Récemment, le MK2 Beaubourg semblait très attaché au format du moyen-métrage. Exercice de style extrêmement intéressant et surtout loin des exigences commerciales, le moyen-métrage est souvent trop peu visible sur les écrans, petits ou grands ou dans les festivals malheureusement. Ce cinéma permet par conséquent de (re)découvrir le double travail de Vincent Macaigne dans deux moyens-métrages. On le connaissait certes déjà comme comédien, on aura toujours le même plaisir à le voir ou à le revoir dans « Un monde sans femmes » de Guillaume Brac, récemment nominé aux César. Et depuis le mercredi 29 février, on a également l’occasion de noter ses talents de jeune réalisateur avec son premier film eletrochoc , « Ce qu’il restera de nous », fort remarqué au dernier Festival de Clermont-Ferrand : il y a remporté rien de moins que le Grand Prix, le Prix de la presse Télérama et une Mention Spéciale du Jury Jeunes National.
Nous en avons donc profité pour rencontrer celui qui fait couler beaucoup d’encre, aussi bien pour ses performances théâtrales que pour son premier film réalisé. Un moyen de prouver que, derrière le bonhomme aux airs timides mais barrés, Vincent Macaigne possède une réelle acuité qui fait de lui un artiste absolument unique, en constante recherche artistique et en totale recherche de liberté.
Format Court : « Ce qu’il restera de nous » est sorti le mercredi 29 février au MK2 Beaubourg, de manière un peu imprévue. Quelle a été ta réaction ?
Vincent Macaigne : Ce n’était pas prévu effectivement. On a été pris par surprise ! Et c’est plutôt une bonne nouvelle en fait. La seule chose un peu dommage est qu’on n’a pas eu vraiment le temps de préparer cette sortie en salle.
On note une certaine envie, apparemment, du MK2 Beaubourg de proposer une programmation de moyens-métrages, puisque sont également (ou ont été récemment) à l’affiche dans ce cinéma, le film de Guillaume Brac dans lequel tu joues, « Un monde sans femmes » et « Le Marin masqué » de Sophie Letourneur.
V.M. : Oui, à vrai dire, je n’y ai pas vraiment fait attention, mais je sais que pour le film de Guillaume, c’est un peu particulier car c’est un programme avec deux de ses films autour du même personnage qu’est celui de Sylvain que j’interprète. Certes, il y a Un monde sans femmes, mais aussi Le naufragé. Par conséquent, c’est un peu comme un long-métrage qui doit durer à peu près 1h15.
Pour en revenir à ton film, d’où vient ce projet ?
V.M. : En réalité, je faisais un labo de théâtre à Orléans et lorsque j’ai eu fini mon travail pour le théâtre, j’avais encore environ deux semaines de résidence dans la maison où l’on était. D’ailleurs, c’est la maison qu’on voit dans le film. Du coup, j’avais une maison, les comédiens et j’ai emprunté une caméra pour filmer.
Tu connaissais déjà Laure Calamy pour avoir tourné avec elle dans « Un monde sans femmes » et pour l’avoir dirigée au dernier Festival d’Avignon dans ton adaptation d’Hamlet ? C’est la raison pour laquelle tu as eu envie de retravailler avec elle ?
V.M. : Laure, je la connais depuis le Conservatoire qu’on a fait ensemble. Et elle était disponible à l’époque du film. Je dis « à l’époque » car j’ai passé beaucoup de temps sur le montage. Le film a été tourné il y a environ deux ans si je me souviens bien. Disons que j’avais beaucoup de matière, beaucoup de rushs et j’aurais presque pu faire un film d’1h30. Et oui, j’ai choisi Laure parce que je la connais bien. Mais Thibault (ndlr : Lacroix, autre comédien du film) a aussi fait le Conservatoire avec nous.
Pour tes deux comédiens, Thibault Lacroix et Anthony Paliotti, c’était leur première fois au cinéma ?
V.M. : Pour Thibault, oui. Mais pas pour Anthony. Il avait dû travailler avec Étienne Chatiliez auparavant et d’autres pour des petits rôles.
Dès le début du projet, tu avais un texte, un scénario ?
