Cette année encore, Anima donne beaucoup à voir et à découvrir. Pendant plus d’une semaine, les projecteurs des trois salles du Flagey tournent à plein régime pour offrir, une fois de plus, la crème de la crème. Anima 2012, ce sont, entre autres, huit programmes de courts métrages en compétition internationale, quinze nouveaux longs métrages internationaux, trois programmes de courts métrages belges inédits, mais bien plus encore. Anima met deux pays européens à l’honneur: la Suisse et l’Espagne. De nombreux films et rencontres soulignent la richesse de ces deux pays en matière d’animation.
8 mars prochain. Jour de la femme, deuxième jeudi du mois, Saint-Machin, … Mais aussi, première projection de courts métrages, organisée par Format Court au Studio des Ursulines (Paris, 5ème). Si l’envie vous prend de fuir la civilisation, de chercher l’inspiration dans un paquet de bonbons, d’occuper votre ancien lieu de travail, de vous mettre au nudisme et de mettre votre plus belle cape de magicien, cette séance est bel et bien pour vous.
La dérive de Matthieu Salmon, fiction, 21’, France, 2011
Synopsis : Virginie travaille dans une imprimerie en banlieue de Paris. Un jour, conjoncture économique oblige, elle est licenciée. Mais Virginie n’arrive pas à partir. Vraiment pas.
Synopsis : Un personnage grimpe une montagne, lorsque l’Art se met sur son chemin…
Fais croquer de Yassine Qnia, fiction, 24′, France, 2011
Synopsis : Yassine, jeune cinéphile passionné, veut tourner un film dans sa cité. Il souhaite associer ses amis d’enfance à son projet. Mais l’amitié a parfois ses travers…
Oh Willy de Emma de Swaef et Marc Roels, animation, 16′52″, Belgique, France, Pays-Bas, 2011
Synopsis : À la mort de sa mère, Willy retourne dans la communauté de naturistes au sein de laquelle il a grandi. Rendu mélancolique par ses souvenirs, il décide de fuir dans la nature où il trouve la protection d’une grosse bête velue.
Synopsis : Tomas est un peu âgé pour continuer de vivre chez ses parents, mais son rêve de devenir magicien ne lui laisse pas le choix. Son père voudrait simplement qu’il grandisse et qu’il trouve un vrai travail.
Infos pratiques
Projection en présence des équipes de films
Jeudi 8 mars, 20h30 Studio des Ursulines : 10 Rue des Ursulines 75005 Paris PAF : 6 €
Pour accéder au cinéma : BUS : 21, 27 (Feuillantines), 38 ou 82 (Auguste Comte), 84 ou 89 (Panthéon) RER : Luxembourg (sortie rue de l’Abbé de l’Epée) Métro le plus proche : Ligne 7 (Censier Daubenton), mais apprêtez-vous à marcher un peu…
Synopsis : Lorsqu’une chanteuse d’opéra chante dans la rue enneigée et et froide, nous assistons à la rencontre entre un homme et une femme à travers des rideaux en dentelle. La musique est marquée par une tristesse, tout comme les émotions des personnages. Ceux-ci s’approchent tandis que le chanteur sombre dans une mélancolie.
Genre : Expérimental
Durée : 4’
Pays : Canada
Année : 2004
Réalisation : Guy Maddin
Scénario : Guy Maddin
Image : Guy Maddin
Montage : Guy Maddin
Interprétation : Maria de Medeiros, Sarah Constible
Synopsis : Avec Louis Negin et ses Chochottes de Chippewa, 6 minutes qui montrent ce qui arrive lorsqu’on laisse les chochottes toutes seules. Un mélange de Three Stooges et de Kenneth Anger…
Genre : Expérimental
Durée : 4′
Pays : Canada
Année : 1995
Réalisation Guy Maddin
Scénario : Guy Maddin
Image : Guy Maddin
Montage : Guy Maddin
Interprétation : Noam Gonick Caelum Vatnsdal Simon Hughes Michael Powell John K. Samson Leith Clark David Lewis Don Hewak
Production : IFC Productions, Manitoba Film & Sound Development Corporation, Bravo!Fact
Par une étouffante après-midi d’été, de jeunes marins lascifs et désœuvrés paressent dans la torpeur d’une improbable jungle tropicale. Le vieil homme qui semble veiller sur cette joyeuse troupe s’absente pour faire quelques emplettes. Il n’en faut pas plus pour réveiller les instincts de ces vilains garçons… Malgré les recommandations du plus vieux d’entre eux ; à peine sortis de leur sommeil, ils sont soudain pris d’une furieuse envie de se gifler mutuellement ! S’en suit d’irrésistibles distributions de claques : une véritable Sissy Boy Slap Party.
Fidèle au Noir et Blanc et plus généralement à l’esthétique du cinéma des années 20 (cadrage, mise en scène, décors, montage…), Guy Maddin réalise ici un pur fantasme qui rappelle le très sulfureux Pink Narcissus de James Bidgood. Le réalisateur de « The Saddest Music in the World » parvient une nouvelle fois à régénérer le style des films qu’il convoque et provoque ainsi grâce à ce film une imaginaire rencontre entre les années folles et les films érotiques gays des années 70 : un vrai bon moment de cinéma.
« A Trip to the Orphanage » (Voyage à l’orphelinat) fait partie de ces court métrages fascinants et énigmatiques dont la beauté poétique vous saisit à la gorge et vous coupe le souffle. En seulement quatre minutes, Guy Maddin parvient à nous propulser dans la puissance de son univers cinématographique. Entre vision onirique et force émotionnelle, le film nous mystifie par sa symbolique visuelle et la profondeur de sa dimension musicale.
Avec les films « Sissi-Boy Slap-party » et « Sombra dolorosa », « A Trip to the Orphanage » participe à une série de courts métrages de 2004 qui prépare la sortie de son long sorti en 2006, « The Saddest Music in the World ». Plus exactement, le film est l’extension d’une des scènes du long métrage. Il en reprend, cette fois-ci en musique, le court passage où un inconnu errant dans les rues embrasse le personnage incarné par Maria de Medeiros, lui assénant une réplique sorti du néant : « Goodbye Mother ! ».
