Quelque part au Maghreb, Fatine, jeune femme en âge d’être mariée fait l’amour avec un homme à même le sol, sur un tissu déposé sur la roche en plein « désert ». Avant que celui-ci s’en aille, elle lui fait promettre qu’il reviendra la chercher pour un ailleurs plus confortable. A leur insu, un jeune garçon assiste à la scène.
Filmé de près, quoique pudiquement, avec le strict minimum en terme d’emballage musical, tourné en grande partie dans des décors naturels et avec réalisme, « The Curse », présenté à la Quinzaine des Réalisateurs, nous raconte avec persuasion une nouvelle histoire sur le thème de l’impasse et de « l’enfer-me-ment ».
Le synopsis établit que Fatine se trouve avec son amant au début du film. Les spectateurs qui choisiront de découvrir « The Curse » sans en connaître le synopsis originel pourront tout aussi bien imaginer que pour Fatine, l’acte sexuel suggéré est une transaction nécessaire, plutôt qu’un désir, pas même un devoir, entre son passeur afin que celui-ci lui permette de se libérer de sa condition, de quitter ce monde, son monde où elle vit en permanence à terre car il lui y est impossible de s’épanouir.
« The Curse » s’ouvre sur le visage du jeune garçon qui regarde ces deux amants dont on ne capte d’abord que les respirations. Bien que de petite taille, ce jeune garçon baisse la tête car il les regarde depuis une certaine hauteur, discrètement mais aussi sans gêne particulière, en plein jour. Il pourrait tout aussi bien observer deux animaux. Puis, le môme disparaît du champ et nous découvrons Fatine allongée sur le dos qui, elle, regarde le soleil tandis que l’homme à côté d’elle, s’écrase presque face contre terre comme s’il avait honte de leur « union », voire de ses mensonges.
Très vite, on comprend que c’est plus par désespoir ou pour ce qui lui reste d’un certain idéal enfantin que par amour que Fatine commet « l’acte » que l’on devine sacrilège dans sa culture. Pour elle, donner son corps, c’est d’abord tenter de se libérer du désert, du passé, de sa condition. Sauf que le bonheur de Fatine s’engage mal. Fatine se traîne pour exister à même la pierre, elle espère pouvoir s’élever alors que tout, dans le film, va s’ordonner de manière à l’en empêcher.
Si dans la pièce de théâtre Confidences à Allah, adaptée du roman de Saphia Azzedine, il arrive que la jeune Jbara (la comédienne Alice Belaïdi) se prostitue pour l’équivalent d’un Raïbi Jamila (un Yop à boire de création marocaine), au moins parvient-elle à quitter ses montagnes natales et à connaître une relative liberté. Fatine, elle, n’a pas ce recours. Sitôt son « homme » disparu, elle est très vite prise en charge par le jeune garçon qui la suit dans ce pays où la réputation est un organe vital et où il est pratiquement impossible de se cacher (le soleil, adulé dans certains pays, interdit ici toute intimité et tout secret et fait partie de la malédiction). Le jeune garçon, vite rejoint par d’autres garçons et filles, va peu à peu prendre le contrôle de Fatine à qui l’obéissance aurait dû être garantie, du fait de son statut d’aînée.
La domestication progressive de Fatine semble si inévitable, malgré ses résistances, que l’on en vient à douter. « The Curse » raconte-il un mirage ou un rêve ? On se le demande au vu du cumul de coïncidences et de situations qui s’allient pour la rabaisser davantage alors qu’elle tente de tenir tête à ces enfants. Mais s’agit-il vraiment d’enfants ? Là aussi, on a de quoi en douter. Ces enfants, qui la suivent et qui lui rappellent son acte en l’injuriant et en la menaçant de le révéler à qui de droit si elle ne satisfait pas leurs désirs de friandises (Twix, Mars, limonades), ressemblent davantage à des hyènes ou au souvenir d’une foule d’adultes cherchant à lapider une femme déshonorée. « The Curse » nous parle aussi du sort potentiel d’enfants abandonnés dans certaines régions pauvres, des êtres vivant au jour le jour, sans morale, prêts jusqu’à un certain point à faire payer les personnes, trop vulnérables ou qui les délaissent, à l’image de Fatine.
À la fin de « The Curse », il est difficile de savoir si les enfants se font tendres avec Fatine parce qu’elle les a gâtés, moyennant une douceur manuelle à un homme, s’ils sont enfin touchés par son désarroi ou s’ils sont rassurés quant au fait que, désormais, ils la tiennent. Ce qui est sûr, c’est que l’appel à la prière et la proximité de son foyer lui apparaissent encore plus cruels que ce qu’elle vient d’endurer tout au long du film.
Franck Unimon
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