Avec « Malody », un huis clos autour de la chute physique et mentale d’une jeune femme malade qui laisse autour d’elle un décor sans dessus dessous, Philipp Barker poursuit son expérimentation autour de ce que montre ou cache le cinéma et de ce que l’image recèle de mystère. Dans ses précédents films « I am always connected » et « Regarding », le réalisateur transportait déjà les spectateurs dans un jeu de faux semblants en élaborant des dispositifs cinématographiques, actionnés avec maestria, qui nourrissaient ses fictions tant d’un point de vue narratif que visuel.
Barker invente un cinéma qui joue avec ses propres codes techniques. En rendant visible ce qui ne devrait pas l’être, il propose une nouvelle dimension esthétique. « Malody » est en ce sens sans doute la plus aboutie des ses réalisations. D’une part, il réussit à créer visuellement une ambiance surréelle en suspendant le temps, l’espace d’un instant à l’image du Nighthawks de Hopper. D’autre part, il pose sa caméra dans un décor de fast-food comme un œil qui détaille ce qui se passe dans la scène. Chaque objet, chaque mouvement est montré, parfois avec insistance, avec l’aide de gros plans ou encore de ralentis qui guident le regard du spectateur dans ce trompe l’œil. Observateurs autant que voyeurs, on scrute l’espace et on pénètre presque jusque dans les âmes des protagonistes. Le spectacle filmé par Barker, la défaillance physique et mentale d’une jeune femme malade, propose un récit expérimental qui s’appuie essentiellement sur ce qui est cadré et ce qui est hors cadre.
L’obsession de la chambre noire
Philipp Barker prouve encore une fois avec « Malody » tout l’intérêt qu’il porte au processus de réalisation cinématographique. Obsédé par ce qui est symboliquement enfermé dans les caméras, il cherche où se situe l’écart entre ce qui est capté par l’œil et ce qui est rendu sur le film, la pellicule. Barker n’hésite pas à déconstruire la magie du cinéma. Il fait entrer des morceaux de réels dans ses fictions et déroute ainsi les schémas narratifs classiques. Réalisateur, production designer mais également artiste réalisant des installations monumentales, Barker travaille beaucoup sur le thème de l’observation, de ce qui est vu à travers les fenêtres, les miroirs et autres objets qui contraignent l’œil. Avec ces dispositifs filmés, Barker donne un peu à voir ce qui se passe dans la chambre noire. Il brise l’image cadrée initiale en montrant la façon dont sont créées les images avec leur hors champ. « Malody » est un film étrange qui piège le regard. Sa mise en scène est sans concession, et si le parti pris du réalisateur peut en laisser certains sur le bord de la route, il permet néanmoins de prouver encore une fois qu’on ne peut se fier à ce que les images nous donnent à voir.
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