Auteur prolifique d’expériences cinématographiques, Guy Maddin ne cherche pas de narration explicite mais préfère plutôt nous amener à ressentir intensément le trouble d’un homme qui n’a pas connu de mère. L’émotion est là, planant au centre du film. La structure est symétrique avec un voyage entre trois personnages : un homme arpentant lentement les rues hivernales comme happé par son monde intérieur, une femme aux yeux immenses débordant de gravité, et une chanteuse fantomatique au timbre dramatique et déchirant. Au milieu, un plan central montre un jeune enfant en pleurs. La voix vibrante de la chanteuse nous transporte dans une atmosphère nostalgique et bouleversante alors que, derrière elle, on devine la grille de fer de l’orphelinat. La neige et le vent s’abattent sur la scène comme le poids d’un souvenir glacé, contribuant au frisson général. Des voiles diaphanes planent en surimpression dans l’image, estompant les silhouettes des personnages pour mieux en appuyer le mystère. Les contrastes du noir et blanc sont puissants et renforcent un abîme entre la pureté d’un enfant dans la mémoire de sa mère et l’obscurité froide et solitaire de la nuit. Avec ce court métrage, Guy Maddin reprend et amplifie le thème de l’amour maternel perdu dans une œuvre surréaliste d’accès difficile mais à la charge émotionnelle intense et universelle.
Cinéaste culte originaire de Winnipeg (Canada), Guy Maddin revient en France avec une double actualité : la sortie événement en salles de son nouveau long métrage « Ulysse, souviens-toi !» (Keyhole en VO) et « Spiritismes », une proposition très alléchante qui consiste en une réalisation de 17 courts métrages en public, inspirés de scénarios de films « perdus » (Hitchcock, Von Stroheim, Lubitsch, etc) et tournés avec des comédiens confirmés (Mathieu Amalric, Maria de Medeiros, Udo Kier, Géraldine Chaplin, Charlotte Rampling, André Wilms, etc), du 22 Février au 12 Mars au Centre Pompidou.
A l’occasion de cette actualité foisonnante, nous consacrons un focus spécial à l’univers poétique et surréaliste de ce « monstre » du septième art, à l’imagination débordante, capable d’exhumer toute une esthétique héritée du cinéma muet primitif et la confronter à ses peurs et ses désirs les plus intimes.
Cette année, nous avons oublié de fêter notre anniversaire. Le 13 janvier est passé comme une boule dans le fil et nous n’avons rien vu. Peut-être parce que notre quotidien a changé, que l’agenda 2012 a eu du mal à nous trouver ou que nous récupérons encore du festival de Clermont-Ferrand. Pourtant, c’est bel et bien à la veille de cette grosse fête du court, que le site a fait son apparition comme nouvel espace médiatique consacré au cinéma bref. A cette époque, nous nous emballions pour des films aussi différents que « Andong », « Nora » et « Luksus » et partagions notre temps entre les soutiens critiques aux films et les entretiens avec leurs créateurs. Trois ans plus tard, rien n’a vraiment changé. Nous continuons à nous rendre à Clermont-Ferrand, emmagasinons de nouveaux coups de coeur (« Choros », « Boro in The box », « The Pub », …) et poursivons nos conversations avec les auteurs. Avec comme seule différence, majeure, celle d’avoir complètement oublié notre date d’anniversaire (l’âge sûrement…). Mais il n’est pas trop tard : “A la une, à la deux, … Bon anniversaire, Mister Site”.
« Choros »
Car c’est un fait, depuis un bon millier de jours, Format Court a trois ans. Ce petit Sagittaire se porte plutôt bien. Il mange de tout (animation, expérimental, fiction, documentaire) et refuse, comme tous les formats de son âge, d’aller à l’école du long. Sa curiosité est toujours aussi vive pour le court français et international et il ramène à chaque fois de nouveaux copains à la maison (rédacteurs, lecteurs, followers, facebookers, …). Ses géniteurs (Marie Bergeret, Adi Chesson et moi-même) peuvent, autorisons-nous cette familiarité, avoir la banane.
Histoire de ne pas se reposer sur un fruit ou de quelconques lauriers, nous vous invitons à découvrir la suite de notre histoire, post-Clermont. Ces jours-ci, nos focus s’ouvrent sur un journal de tournage parisien, l’auteur indépendant canadien Guy Maddin, et une manifestation belge qui nous est familière, le festival Anima. Et si cette bonne vieille cinéphilie vous rattrape, nous vous redonnons rendez-vous le jeudi 8 mars au charmant Studio des Ursulines (Paris, 5ème) pour une nouvelle séance de courts en salle. Avec comme toujours, des films chroniqués sur le site, des découvertes de festival, des hasards de programmation, et des réelles envies de partage.
Le héros (l’acteur Vincent La Torre) du court métrage « Love Collection », réalisé par Antoine Lhonoré-Piquet, vit de son métier de comédien et tente de survivre à sa cassure sentimentale : « Si, à moins de 40 ans, on n’a pas les moyens de s’offrir une puissante relation sentimentale, c’est qu’on a raté sa vie… » semble-t-il se dire. Préférant s’en sortir par lui-même plutôt que de s’en remettre aux services certifiés de l’émission de téléréalité « On n’est pas poussé », le héros choisit d’avoir trois maîtresses. Conquérir les corps et le temps de plusieurs autres est, croit-t-il, un bon moyen de prévenir une nouvelle rupture sentimentale. Mais l’histoire de « Love Collection » se déroule aujourd’hui en France où, souvent, fête de la Saint-Valentin ou non, les femmes rechignent à l’aventure de la polygamie et se gargarisent d’ambitions affectives aussi subversives qu’exclusives.
Ce 18 octobre 2011, sur le tournage de « Love Collection ». A la Bellevilloise, dans une maison construite aux abords des années 30, au dessus d’une école de danse africaine, une chambre à coucher a été reconstituée dans l’appartement d’un photographe qui sert également d’atelier. Le tournage devait débuter le 14 octobre mais finalement il a démarré trois jours plus tard. Antoine, le réalisateur, m’explique dans le vestiaire où les comédiens se changent « qu’il y a eu un petit souci avec le décor et le voisinage, ce qui fait qu’on se retrouve avec quatre jours pour un film qu’on devait tourner en six jours, d’où un tournage marathon… ». Pendant que nous discutons, l’équipe technique fait quelques réajustements sur le plateau. Alors que nous conversons, la comédienne Leilani Lemmet (une des maîtresses de Vincent) est surprise de nous trouver là.
Le tournage a commencé très tôt ce matin, un peu avant 6h. « Love Collection » bénéficie d’un budget d’environ 150.000 euros. Le scénario est né en novembre 2010. Antoine a écrit l’histoire à partir d’un ensemble d’expériences personnelles vécues par Vincent et lui.
