Cela fait presque un mois que l’interview de Vincent Dietschy, Milo McMullen et Estéban, respectivement réalisateur, comédienne et comédien du film « La Vie parisienne », lauréat du Prix Jean Vigo, nominé aux Lutins et aux César 2013, dort d’un sommeil profond dans l’ordinateur de Format Court. Après avoir récupéré d’un souci d’enregistrement, des fêtes de fin d’année et de l’anniversaire du site, la voici enfin en ligne. Entretien à cinq voix autour des écarts, du voltige, de la liberté et des photos floues.
Milo, Estéban, « La Vie parisienne », a-t-elle été votre première expérience cinématographique à tous les deux ?
Estéban : Moi, j’ai mordu les fesses de Jerry Lewis quand j’avais 4 ans et j’ai joué avec Aldo Maccione à l’âge de 10 ans au Venezuela dans un film qui s’appelle « L’aventure extraordinaire d’un papa peu ordinaire » (1989). Le film parlait d’un père acteur à la recherche de son gosse. Boum, c’était moi, le gosse et Aldo, c’était mon papa. J’étais petit, je ne comprenais absolument rien à l’histoire !
Milo : On a vu ce film sur TF1, on l’a beaucoup aimé et on a retrouvé Estéban !
E : Ensuite, il y a eu une grosse période creuse où j’ai été boudé des médias. Mon rôle dans le film était un peu subversif, je dois bien l’avouer ! Du coup, Vincent m’a redonné la chance de faire mon come-back, sur le grand et le petit écran. Merci Vincent (rires) !
M : Moi, je me suis longtemps cherchée. Je suis une touche-à-tout. J’ai fait de la musique avec Arnaud Fleurent-Didier et j’ai tourné dans un court, « La Vie facile », de Julien Rouyet, juste avant ce film. Tous les films que je fais comportent étonnamment le mot « vie » dans leur titre !
Vincent, qu’est-ce qui t’a donné envie de tourner avec envie de tourner avec Milo, Estéban et Serge ?
Vincent : J’ai un double avantage : j’aime les personnages et les acteurs avec qui j’ai travaillés. Je connaissais Serge comme ami, pas comme acteur. J’ai voulu partir de Milo et voir les meilleurs écarts possibles. Il fallait que le spectateur soit à l’aise à l’intérieur de ce triangle, qu’il puisse avoir sa liberté d’imagination pour passer d’un acteur et d’un personnage à l’autre. Au moment des essais, on s’est effectivement rendu compte qu’il y avait beaucoup d’écarts entre chaque acteur.
Qu’est-ce qui t’a convaincu, Milo, d’accepter le rôle de Marion ?
M : Avec Vincent, on en avait parlé, c’était inné.
V : Ça m’a paru évident, j’avais envie de filmer Milo mais ce n’était pas évident parce qu’on se connaissait très bien et l’idée de travailler avec elle a été un cap que j’ai mis beaucoup de temps à franchir. La proximité n’aide pas forcément au travail, c’est difficile d’inclure quelqu’un qu’on connait très bien dans un projet professionnel. Il ne s’agit pas de faire quelque chose de trop privé. J’avais beaucoup aimé son travail sur « La Vie facile », réalisé par l’un de mes étudiants à Lausanne (ECAL) et ses performances sur scène avec Arnaud Fleurent-Didier. Ça m’a donné confiance, m’a décomplexé et donné envie de travailler avec elle. Milo est particulière et naturelle en même temps, elle a un registre très large. Son rôle dans « La Vie parisienne » n’était pas facile : elle est entre deux hommes et elle n’est ni dans la séduction ni dans la fausse ingénuité. Elle est vraiment dans un équilibre.
Et pour Estéban et Serge (Bozon) ?
V : Estéban était une surprise pour moi, je l’ai rencontré le jour des essais. C’est chanteur, c’est un peu une star. Milo m’a montré des vidéos et des interviews promotionnels pour son groupe. Elle était morte de rire en le voyant ! Ce que je trouve très intéressant chez Estéban, c’est qu’il est très comique mais d’une façon originale. D’habitude, on associe la comédie au rythme et à la vitesse, lui, il est super lent. C’est un burlesque lent ! Il a son rythme particulier mais il est aussi très présent, très réactif. La vitesse chez lui vient d’une présence immédiate.