V.M. : C’est compliqué en réalité car il y a des éléments qui étaient un peu improvisés et d’autres non. Au bout d’un moment, de deux, trois heures qu’on tournait sans raison, d’un coup dans la nuit, j’ai commencé à écrire l’histoire. J’avais quand même dans l’idée de raconter l’histoire d’un mec qui brûlait sa voiture. Et par hasard, j’avais vu une voiture brûlée dans les alentours de la maison qui nous servait de résidence. À partir de cette scène-là, on a alors reconstruit le film. Puis, on a commencé à tourner avec cette voiture. Malheureusement les flics sont arrivés et l’ont enlevée.
Si bien que la séquence de la fourrière a été tournée en temps réel ?
V.M. : Oui, on a profité que la dépanneuse retirait la voiture pour filmer.
C’était une volonté de départ de faire un film si violent où les personnages crient autant ?
V.M. : Oui, oui. De manière où je travaille au théâtre, bien évidemment, on est parti de ce qu’on faisait au théâtre. Par conséquent, je me suis dit que j’allais partir de ce que je connaissais. Disons que je n’avais jamais fait de cinéma et je n’avais donc pas la prétention de faire du cinéma dans le sens, « faire semblant » de savoir faire du cinéma. C’est la raison pour laquelle, par exemple, je n’ai pas beaucoup de gros plans dans mon film. Disons que c’était à la fois trop simple et trop instable.
À partir de quel moment as-tu contacté la société de production Kazak ?
V.M. : En réalité, lorsque j’avais dirigé l’Idiot au théâtre, Jean-Christophe Raymond m’a contacte en me disant que ça les intéressait de faire quelque chose ensemble et je n’étais pas contre cette idée. Il est vrai que j’avais très envie de faire du cinéma. Comme j’avais déjà ces rushs, je les ai rappelés et je leur ai demandé de l’aide car je ne savais pas trop comment faire. Par conséquent, ils sont arrivés un peu après sur le projet. Ils ont trouvé un monteur, mais comme ça ne convenait finalement pas très bien, j’ai décidé de monter seul.
Par conséquent, tu as réellement tout fait : le scénario, la réalisation, l’image et le montage.
V.M. : Oui, mais Kazak a tout de même su m’accompagner. Et très sincèrement, sans eux, je n’aurais pas abouti. J’aurais laissé les rushs tels quels.
Et tu avais déjà vu ce que Kazak produisait ?
V.M. : Non, pas vraiment, mais ça ne m’intéressait pas de voir. Disons que je valorise plus volontiers le côté humain des choses. Il est vrai qu’ils avaient pas mal d’énergie pour reprendre le film à un moment où j’en avais un peu marre. Leur rôle a donc été de m’accompagner pour terminer ce film.
Ça te donne tout de même l’envie de refaire un film ou pas ?
V.M. : Oui, oui, j’ai très envie. Avec Kazak, je dois justement faire un autre court-métrage en partant de leurs affections à eux, mais ce n’est pas encore vraiment décidé. Pourquoi pas en faire un autre. Après, j’écrirai un long. Mais pour le moment, il y a des tas de choses que je n’ai pas assez étudiées pour faire un truc bien.
Tu sembles en tout cas, assez autodidacte.
V.M. : Oui, j’aime bien apprendre par moi-même. J’ignore si j’apprends bien, mais oui, je pense que j’apprends vite.
Aujourd’hui, on entend beaucoup de comédiens qui, faute de se voir proposer les rôles dont ils ont envie, écrivent eux-mêmes leurs rôles et se mettent en scène. Tu n’as pas eu envie de jouer dans ton propre film ?
V.M. : J’aime beaucoup jouer, mais de toutes manières, c’était impossible que je joue dans mon film puisque c’était moi qui tenais la caméra. Et puis, ce que j’écris, ce ne sont pas des rôles. C’est plutôt ce que j’ai envie de dire. J’ai une sorte de parole qui m’est personnelle.
Au niveau de la direction d’acteurs, comme tu as été toi-même comédien auparavant avec d’autres réalisateurs, as-tu reproduit des schémas ou pas ?
V.M. : En réalité, je n’ai pas trop d’avis là-dessus puisque selon moi, chacun dirige à sa propre manière pour nous amener là où il veut afin d’obtenir le film qu’il souhaite.
Donc tu n’as pas emprunté de techniques ou pris exemple sur Guillaume Brac ou Louis Garrel avec qui, tu as tourné ?
V.M. : Non, pas vraiment. En réalité, j’ai joué dans leurs films car ce sont des amis. Après, ils m’ont emmené là où ils voulaient selon ce qu’ils attendaient et moi, j’ai aussi fait un peu comme j’imaginais les personnages.