15h. Douze personnes sont sur le plateau dont Antoine, le réalisateur, Stéphane, l’ingénieur son, et Lucie, la scripte. Vincent La Torre et Loan Chabanol tournent une scène explicite : « L’intérêt, c’était de parler du sexe et de le montrer mais sans que ce soit…pervers ou pas joli… D’ailleurs Sofiia Manousha (comédienne qui joue aussi dans le film) m’a appris qu’elle avait rarement vu un tel respect pour les femmes ». J’aperçois Loan, mannequin chez Elite, sur le ventre, nue, et Vincent, sur elle. Fin de coït. Un discours sur la monogamie s’instaure entre eux. Elle : « Je n’arrive pas à t’imaginer avec une autre femme… ». Il se montre odieux, elle le gifle. Rupture des corps. Cut. Consignes aux comédiens. Remaquillage.
Plus tard, dans l’après-midi, Loan me parle de ce qui lui paru le plus difficile, aujourd’hui : « La nudité m’a affecté. Je pensais être à l’aise mais là, j’étais vraiment nue. Je pensais que ça ne m’atteindrait pas par rapport au métier de mannequin. Mais en fait, montrer ses fesses, ce n’est pas facile ! ».
Pause. Leilani Lemmet attend en peignoir pour un seul plan, une scène de nuit. Elle est là depuis plusieurs heures, essaye de rester calme et concentrée. Elle trouve « très beau » le personnage qu’elle joue. Elle le dit en chuchotant parce que le tournage a repris avec Vincent et Loan et que, sur le plateau, on demande le silence : « Mon personnage passe par des étapes très différentes. Ses émotions sont très variées, très riches, très opposées. Je joue une scène de jalousie. Jouer cela, je trouve ça très beau ». En quoi est-ce beau ? Elle me répond, après avoir ri en sourdine : « Ca peut être beau, ça peut être une preuve d’amour. Mais au delà d’un certain degré, ce n’en est plus une ».
Plus tard, Loan exulte. Sa journée de travail est terminée : « Enfin, des vêtements ! » dit-elle en souriant. J’ai une discussion avec Vincent face au miroir du vestiaire, alors qu’il se fait remaquiller : « Mon personnage est complètement perdu. Il pense avoir un équilibre en ayant plusieurs maîtresses mais c’est une situation qui ne lui convient absolument pas. Il se refuse à tomber amoureux parce qu’il a déjà souffert mais il tient à chacune de ses maîtresses. Le scénario d’Antoine est juste, calibré au millimètre. C’est parfaitement logique que mon personnage ait son alliance à la main droite et pas à la main gauche, tu vois… ». Les scènes de nu auraient-il pu le faire hésiter à tourner avec quelqu’un d’autre qu’Antoine qu’il connaît bien ? « Antoine a une façon de réaliser, d’envisager l’ambiance qui me convient. Je sais précisément comment il visualise son projet et je sais que ça va être un beau film. Avant de tourner « Love Collection », j’ai regardé un film allemand sur Arte dans lequel il y avait des scènes de nu. Les acteurs étaient blancs de peau, ils faisaient l’amour et c’était tout sauf sensuel. »
Il est bientôt 19h. Vincent et Leilani sont tous les deux nus. Deux scènes de nuit en contre-plongée sont filmées, tout va très vite. « C’est le plan que je voulais », annonce Antoine. Fin de journée également.
La 4ème édition de ce concours est lancée. Réalisateurs confirmés ou amateurs, envoyez vos courts-métrages de moins de 5 minutes (fiction, animation, expérimental ou documentaire) avant le 31 mai 2012. Après sélection, une vingtaine de films sera soumise tout l’été aux internautes, sur la plateforme ma-tvideo de France 3 à partir du mois de juin. Les 12 films les mieux notés passeront devant un jury de professionnels qui élira les 3 gagnants. Une diffusion sur France 3 dans l’émission Libre Court est à gagner.
Envoyez un dvd accompagné d’une fiche d’inscription (à télécharger ici) à :
Sélectionné en compétition nationale au Festival international de Clermont-Ferrand, « In Loving Memory » est le quatrième court métrage d’un homme de cinéma touche-à-tout qui aime travailler dans l’urgence et l’improvisation.
Jacky, est-ce que tu peux m’expliquer comment est née l’idée du film, quel en a été son point de départ ?
C’est un peu long…. Le point de départ a eu lieu il y a quatre ans. J’ai trouvé un stock d’images Super 8 dans un marché aux puces que j’ai acheté. Je ne sais pas vraiment comment ces images sont arrivées entre les mains de ce brocanteur, mais j’avais une vingtaine de bobines d’une demi-heure chacune, montées, étiquetées très précisément (vacances 61, vacances 62, …). Il s’agissait de films de vacances d’une famille allant de 1960 à 1975, mais je ne pouvais pas les voir. J’ai cherché pendant quatre ans du matériel de visionnage mais le problème est que ce matériel abîmait les bobines, rayait les pellicules. Je sentais que j’allais en faire quelque chose un jour mais il fallait pour cela que j’attende de pouvoir les numériser, ce qui impliquait de trouver un budget… Donc j’ai fantasmé ces images de vacances, j’imaginais ce qu’elles pouvaient être, j’avais en tête des films naïfs, mais je ne m’attendais pas à ce que le vidéaste ai un tel sens de l’image.
Quel a été finalement le déclencheur pour faire naître le film ?
J’avais cette matière. Il y a un an, les responsables du G.R.E.C, qui avaient produit mon précédent film, « Far from Manhattan», m’ont contacté ainsi que six autres jeunes cinéastes dont ils avaient produit les films récemment. Ils nous ont présenté un projet de commande de film collectif de France 2, qui représentait une heure et demie d’antenne. A partir de là, entre cinéastes, on a discuté mais on n’a pas réussi à trouver de thème commun, donc l’idée a été que chacun fasse son film et que les ponts se trouveraient naturellement a postériori.
A la base du film, il y a donc eu cette commande d’un film qui devait faire huit minutes et qui était produit avec 8.000 euros, ce qui représente la moitié du budget habituel d’un film du G.R.E.C. Avec ce budget, il fallait trouver une façon de faire un film pas cher. Je savais que je n’aurais pas assez pour un tournage complet, donc j’ai utilisé l’argent pour numériser les pellicules Super 8, payer la monteuse, la musique et les effets spéciaux.