E : C’est ça, je suis lentement drôle !
V. : Quant à Serge, c’est l’inverse, il parle très, très rapidement. Dans la vie, il est extrêmement nerveux. Je l’ai souvent vu dans des rôles décalés. J’aime bien l’idée du contrepoint et ça me semblait drôle de le voir tenter de contrôler une situation qui allait lui échapper.
Le fait que Serge ait une plus grande expérience de la caméra en tant que réalisateur et comédien ne vous a pas posé de problèmes ?
E : C’est vrai qu’il a plus d’expérience, il n’arrêtait pas de nous donner des leçons ! Déjà quand il parle, il cite au moins 4 réalisateurs dans chacune de ses phrases et 6 titres de films ! Depuis, j’ai lu pas mal de bouquins.
M : Moi, je me suis inscrite à la médiathèque depuis le tournage !
V : Il était très pro, il a une connaissance du tournage, il comprend chaque détail de la scène.
Serge, Milo et Estéban sont très différents. Vincent, en formant ce triangle amoureux, avais-tu conscience de leur individualité physique et de leur complémentarité ?
Vincent : Il y avait vraiment un désir très fort, de créer cette altérité. Il fallait qu’ils communiquent, qu’ils interagissent. Au début des tests, ils n’interagissaient pas, mais par le travail, on a trouvé des relations, une façon de communiquer, de s’écouter. Il y avait beaucoup d’écarts, après, il y a eu beaucoup d’interactions.
Tu les as beaucoup dirigés sur le tournage ?
V : Comme je filmais et que je les aime beaucoup, j’avais très peur de les réduire, de les rendre plus petits par rapport à ce qu’ils sont dans la vie. Je leur donnais des indications en même temps que je les filmais, et en voyant les rushes du film dans la chronologie, j’ai été assez vite rassuré car le résultat était meilleur au fur et à mesure de l’avancement du film.
M : Il dirige très bien. Il est super précis, il sait où il va.
V : Dis-le un plus fort parce que c’est gentil !
E : Vincent est à l’aise, tu l’écoutes plus quand tu te sens bien.
V : Quand tu connais bien le projet, que tu es en confiance avec les éléments, si l’acteur fait quelque chose qui va dans un sens qui te plait, tu as envie de le pousser encore plus loin, tu le laisses faire, improviser. Dans le trio, il fallait que chaque acteur ait la conscience de ses partenaires. Il ne fallait pas refermer le triangle. Même dans les scènes à deux, j’ai essayé de faire intervenir le troisième personnage, même si il n’était pas là, soit dans le texte soit dans la situation soit dans le jeu.
Vous deux, comment avez-vous abordé vos rôles ?
M : Le film était très écrit. On a fait pas mal de lectures, il n’y a pas vraiment d’improvisation sur le tournage.
E : Il fallait connaître son texte sinon, on se faisait engueuler ! Sérieusement, le tournage était très réglé dans un esprit très libre.
La liberté d’action, c’était quelque chose d’important pour faire ce film ?
V. : Oui. En général, on est très contraint quand on fait un film. Quand on retrouve une liberté, on en profite car c’est rare d’en avoir. Là, j’avais la possibilité d’avoir un financement et de tourner avec les gens que je connaissais et que je voulais. Avant « La Vie parisienne », j’ai fait un film, un long-métrage, « Didine ». J’avais une équipe de 60 personnes et très peu de temps de tournage, je devais rentrer dans un planning extrêmement serré, je rencontrais beaucoup de contraintes.
