Sélectionné à Media 10-10 et lauréat du Prix du Jury de la compétition nationale au FIFF, « U.H.T » compte également parmi les courts métrages pré-sélectionnés pour Les Magritte 2013. Voilà de quoi réjouir son réalisateur Guillaume Senez qui avoue avoir, à 14 ans, préféré regarder les films de Mike Leigh et de Ken Loach pendant que ses copains se ruaient pour voir « Jurassic Park ». C’est donc tout naturellement qu’il s’est dirigé vers le cinéma. Rencontre d’un passionné.
Dans tes deux films précédents « La Quadrature du cercle » et « Dans tes veines », tu as traité de l’adolescence. Or, avec « U.H.T » tu t’intéresses plutôt au couple. Pourquoi ?
Je parle des choses qui me touchent. Je ne calcule pas vraiment. J’ai réalisé « La Quadrature du cercle » parce que lorsque j’étais en première à l’Inraci (Institut National de Radioélectricité et de Cinématographie, Bruxelles), un étudiant de deuxième s’est suicidé d’une balle dans la tête. Ça m’a marqué alors j’ai voulu parler du suicide d’un adolescent. « Dans nos veines », je l’ai écrit alors que j’allais devenir moi-même père. Je me suis posé pas mal de questions sur la filiation, la place que j’avais en tant qu’enfant et celle que mon fils allait prendre. Tout ce questionnement sur la paternité a fait que j’ai voulu en faire un film. Enfin, si j’ai voulu réaliser « U.H.T », c’est parce que j’ai été témoin de la révolte agricole pendant les manifestations en 2009. Voir les paysans jeter leur lait cela a fait écho à ma propre vie. Ces gens essayent de vivre, de se battre pour exercer leur métier. C’est cela qui m’intéressait avant tout, de voir comment un couple peut résister à l’adversité. En fait, mes films s’inspirent tous en général de quelque chose que je suis en train de vivre.
Dans « U.H.T », plus que dans tes autres films, tu t’es fort attaché aux détails dans une volonté de rester au plus près de la réalité. Pourquoi ne pas avoir réalisé un documentaire dans ce cas ?
Tout simplement parce que je ne m’y retrouve pas en documentaire. Je me sens si bien dans l’écriture fictionnelle parce que je suis maître de mes personnages, je suis maître de ce qui leur arrive. De plus, c’est plus facile pour moi de faire passer quelque chose dans un univers créé de toutes pièces. Et puis, c’est très excitant de donner vie à quelque chose, de raconter une histoire. J’aime décider de ce que l’on montre, de ce que l’on suggère. Même si j’essaye toujours de tendre vers le plus de naturel possible, j’aime l’idée que mes films restent des fictions. Et j’apprécie beaucoup le jeu avec les comédiens, travailler avec eux et les mettre en scène.
Comment t’est venu le choix des comédiens pour incarner ce jeune couple qui n’arrive pas à communiquer ?
Le choix de Catherine Salée est venu assez vite et naturellement, c’est une comédienne avec laquelle j’avais envie de travailler depuis longtemps. En ce qui concerne Cédric Vieira, c’est la directrice de casting qui m’a fait rencontrer 5 à 6 comédiens, tous aussi bons les uns que les autres mais Cédric amenait une profondeur en plus par rapport aux autres. Du coup, j’ai foncé. C’est un vrai comédien. Il est tout simplement hallucinant. Et le couple marche très bien. Ils ont d’ailleurs tous les deux obtenu le Prix d’interprétation au Festival Jean Carmet dans la section « Jeunes espoirs ». C’est une belle reconnaissance. Je suis vraiment content pour eux.
Comment s’est passé le transition de la direction d’adolescents non professionnels pour tes deux précédents films à des comédiens professionnels dans « U.H.T »?
Ca a été un peu pareil car j’ai travaillé de la même façon. Dans les deux cas, je ne leur ai pas donné mon scénario, on a travaillé sur des situations improvisées proche de celles à interpréter dans le scénario, petit à petit je les ai amené au texte. Je dirais que c’est même presque plus facile de diriger des comédiens non professionnels car ils ne sont pas imprégnés de leur technique.
« U.H.T » a été réalisé au même moment que « La Terre amoureuse » de Manu Bonmariage et « Il a plu sur le grand paysage » de Jean-Jacques Andrien, deux longs-métrages qui traitent également du monde agricole.
C’est le fruit du hasard. Je pense que c’est normal, ils sont cinéastes et que comme moi, ils ont été touchés par ce qu’il se passe chez les agriculteurs. En même temps, je précise que chez moi, l’agriculture est la toile de fond. Ce qui m’intéressait vraiment, c’était de montrer la difficulté de vivre de sa passion. C’est pour cela qu’il y a beaucoup de non-dits dans mon film et qu’il y a beaucoup d’ellipses aussi. On n’explique pas par exemple pourquoi Augustin jette son lait à la fin du film et quand Sophie est au téléphone, il aurait été simple de montrer la conversation avec le laitier qui lui explique les choses. Mais j’ai voulu me centrer sur le couple, sur les répercussions que la crise laitière avait sur leur histoire d’amour.
Le format du court métrage est-il un format qui fonctionne bien avec ta façon de mettre tes thématiques en scène ou est-ce une étape obligatoire avant le long ?
Je ne vais pas te cacher les choses. Moi, j’ai voulu faire du cinéma pour faire du long, c’est sûr. J’ai découvert le court métrage alors que j’étais étudiant. Après, j’avoue que je me sens très à l’aise dans le court métrage parce que j’ai beaucoup plus de facilité à raconter une histoire dans le court, c’est un format que j’aime beaucoup. C’est un format en soi et j’aimerais vraiment pouvoir continuer à réaliser des courts métrages toute ma vie, et puis, c’est aussi plus facile à financer. J’aimerais pouvoir vivre de ma passion et pouvoir faire des films toute ma vie que ce soit des courts, des moyens ou des longs car c’est cela que j’ai envie de faire. Le problème est que tu ne gagnes pas ta vie en faisant des courts métrages. Si je veux en vivre, je suis quasi obligé de passer au long.
Tu as un projet de long métrage, peux-tu m’en parler ?
Oui. C’est de nouveau sur l’adolescence. Et oui, on parle que de ce que l’on connaît. Peut-être que quand je serai vieux, je ferai des films sur les vieux mais en attendant, je fais des films sur les adolescents. C’est l’histoire de deux ados de 14 ans qui sont amoureux. Et puis, la fille tombe enceinte. Tout le film se concentre sur le fait de savoir comment le gars va convaincre sa copine de garder l’enfant. C’est un film que j’ai écrit avec David Lambert, le réalisateur du long-métrage « Hors les murs ». On avait déjà collaboré pour « Dans nos veines ». Là, on est en recherche de financement. C’est très difficile de développer un premier long métrage sur l’adolescence sans têtes d’affiche. Mais bon, on continue d’y croire.
Propos recueillis par Marie Bergeret
Article associé : la critique de « U.H.T. »