Par ailleurs, un ami de La Fémis, m’a fait dans le même temps une autre commande, pour un exercice de fin d’études. Il m’a demandé de faire un film de science-fiction en Super 8, dans l’esprit de la fin de « Far from Manhattan », alors, je suis reparti avec Cassandre (Ortiz, comédienne de « Far from Manhattan » et « In Loving Memory ») et j’ai fait appel à un ami qui fabrique des armures. Au final, il y a donc un autre film qui existe avec les mêmes images que pour « In Loving Memory ».
Et puis, il existe une troisième source pour le film. J’avais vu un clip de Kanye West qui utilise la technique du datamoshing (technique qui consiste à recréer volontairement des erreurs de compression vidéo à des fins artistiques). Cette chose me fascinait, je l’avais repérée comme tout le monde à la télévision mais surtout sur les DIVx. Le datamoshing créée des images monstrueuses, notamment dans les films pornos. Ces images s’entremêlent et créent des trucs incroyables. En revanche, je ne savais pas qu’on pouvait recréer cet effet, et quand j’ai compris je l’ai utilisé. J’avais donc ces trois éléments, et j’ai simplement dit au G.R.E.C que je n’avais pas d’idée de film mais qu’en revanche, j’avais des images en Super 8, que j’adorais un clip de Kanye West, que j’avais fait des images de Cassandre en armure, et qu’avec cela, on pouvait sûrement faire un film. Ils m’ont totalement fait confiance.
Quand as-tu écrit le scénario ?
A ce moment là, je n’avais pas encore de scénario. Quand j’ai commencé à écrire mon scénario, ou du moins à réfléchir à ce que je voulais raconter, j’ai voulu parler de la mémoire et de la filiation. J’ai perdu mon père cette année et je pense que cela a en quelque sorte conditionné le film, même si je ne parle pas de cela. Le film n’aurait pas existé de cette façon-là dans d’autres circonstances.
Comment as-tu abordé le travail autour des images en Super 8 ?
Le Super 8, c’est magnifique, mais ça comporte un problème. C’est trop beau, trop facilement mélancolique ou poétique, trop facilement kitsch en fait. Avec ces images, je savais que je prenais le risque de tomber dans ces travers kitsch, ce que je voulais éviter. C’est pour ça que j’ai choisi de détourner les images par le biais de la science-fiction. J’ai imaginer un futur où on pourrait, via la technologie, nous amputer de notre mémoire, un peu dans l’esprit de Philip K. Dick. J’ai voulu montrer la face cachée de ces images presque publicitaires. Il s’agissait presque de faire un film contre ces images trop belles, à l’aspect factice. Le datamoshing était le moyen parfait de figurer leur déstructuration.
Existe-t-il une résonance entre ton film précédent « Far from Manhattan » et « In Loving Memory »?
« Far from Manhattan » était vraiment une ouverture sur le monde de la femme qui, à la fin du film, sort dans la rue dans son armure et finit par l’ouvrir pour symboliquement sortir de sa bulle. Là, j’avais envie de continuer avec la même actrice qui m’inspire et de traiter ce que les anglo-saxons appellent l’ « empowerment » féminin, ce moment où les femmes prennent les armes. C’est une chose qui me fascine depuis que je suis gamin. A l’époque, j’adorais les dessins animés japonais, comme « Cat’s eyes, où d’un coup une femme revêtait une armure et devenait surpuissante.
Pourquoi avoir choisi une voix-off en anglais ?
J’ai essayé au départ de faire une version française avec Cassandre car elle parle aussi français, mais ça n’allait pas. Son accent français ne collait pas, ça m’intéressait moins, donc je ne l’ai pas faite car je n’avais pas non plus envie de prendre une autre actrice. Le film est en anglais pour une raison très simple, c’est que je voulais le faire avec Cassandre. A la limite, le titre aurait pu être en français mais il n’y a pas d’équivalent en français de l’expression « in loving Memory ». Au départ, le film avait un autre titre mais à cette époque, j’étais en train de lire la biographie de Don Simpson, qui est un producteur cocaïnomane et accro au sex, qui a produit « Top gun » et tous les films d’action des années quatre-vingt. Ce type était un vrai connard et le livre commence par « In loving memory Don Simpson »…
Tu as évoqué l’autre film de La Fémis fait à partir des images Super 8 et monté par cet ami étudiant, a-t-il également monté « In Loving Memory »?
Non, car il fallait vraiment garder une distance entre les deux films. Très tôt on s’est dit tous les deux qu’il fallait qu’on arrête de se parler de nos films respectifs. Chaque film a fait son propre chemin.
Est-ce que tout était très écrit ? Notamment le texte de la voix-off ?
Non, je n’aime pas trop écrire en avance. En fait, j’ai écrit l’histoire avant même de voir les images en Super 8, en espérant que cela fonctionne – ce qui aurait pu ne pas être le cas – et une fois que l’histoire a été écrite, je suis allé en salle de montage voir les images. Elles correspondaient à mes attentes, étaient classées par thématique. J’avais douze heures de rushes qu’il a fallu classer. L’écriture du texte s’est faite avec une belle part d’improvisation que j’ai adorée ! Je revendique cette prise de risque, c’est la façon de travailler qui m’excite le plus. Quant à la musique, elle s’est faite en « live », je travaillais avec la monteuse et envoyais en direct des choses au compositeur qui me faisait des retours. Travailler avec moi, c’est très stressant… Tout se fait dans l’urgence.
Ton film est sélectionné en compétition nationale, aurais-tu préféré une sélection labo ?
Je peux remercier le festival de Clermont qui a sélectionné trois de mes quatre films. Le seul qu’ils n’ont pas pris est finalement le plus expérimental. Ce n’était pas évident de sélectionner « L’enclave » qui est un film fragile, fauché et qui ne ressemble pas trop aux films sélectionnés en général. Quoi qu’il en soit, mes trois autres films ont été sélectionnés en compétition nationale même s’ils portent à chaque fois un peu d’expérimental en eux. Cela me fait plaisir d’être en national, je trouve que cela propose une ouverture sur l’expérimental au public.
As-tu des projets de long-métrage?
Je commence à écrire un long métrage, je ne me censure pas, il est expérimental et sera sûrement très dur à faire passer. J’espère le produire avec ma propre structure. Je viens d’autre part de produire un documentaire qui va bientôt sortir en salle.
Comment s’organise ta vie de critique avec celle de cinéaste et avec celle de programmateur d’un ciné-club sur la comédie US (cf. au Studio des Ursulines) ?
