique pour y découvrir toute une dimension insoupçonnée et remettre en question notre manière de voir le quotidien.