Le Prix du Meilleur Documentaire au festival Media 10-10 cette année a été remporté à juste titre par « A nos terres » d’Aude Verbiguié. Ce remarquable premier film pose un nouveau regard sur un sujet qui semble être l’une des préoccupations des cinéastes belges ces derniers temps : la crise agricole ressentie de diverses manières à travers le monde.
Comme attirée par un appel à ses racines, Aude Verbiguié revisite sa région d’origine dans le département de l’Ariège, où elle suit Nicole et Auguste, vieux couple de survivants de cette espèce menacée qu’est la classe des fermiers. Dans leurs pérégrinations quotidiennes, la vie est dure et impitoyable mais gratifiante par le contact direct avec la Nature et la Terre. Aude Verbiguié explore la problématique de l’effacement progressif de la paysannerie locale face à la globalisation, en s’invitant dans l’intimité de ce couple, en leur donnant la parole pour exprimer leur point de vue, leurs craintes et surtout leur conviction sans faille pour une vocation d’éleveurs de bêtes et nourrisseurs d’hommes. Une vocation ancienne de millénaires qui distingue l’homme moderne de son prédécesseur chasseur-cueilleur, une vocation qu’il serait à tous points de vue aberrant de vouloir supprimer au nom du progrès. Au-delà de l’apologie de l’agriculteur paysan, le film démontre la fragilité du métier et l’incertitude de son avenir face au modèle productiviste qui, depuis des décennies, provoque la libéralisation des produits les plus fondamentaux, en l’occurrence la nourriture.
Ce ‘corporatisme’ semble effectivement en inquiéter plus d’un : les multiples crises laitières en Europe et les trop nombreuses catastrophes dans les pays pauvres ont indéniablement tiré la sonnette d’alarme pour qu’une grande partie de la population mondiale commence à questionner le statut quo et à chercher des solutions alternatives au marché agricole déséquilibré. Les cinéastes s’y mettent aussi, munis de leur caméra comme outil de communication. Rien qu’en Belgique francophone, l’an 2012 a vu pas moins de quatre titres consacrés à ce sujet brûlant. Du documentaire objectif et responsable de Jean-Jacques Andrien, « Il a plu sur le grand paysage », à la fiction intelligente et sensible de Guillaume Senez, « U.H.T », en passant par le documentaire affable mais quelque peu anecdotique de Manu Bonmariage, « La Terre amoureuse », il est évident que ce retour aux sources a le vent en poupe. Et le septième art comme puissance douce relève le défi de la dénonciation et de la sensibilisation sociale et, espérons-le, politique (en tout cas le documentaire d’Andrien aborde clairement cette dimension).
Ce n’est donc pas dans le choix du sujet que le travail de Verbiguié peut prétendre à une grande originalité. Sa force est plutôt dans sa démarche documentaire, franche, personnelle et hautement humaniste, qui permet une empathie totale avec son sujet. Avec son titre équivoque entre ode et ordre, « A nos terres » se positionne à la fois comme le portrait touchant d’un monde en voie de disparition et un traité engagé, un appel à l’action et à la réappropriation équitable et respectueuse de la planète par tous ses habitants.