Pour ce qui est de la comédie, j’en programme, j’en critique mais je n’en fais pas car j’aime trop ce genre et que je ne suis pas sûr de pouvoir faire de bonne comédie. C’est un genre très difficile. Je n’ai pas de modèle pour faire une bonne comédie française même si j’aimerais un jour écrire une comédie sentimentale. Et puis, je pense qu’on ne fait pas forcément les films qu’on veut mais les films qu’on peut. Pour l’instant, je ne me pose pas la question d’un genre quand je réalise. Tous mes films se sont faits au fil de l’inspiration. Si demain, je suis inspiré pour faire une comédie, et bien j’en ferai une.
En ce qui concerne la façon de concilier critique et cinéma, c’est une vaste question. J’ai commencé à faire des films en même temps que j’ai commencé à écrire pour les Inrocks, en 2007. Je pense qu’il y aura un moment où j’arrêterai d’être réalisateur, producteur et critique. Le jour où je passerai au long, j’arrêterai probablement la critique. Pour l’instant, j’évite d’écrire sur le court métrage français car je suis trop impliqué dedans.
En tous cas, je pense que la critique est une bonne école pour la réalisation car cela apporte un regard sur la mise en scène, chose indispensable pour la création cinématographique. La critique m’apporte beaucoup en terme de réflexion et aussi de plaisir autour du cinéma.
Ayant fait couler beaucoup d’encre à sa sortie, de par la renommée d’un de ses auteurs, Park Chan-wook, réalisateur sud-coréen très prisé en France pour ses longs métrages hallucinés (« JSA », « Sympathy For Mr Vengeance », « Old Boy », « Lady Vengeance », « Je Suis un Cyborg », « Thirst »), mais aussi de par sa confection technique unique, le film ayant été entièrement shooté à l’Iphone 4, « Night Fishing » (« Paranmanjang » en version originale) se pose en véritable ovni de la sélection clermontoise de cette année, après son passage triomphant à Berlin l’année dernière, où il remporta l’Ours d’Or et le Grand Prix du Jury du meilleur court métrage.
Le film de 33 minutes débute sur la prestation live d’un groupe de musique barré, jouant en pleine nature une mélodie mêlant allègrement rock et musique traditionnelle asiatique. Cette introduction furieuse et enlevée fait penser à une version moderne d’un “choeur antique” qui chanterait les louanges d’une histoire à venir, à savoir un pêcheur, cherchant la quiétude de son loisir, et se retrouvant face à son destin tragique lors d’une insouciante virée nocturne dans les marais.
Par une habile figure de style, sous la forme du “point de vue” d’un chapeau d’un des membres du “choeur” qui virevolte dans les airs, nous croisons la route de ce fameux pêcheur solitaire, qui s’enfonce dans des étendues d’eau et de verdure pour trouver un havre de paix pour s’adonner à sa passion. Une fois l’endroit choisi, le pêcheur installe lignes de pêche et hâmeçons, puis patiente entre ses différentes touches, écoutant un poste de radio, sur lequel se succèdent chants traditionnels prémonitoires et bulletins d’informations météo annonçant de grosses pluies mortelles.
La nuit vient et l’homme, une lampe frontale vissée sur la tête, se remet à son poste. L’une des lignes de pêche les plus éloignées émet un tintement de cloche et il se précipite pour la sortir de l’eau. C’est alors qu’il s’emmêle dans les différents fils et tombe à la renverse. Il a pêché le corps inanimé d’une femme. S’ensuit un ballet grotesque où, dans la panique la plus totale, l’homme essaye de se défaire de l’étreinte de ce corps embarrassant qui reprend vie petit à petit. Alors que l’homme s’évanouit à son tour, la femme, ayant retrouvé tous ses esprits, va s’occuper de lui.
A partir de ce moment-là, le film acquiert une dimension très fantastique, qu’il possédait par touches auparavant, mais qui n’était pas aussi marquée. En effet, ce personnage de femme se révèle être une sorte d’esprit funeste qui connaît beaucoup de choses sur la vie de notre protagoniste et se retrouve là dans un but précis : faire prendre conscience au pêcheur qu’il n’appartient plus au monde des vivants, que cette ballade nocturne lui a été fatale et qu’il s’est noyé dans la rivière à cause des pluies torrentielles. Nous apprenons que l’homme a une petite fille qu’il élève seul et qu’il regrette de ne plus être à ses côtés.
Commence alors le dernier acte du film. Nous quittons cet entre-monde, sorte de purgatoire marécageux, et nous nous retrouvons lors d’un rite funéraire, au cours duquel le personnage de la femme s’adonne au chamanisme et communique via un bac d’eau avec les marais où se trouve coincé l’esprit du pêcheur. Elle le ramène avec elle (en elle) dans le monde des vivants. Le but avoué, étant qu’il revoie une dernière fois ses proches et surtout sa fille, qu’il accepte sa condition d’homme noyé et qu’il rejoigne enfin le monde des morts.
Le film finit sur un rituel visuellement impressionnant au cours duquel la chamane coupe en deux un grand drap blanc tendu sur plusieurs mètres en chantant la mort du pêcheur, chant qui se trouve être un des morceaux que l’homme écoutait sur sa radio précédemment. La chamane édicte les dernières volontés du pêcheur, puis finit de découper le drap et laisse son esprit s’envoler.
« Night Fishing » est une expérience cinématographique unique. Co-réalisé à deux mains par Park Chan-wook et son frère Park Chan-kyong, le film fait appel à toute l’imagerie du drame fantastique coréen, avec son obsession pour l’élément aquatique, véhicule privilégié entre le monde des vivants et des morts, ses personnages hystériques et hauts en couleur, en proie aux excès mélodramatiques les plus extrêmes, son humour morbide empreint de douleur et son utilisation très minutieuse du symbole et de la métaphore.
Seulement, les deux frères ont opté pour une structure imprévisible, qui fonctionne en paliers, dans laquelle le spectateur doit partir à la “pêche” aux détails et aux signaux, disposés tout au long du récit, pendant les chansons, à travers les spots radios, dans les décors, les accessoires et l’utilisation inversée des costumes lors d’une scène clé. Cet effort accompli, le spectateur est envoûté par la poésie douce-amère, toute en rupture de tons, qui se dégage de cette histoire.
A la fois oeuvre d’urgence, à la technique légère (tournage à l’Iphone), et film exigeant sur le fond et la forme, « Night Fishing » impressionne par le talent des deux frères à installer une ambiance, à fasciner par une imagerie hautement iconographique et à faire réfléchir sur la profondeur thématique du récit, pour lequel beaucoup de clés historiques et mythologiques, purement orientales, nous font défaut. Mais cela n’est point problématique, tellement la poésie l’emporte au final.