Par la suite, j’ai voulu respirer un peu plus normalement, en m’entourant d’une petite équipe et en allant du côté du désir. « La Vie parisienne » comporte des plans sous la neige où Milo chante, des plans qui n’étaient pas du tout prévus au départ. J’étais en train de travailler, j’ai vu de la neige tomber par la fenêtre, j’ai appelé Milo, je lui ai demandé si elle était disponible pour qu’on se retrouve au square. En 30 minutes, on a tourné tous les plans où il neigeait. Tout s’est décidé en 5 minutes ; entre la prise de décision et le temps du tournage, deux heures seulement se sont écoulées. Une chose pareille sur un tournage classique, c’est impossible. La liberté est venue du fait qu’on était tous là pour la même raison : on avait envie de partager un moment ensemble et de faire ce film.
E : Oui, comme là, on a envie de faire un long, d’être à nouveau ensemble. Ça nécessite peu de choses sauf une grosse implication de notre part.
V : Je trouve que le trio marche bien, j’ai un scénario de long et j’aimerais poursuivre avec ces acteurs et ces personnages qui fonctionnent bien. Avec ce film-ci, je trouve qu’il y a quelque chose de très chouette mais d’un peu fragmentaire. Après, le projet a été conçu comme ça, comme un test, dans l’idée de travailler avec eux sur une durée plus longue.
E : Nous, ça nous botte ! Tu as envie d’en voir plus…
M : Toi, tu as envie de te voir plus à l’écran !
E : Non (rires). Moi, j’ai envie d’en savoir plus sur les personnages, sur leur développement, sur le point de départ et d’arrivée.
Milo, comment as-tu perçu le travail en petite équipe ?
M : C’est bien plus intéressant de tourner dans un film où on est plus impliqué, ça m’amuse plus. Le film précédent dans lequel j’ai joué, « La Vie facile », disposait d’un très gros budget. 40 personnes gravitaient autour du plateau. Il y avait beaucoup de monde, d’argent, d’idées, de lumières, de décors. Ce n’est pas très drôle surtout quand on tourne peu et qu’on s’ennuie en attend son tour.
Vincent, d’où te vient ton intérêt pour les écarts ?
V. : Dans mon premier long métrage, « Julie est amoureuse », j’avais fait jouer des acteurs professionnels et amateurs. La femme de ménage de mes parents y jouait un des rôles principaux. Elle était incroyable, elle donnait la réplique à un comédien de théâtre extrêmement puissant et précis et ça créait des étincelles. C’est cette expérience qui m’a donné envie de travailler sur des écarts.
« La Vie parisienne » est aussi construit sur des écarts maximums entre les acteurs bien évidemment, mais aussi entre les intempéries impromptues et le texte écrit à la virgule, entre des chansons qui sont très réglées et un son direct un peu pourri par moments. Pour le prochain film, j’envisage aussi le décalage, y compris dans la forme et la temporalité.
Vous avez tourné avec quel support « La Vie parisienne » ?
V. : Une petite caméra, très mobile. Il n’y avait pas de décors, d’installations lourdes. Je pouvais vraiment voltiger avec la caméra, être au plus près des comédiens.
Qu’est-ce que vous a apporté le cinéma ?
E : Moi, je kiffe. Je voulais revenir par la grande porte et Vincent me l’a permis ! Le scénario était vraiment sympa, bien barré, avec une empreinte à la fois burlesque et d’auteur. Je ne trouvais pas ça éloigné d’une certaine réalité et je me reconnaissais bien dans les dialogues.
V : Milo est allé chercher Estéban. Elle a fait son travail de casting, en plus d’être maquilleuse, costumière et interprète.
E : Je tiens tout de même à dire que j’ai été chef chorégraphe. C’est moi qui ai trouvé les chorégraphies ! Qu’on ne me le vole surtout pas !
V. : Moi, je me suis retrouvé à l’IDHEC à 18 ans, je fréquentais plus l’école buissonnière que les cours, mais j’ai quant même découvert plein de réalisateurs dont je n’avais jamais entendu parler. Depuis, je me sens engagé dans quelque chose qui est très présent. C’est une passion, un mouvement. On est toujours en vie, en mouvement grâce au cinéma. On ne peut pas s’arrêter.
Propos recueillis par Katia Bayer et Géraldine Pioud