Et as-tu ton mot à dire auprès des réalisateurs avec qui tu travailles puisque tu écris et mets en scène toi aussi ?
V.M. : Disons que je leur fais part de ce que je pense, mais après, ils en font ce qu’ils veulent. Ça dépend des moments aussi. Parfois, je peux être chiant. Par exemple, sur « Un monde sans femmes », j’avais l’impression que le personnage de Sylvain était beaucoup plus lent que moi, voire même trop lent. Par conséquent, les journées étaient assez dures, d’autant qu’elles me semblaient longues à cause de la lenteur du personnage. D’ailleurs, j’avais du mal à être hyper joyeux.
Tu te considères comme quelqu’un d’heureux ?
V.M. : Oui… enfin, je crois. Ça dépend des fois…
En tout cas, que ce soit chez Brac ou Garrel, ils t’ont proposé des personnages un peu « paumés », des rôles qu’on pourrait éventuellement cataloguer de « looser ». Ça ne te dérange pas d’accepter de jouer ce type de rôle justement ?
V.M. : Je ne pense pas que ce soit lié à moi. C’est plus volontiers dû à ce groupe de gens qui sont mes amis. On est assez proche et ils me connaissent. Et selon moi, les personnages qu’ils me proposent sont plutôt mélancoliques que « paumés », au même titre que les personnages de « Ce qu’il restera de nous ». La seule différence c’est que par exemple, chez Guillaume, cette mélancolie est traitée avec de la douceur, tandis que chez moi, elle est peut-être plus violente. Mais globalement et de toutes manières, j’accepte plus facilement des rôles des gens qui m’entourent.
Cela signifie que tu n’as pas vraiment de plan de carrière ou plus exactement, d’expectatives de rôles ou de travail avec tel ou tel metteur en scène ?
V.M. : Non, pas vraiment. Il y a peut-être des gens dont j’apprécie le travail, mais encore une fois, je travaille avec les gens qui m’entourent, donc je n’ai pas réellement de rêve, non. Je ne sais peut-être pas toujours exactement où je vais tout simplement parce que j’essaie d’agir librement, en faisant confiance à mon instinct et de faire ce que j’aime.
V.M. : As-tu des références cinématographiques ou autres ?
C’est compliqué. Je n’ai pas vraiment de références réelles quand je tourne. Il doit sûrement y en avoir, ou certains en verront, mais mon but c’est surtout d’arriver à dire, à faire passer ce que j’ai envie de dire.
Et si je te dis Michaël Haneke ?
V.M. : Ah oui, j’aime bien Haneke… mais je n’ai pas cherché à y faire référence.
Pour finir sur ton film, on a tout de même l’impression que tu es très attaché au travail d’improvisation et d’expérimentation ?
V.M. : Pourtant, je te promets qu’il y a très peu d’improvisation dans le film. À part la scène de Laure où là oui, elle improvise son monologue et c’est aussi pour ça qu’on ne l’a tourné qu’une seule fois car c’était assez intense. Il y a peut-être quelques petites autres scènes, mais sinon, pas vraiment en fait. Ce que j’ai monté n’était pas du tout improvisé. Quant au moment du tournage, la veille de filmer, je travaillais une scène et le lendemain, on les retravaillait pas mal tous ensemble. Parfois, on faisait même 25 prises !
Malgré le travail de longue haleine que tu décris, tu ne crains pas que les gens puissent y voir un exercice de style, cinématographiquement parlant ?
V.M. : Pour moi, il ne s’agit pas d’un travail expérimental, car même si pour beaucoup de gens, ça peut paraître étrange, c’est, selon moi, tout à fait normal et accessible. Je considère que ce film est grand public et j’espère que les gens le verront comme tel. Je conviens que le film peut paraître bizarre, mais dans l’absolu, je ne pense pas qu’il le soit autant. À partir du moment où on dit quelque chose aux gens ou que les gens sont curieux d’écouter ce qu’on a à leur dire, peu importe la forme. Après, de toutes manières, je suis peut-être un peu paradoxal puisque j’ai aussi fait des choses très commerciales. Mais finalement, ça ne me pose pas trop de problème et je veux me sentir libre de faire les choses quand je veux, sans avoir de règle. Je n’ai pas de problème à me mettre en danger car j’aime rencontrer des gens et des univers.
Propos recueillis par Camille Monin
Article associé : la critique de « Ce qu’il restera de nous »