Synopsis : Au fin fond de la forêt, à travers un épais brouillard, un homme marche, un panier de pêcheur à la main. Il arrive au bord d’une rivière. L’homme prépare tranquillement son matériel de pêche et lance ses hameçons. Quelques heures plus tard, la nuit tombe peu à peu sur les berges tranquilles. L’homme n’a pas attrapé grand-chose mais reste assis à attendre. C’est alors qu’une de ses cannes à pêche plie sous le poids d’une prise qui semble très lourde…
Synopsis : Entre figuration et abstraction, le film mise sur un montage dynamique pour illustrer l’écrasement de l’homme moderne par le rouleau compresseur de la performance. S’inspirant de « L’homme unidimensionnel » du philosophe Herbert Marcuse, le cinéaste déconstruit les paysages industriels et met en cause la suprématie de la technique au dépend de l’humanité.
Synopsis : D’un naturel pourtant optimiste, Yannick Nézet-Séguin est porté vers la musique sombre et les thèmes de la mort et de la souffrance. Sur le plan du dévouement, de la sensibilité musicale et du charisme, la réputation du jeune chef d’orchestre n’est plus à faire.
Récompensé l’année dernière à Clermont-Ferrand pour son film d’animation « Les Journaux de Lipsett », Théodore Ushev revêt, cette année, l’habit de juré de la compétition internationale. Rendez-vous pris avec l’artiste polymorphe dans la chaleur moite de la salle de presse du festival. Endroit, semble-t-il idéal pour décrier le travail de Sylvain Chomet, évoquer les travaux psychanalytiques de Lacan, et faire l’apologie du court métrage. Rencontre.
Vos premiers films sont très graphiques : quelles ont été vos influences cinématographiques et picturales du début ?
Mes premiers films sont des « films affiche ». Avant de passer à la réalisation, je ne connaissais pas les films de Man Ray ou de Fernand Léger. Je n’avais jamais entendu parler des films avant-gardistes. Je connaissais plutôt les peintures de cette époque, je me suis inspiré des mouvements cubiste et constructiviste. J’adore cette époque-là. L’affiche n’a pas le droit d’être ennuyeuse, un film non plus. Pour moi, la confection reste la même, qu’il s’agisse de dessin ou de film. Par ennuyeux, je n’entends pas lent car j’adore le cinéma de Tarkovski, ou de Béla Tarr, mais je pense à des films prétentieux ou artificiels. Je n’apprécie pas du tout le cinéma de Sylvain Chomet, par exemple, que je trouve sans âme. Pour moi, c’est de la bande dessinée animée, mais il n’y a pas de cinéma. Au début, j’ai aussi regardé beaucoup de films expérimentaux, comme ceux d’Oskar Fischinger.
Avez-vous conçu les « Journaux de Lipsett » en pensant à un film cathartique ? Quel a été le rôle de la psychanalyse dans sa conception ?
La dimension analytique est, en effet, très forte dans le film. Avant d’imaginer les images, j’ai beaucoup lu de livres de psychanalyse, j’ai demandé conseil à beaucoup d’amis qui étaient dans le métier et qui m’ont aidé dans la conception du film. J’ai également été inspiré par Jacques Lacan et spécialement par sa théorie du miroir. Celui-ci raconte que si un enfant vit une expérience troublante et traumatisante avant sa septième année, son être se brise, son développement est freiné. C’est justement ce qui s’est passé avec Arthur Lipsett : son miroir s’est cassé quand sa mère s’est suicidée. J’ai donc voulu montrer cette perte de lui-même au sein du dessin et par le biais d’un montage saccadé.
Le texte écrit par Chris Robinson est à l’origine du film. Comment avez-vous travaillé à partir de ses mots ?
Chris Robinson avait rédigé un texte très chaotique que j’ai du mettre en images. Le texte ne racontait aucune histoire mais s’apparentait à un ensemble de mots. J’avais déjà en tête chaque plan, car quand je commence un film, j’ai une idée extrêmement précise de ce qu’il va être, de son déroulement. Je n’ai pas du tout douté ou cherché, le texte m’a immédiatement inspiré et puis, j’avais déjà trouvé la musique et les sons pour l’accompagner. A partir de là, j’ai mis le chaos en images en utilisant plusieurs techniques comme le crayon, la peinture acrylique et le collage puis, j’ai traité tout cela numériquement.
A propos de musique, elle est omniprésente dans vos films. Est-ce toujours vous qui la choisissez et qui concevez l’univers sonore ?
Moi, je ne cherche jamais de musique, c’est elle qui me trouve. Je dessine toujours à partir d’une musique qui m’a marqué, dont je me souviens. La musique, c’est mon scénario, je crée à partir d’elle. Elle est toujours première et le son aussi. Je commence toujours par un montage audio, pour imaginer le rythme du film. Je me sens d’ailleurs plus proche des musiciens que des animateurs.
Pourquoi avoir choisi la forme du documentaire animé pour le portrait du compositeur classique Yannick Nézet-Séguin dans le film qui lui est consacré (« Yannick Nézet-Séguin : Sans entracte » ) ?
Mon but était de montrer son mariage énergique avec la musique, alors je me suis demandé comment je pouvais illustrer sa vie de cette façon, cette manière de sentir la musique, de réagir face à elle. J’ai appelé sa mère et lui ai demandé de m’envoyer ses partitions. En parcourant les pages, j’ai trouvé ce que je voulais : tout était crayonné autour des notes de musique : des traits venaient illustrer les mouvements du morceau, j’avais devant les yeux une œuvre d’art expressionniste. Je me suis dit que son portrait se trouvait là. Je n’ai donc pas dessiné mais je me suis servi de ses propres dessins apposés sur les partitions et cela a donné l’animation du film. L’idée était de montrer l’image abstraite de la musique.
La notion de bricolage paraît déterminante dans votre œuvre. À la façon d’Arthur Lipsett, vous semblez aimer la forme du cadavre exquis.
On dira que c’est une approche post moderne, mais j’ai toujours essayé de chercher des sources différentes : je ramasse des phrases, des notes, des images, des sons, et les assemble pour créer l’émotion. Je reprendrai une phrase de Lipsett, extraite de ses cahiers qui dit que « le film est un oignon », avec plusieurs couches et un cœur. C’est exactement ça, petit à petit, si tu l’acceptes, tu entres dans un univers jusqu’à atteindre le centre névralgique de l’œuvre.
Pourriez-vous envisager un film en prise de vue réelle ?
Oui, bien sûr, j’ai ce projet en tête, peut-être avec des acteurs non professionnels, je n’aime pas quand les gens jouent. J’aime essayer, mon prochain film mettra d’ailleurs en scène des marionnettes. J’ai demandé de l’aide extérieure, comme ça je ne serai pas seul sur le projet.
Pourquoi ? Vous sentez-vous parfois trop proche de vos œuvres ?
Oui, je suis très impliqué émotionnellement dans mes films, parfois même trop. Au moment de la conception des « Journaux de Lipsett », j’étais au bord du suicide, je vivais dans la tête d’un bipolaire et je devenais fou. Mes amis ont eu très peur. Comme les comédiens qui ont adopté la méthode de Stanislavski, j’étais totalement impliqué dans mon rôle de réalisateur. Je ne dormais pas, je ne mangeais pas, je ne sortais plus pendant des semaines.
Que pensez-vous de cette mode du documentaire animé ?
J’adore ce genre car il mêle réalisme et imaginaire. Je trouve ça très excitant, j’ai adoré « Persepolis » et « Valse avec Bachir ». « Drux Flux » peut être considéré comme un docu animé car toutes les images ont été tournées dans une usine allemande de métal qui est fermée depuis le 19ème siècle. Je commence toujours par des photos, des images réelles et je les déconstruis par l’animation, donc on peut dire que mes films sont des documentaires animés.
Vos films circulent un peu partout sur internet, et beaucoup d’entre eux ont été réutilisés notamment pour des clips musicaux. Comment voyez-vous cela ?
Tous mes films ont été utilisés par des musiciens car j’accorde les droits et j’accepte que mes films soient diffusés sur internet. Il y a 5 ou 6 remix de « Drux flux » (par Wax Tailor, Public Symphony, notamment). Je laisse cette liberté car tous les mouvements artistiques intéressants sont nés de la circulation des œuvres, car on s’inspire toujours des œuvres des autres. Je n’ai aucun problème avec cela, au contraire !
Cette liberté s’accorde-t-elle selon vous avec le format du court métrage ?
C’est sûr qu’internet a permis la prolifération de films plus courts, que le court représente une forme de liberté. Le court métrage est le passé, le présent et l’avenir du cinéma. Les premiers films étaient des courts métrages. Selon moi, ce n’était pas seulement une question de technique mais déjà un choix artistique, une position esthétique. Maintenant, il existe des marchands du cinéma qui imposent une durée type : ils estiment que pour avaler un paquet de pop-corn et boire un coca, il faut laisser au spectateur 1h30 de film. Les cinéastes suivent cette voie. Pourtant, c’est à eux de décider de la durée de leur histoire : pour certains il faut sept heures pour d’autres dix minutes. Au théâtre, par exemple, il n’y a pas cette limitation. Pou moi, le format court est intéressant pour plusieurs raisons : tout d’abord, il n’impose pas de grand budget et « avec moins d’argent, il y a plus d’art », ça a toujours été comme ça. Et puis, aucune étape de production n’empêche sa création.
Cette année, vous êtes juré de la compétition internationale au festival de Clermont, que pouvez-vous nous dire des films que vous voyez en festivals ?
D’une manière générale, les courts métrages, notamment dans le domaine de l’animation, sont bien faits, les moyens sont là et la réalisation est souvent virtuose. Néanmoins, je suis frappé par l’aspect scolaire de certains d’entre eux. Souvent les réalisateurs semblent absents de leurs propres films : il n’y a pas de chaleur. On dirait qu’ils réalisent pour le métier. Pour moi, on privilégie encore trop les films d’écoles.
Donc, vous n’avez pas de projet de long-métrage ?
Pour l’instant, ça ne me tente pas, je n’ai pas la force de chercher de producteur. Parfois, je ressens de la tristesse pour mes amis qui réalisent des films car ils ne sont diffusés que dans quelques salles et celles-ci sont presque vides. Il n’y pas de satisfaction d’artiste, c’est pour ça que je préfère diffuser sur internet, pour que les gens voient mon travail. Bien sûr, rien ne vaut une diffusion sur grand écran mais si celle-ci n’est pas possible, je préfère diffuser mes films sur You Tube.
Un film de danse sélectionné au festival de Clermont-Ferrand, un fait suffisamment rare pour être souligné. Avec « Choros », Micheal Langan, dont le film de fin d’études « Doxology » avait déjà été montré en compétition Labo en 2009, propose une suite à « Pas de deux », de Norman Mac Laren, une des premières oeuvres mêlant expérimentation visuelle et chorégraphie, réalisée en 1968.
Tera Maher, à la fois danseuse et co-réalisatrice, exécute des mouvements simples, lents et amples dans un décor dépouillé. Ce qui importe, ce qui occupe l’espace, c’est la démultiplication de cette danseuse. Un « chorus » de femmes jaillit de son mouvement grâce à la technique de la chronophotographie, mise au point au 19ème siècle par Etienne Jules Marey et Eadweard Muybridge, Déjà utilisée par Mac Laren dans son « Pas de deux », la chronophotographie permet de créer un véritable écho visuel.
La danseuse est une, puis plusieurs. Sa silhouette se multiplie en un « pas de trente deux », quand l’une débute son mouvement, l’autre l’achève. Les mouvements, simples et fluides, sont minutieusement travaillés pour mettre en valeur le procédé technique saisissant. Cette persistance rétinienne nous permet de suivre le fil du mouvement, démonstration que la danse se situe bien dans cet entre-deux, lien entre deux postures.
Expérience visuelle avec une trame narrative sous-jacente, Choros veut se doter d’une épaisseur pour dépasser l’anecdotique « effet ». Nous suivons cette danseuse-héroïne, dénuée d’intentions claires mais elle-même identifiable. Là ou Mac Laren, limité par la technique devait tourner dans une « boîte noire », « Choros » évolue entre deux espaces. Le premier est sombre et confiné, le second est l’espace mental d’une prairie verdoyante et lumineuse, au centre duquel la Choréa, littéralement « danse en cœur », apparaît. La danseuse parvient à se détacher de ses doubles, jusqu’à former une large ronde de clones d’elle-même, assemblés dans un mouvement unique. Une trame narrative donc, simple et épurée à l’extrême : vie, mort et renaissance d’une danseuse, unique protagoniste. Si cela fonctionne, c’est grâce à l’effet visuel de multiplication, procédé technique d’animation mettant l’expression du corps en relief.
La musique de Steve Reich renforce encore davantage une impression de linéarité et d’apaisement. La danse, comme un mantra, hypnotise. Au delà d’une signification psychologisante sur l’identité et le double, cet effet de démultiplication est bien plutôt une recherche visuelle, unissant la danse et la virtuosité de techniques d’animation, une volonté de créer un ballet qui nous entraîne ailleurs. Micheal Langan explore les possibilités d’expression du corps humain, allié aux effets cinématographiques. Comme « Pas de deux » à son époque, « Choros » veut contribuer à l’innovation cinématographique et marquer une nouvelle étape. Cette expérience visuelle et narrative envoûtante ouvre la voie à d’autres tentatives de faire vivre autrement le corps à l’écran.
Seuls deux documentaires étaient cette année en lice au festival de Clermont-Ferrand dans la compétition nationale. Les deux films peuvent être appréhendés ensemble, mis en parallèle tant ils se font parfois écho. Heureux hasard de la programmation ? Cette année, l’attention portée aux films autour de la Méditerranée, du Maghreb et de l’identité arabe semble s’être accrue à en juger la programmation internationale (« Demain, Alger ? »/Algérie, « Al Hesab »/Egypte, « Vivre »/Tunisie, …). Les événements de l’année passée ont sans doute contribué à cette effervescence. En tout cas, si les deux documentaires, « Le Ciel en Bataille » de Rachid B. et « Méditerranées » d’Olivier Py n’évoquent aucunement le Printemps arabe, l’identité, qu’elle soit pied noir ou maghrébine se trouve au centre de leurs réflexions.
La vie en sépia
De prime abord, les deux documentaires semblent partager une esthétique commune : ils puisent la matière filmique dans les archives familiales. Leur format Super 8 et les photos noir et blanc placent tout de suite le spectateur dans un climat de nostalgie : les deux réalisateurs confrontent leur histoire intime (l’infiniment petit) à la Grande Histoire (l’infiniment grand). C’est surtout le cas pour Olivier Py qui se sert des images de ses parents pour mieux décrire l’absurdité de la guerre d’Algérie, qui se passe hors cadre. La forme du film autobiographique unit donc les deux œuvres. Le récit à la première personne est empreint d’un certain lyrisme dans « Le Ciel en Bataille » , tandis que la voix d’Olivier Py se fait plus distanciée, plus critique dans « Méditerranées ». D’une façon quelque peu convenue, il joue sur les mots « mer » et « mère », insistant sur leur fécondité, leur inconstance, leur rôle de trait d’union entre deux continents et deux identités. Le moment clé du film réside peut-être dans cette confrontation entre les images tournées par les parents et celles prises en charge par l’œil du réalisateur lui-même (alors adolescent), qui filme, selon ses dires, « la fin d’un amour » conjugal. Spectateur du film, il devient également le témoin passif d’un passé douloureux.
La douleur en héritage
Rachid B. filme, lui aussi, la mer et parle de ses parents. Dans les deux cas, les films ne sont pas là pour sceller un pacte de réconciliation avec le cercle familial. Au contraire, ils posent tous deux la question d’une faille transmise inconsciemment aux enfants, alors héritiers d’une dérive identitaire (Rachid B. évoque son homosexualité et son rapport aux religions catholique et musulmane, dans lesquelles, semble-t-il, il tente de trouver une justification morale). La métaphore de la mer purificatrice, qui absout, dans le cas du « Ciel en Bataille », est très présente dans l’écriture des deux réalisateurs. A la voix d’Olivier Py qui dit que « la mer lave les plaies et les taches du monde », répond ce long plan d’ouverture (presque une minute) du « Ciel en Bataille », dans lequel une main flotte dans le ciel et s’avance vers les vagues. Chacun à sa manière s’interroge sur ce qui fonde son identité : Olivier Py fait part de ses origines pied noir, Rachid B. évoque ses difficultés à assumer ce qu’il est devant ses parents. Il raconte brièvement une de ses entrevues avec un imam qui l’éloigne un peu plus de la vérité (le religieux pointe – sans surprise – l’immoralité de l’homosexualité). Il invente également un dialogue imaginaire qu’il aurait pu avoir avec son père, mourant au moment du film.
Dans les deux cas, il semblerait que la voix-off ait une vocation cathartique : le fait de « formuler », de « raconter » dans le cas de Rachid B. est une compensation, un exutoire. Il prend le parti de ne pas montrer ses parents, de ne pas les faire parler, tandis que le film ne cesse de tourner autour du silence pesant installé entre ses proches et lui. Aux images assez dures et au son agressif, répondent des séquences organiques montrant la forêt et les arbres. Cette immersion inattendue dans la nature a pour effet de transformer le film en conte.
Les coulisses de l’Histoire
Le film de Py est construit autour du hors cadre. D’une manière très démonstrative, il montre que la vraie histoire (la guerre d’Algérie), le vrai nœud du film se trouve ailleurs, loin des images heureuses de ses parents, décrits comme insouciants et extérieurs aux remous de l’histoire. La voix-off signale à propos de la mère : « elle voit tout ça mais elle ne le donne pas à la caméra ». Py utilise une bonne vieille astuce du cinéma qui consiste à exposer sans montrer, à cacher la clé, la vérité. La guerre est en coulisses, et le réalisateur décide de prendre le contrepied des films faits sur le sujet. Les archives n’évoquent aucunement la violence et les massacres mais un envers du décor presque indécent tant il paraît lumineux.
Une phrase de Py pourrait également résumer la démarche de Rachid B. : « Est-ce que notre histoire à tous n’est pas de chercher nos origines ? ». La question est évidemment intéressante et centrale à l’heure du refroidissement gouvernemental sur la question de l’immigration (la faute à…Guéant), mais faut-il toujours évoquer cette problématique par le biais d’un récit autobiographique ? Rien n’est moins sûr tant cette vision du cinéma paraît éculée…
Synopsis : Exhumés après 25 ans, des films 8 millimètres donnent lieu à une méditation sur le destin d’une famille et d’une génération. L’histoire d’un couple, d’une famille, se confond avec l’Histoire de l’Algérie et de la France des années 1960.
Genre : Documentaire
Durée : 32′
Pays : France
Année : 2011
Réalisation : Olivier Py
Scénario : Olivier Py
Son : Jean-Noël Yven `
Musique pré-existante : Giuseppe Verdi, Richard Wagner