Pour cette 27ème édition du Festival européen du film court de Brest, les programmateurs ont concocté un condensé de 13 films très courts assemblés dans leur désormais incontournable Cocotte Minute.
Qui y a-t-il dans cette cocotte ?
Le principe du programme reste inchangé : il consiste en une compétition de courts métrages européens de moins de dix minutes et sans dialogue. Cette année, onze pays européens sont représentés et les films issus des productions des pays du sud de l’Europe brillent toujours par leur déconcertante absence. Seule la Grèce tire son épingle du jeu avec la programmation de « Extrem walks », de Agnes Sklavos et Stelios Tatakis, un court métrage composé à la façon d’un jeu vidéo.
Si l’on regarde du côté des perles de ce programme, ce sont sans aucun doute les petits pays du Benelux (le Luxembourg et les Pays-Bas, la Belgique n’étant malheureusement pas représentée) qui relèvent cette année le niveau de la cuvée Cocotte Minute avec notamment le très léché « Year Zero » de Mischa Rozema, certes filmé à Prague mais entièrement post-produit à Amsterdam.
La comédie. Une force centrifuge.
Les programmes de films très courts ont toujours fait la part belle aux drôleries de tous types. Seulement, en période de crise économique et sociale, il semblerait que les cinéastes aient envie, et besoin d’exprimer des sentiments moins joyeux même dans les petites formes. Le programme Cocotte Minute, lui, est réputé être une compétition de films audacieux et souvent drôles ou tout du moins ludiques. Pourtant, les films proposés en 2012 semblent refléter une certaine morosité ambiante dont les auteurs et réalisateurs ont du mal à s’extraire.
Par chance, le programme est tout de même rythmé par trois films où l’on sourira faute de rire à chaudes larmes, et dans ceux là, les codes du genre sont respectés. Dans « What It Seems » de Jakob Schmidt (Allemagne), le spectateur est pris dans la tourmente d’un film à chute où l’ambiance sordide bascule inévitablement dans la grosse blague. Du côté des sketches et du burlesque, on se tourne vers le sympathique « Oh! Merde » de Guillaume Ducreux et Aliocha Itovich (France). On retrouve d’ailleurs dans ce film l’humour décalé de « Le monstre géant suceur de cerveaux de l’espace » dans lequel officiait Itovich en tant que comédien. Et puis, comment ne pas citer la douce moquerie « Riders to the Sea » de Orla Walsh (Irlande) qui traite de la difficulté d’être un(e) surfeur(se) épanoui(e) dans un monde où la combinaison en latex régit vos actes et gestes… Au-delà de ces trois films, très proches de la blague, le reste du programme surfe par contre sur une vague plus douce-amère et avoisine même le bord de la déprime.
Apocalypse is now
Dans ce programme, les hommes sont souvent représentés en tant que créatures profondément inadaptées au monde dans lequel ils vivent. Qu’il s’agisse de l’environnement urbain comme dans « Extrem walks » (Grèce) où une jeune femme aveugle doit affronter les obstacles de la ville, ou bien d’un monde futuriste dans « Ibijazi » de Luc Feit (Luxembourg) où l’héroïne subit l’aseptisation à outrance de son quotidien, l’univers semble ne plus être en adéquation avec ses habitants.
Ce sentiment de mal-être est doublé d’une mutation physique du genre humain dans le perturbant « Year Zero » qui pousse le cauchemar jusqu’à dépeindre un monde totalement apocalyptique. Il n’y aura bien que « (In) » de Mikko Kallinen (Finlande) pour tenter une réconciliation entre les hommes et leur environnement. Dans cet univers, les hommes communiquent par la danse avec des organismes amis. Maigre consolation que celle-ci face au marasme ambiant remarqué dans les productions européennes montrées à Brest, dans ce programme Cocote Minute : le monde y est dépeint avec un tel cynisme qu’il ne semble y avoir que peu de place pour la rédemption.
L’enfer c’est les autres.
Pour abonder dans le sens du désenchantement présenté dans les films précédemment cités, les autres courts métrages s’intéressent à la difficulté de vivre en compagnie d’autres personnes. On aborde ici les thématiques de l’incivilité, du vol, de la norme, de la difficulté de la vie en communauté… bref, toutes ces choses qui compliquent un peu ou beaucoup l’existence.
Si l’on regarde du côté de « Melvin » de Benoît Monney et Sami Khadraoui (Suisse), le bon samaritain représenté devient vite dans les esprits le gentil garçon dont on abuse, même si la chute du film permet une ouverture presque plus spirituelle où le héros peut apparaître comme une sorte d’ange gardien. Dans « .363 ep.2 » de Jessy Deshais et Daniel Albin (France) ou encore dans « Noise » de Przemyslaw Adamski (Pologne), il n’y a même plus de place pour la nuance : les hommes sont mauvais. Dans le premier, on assiste au racket d’un dépanneur par toute une kyrielle de gens bien propres sur eux, alors que dans le second, on est témoin de la vie d’un homme qui ne supporte plus les bruits engendrés par son voisinage. Bref, dans ces films, la vie avec ses semblables ressemble à un véritable enfer.
Quand on pourrait espérer que le cercle familial serait préservé de l’attaque des réalisateurs-en-crise, celui de « Waterbaby » d’Andrea Harkin (Royaume-Uni) se charge de contrecarrer cette supposition en narrant toute la difficulté d’un jeune homme à comprendre ce que peut impliquer son rôle de père. Le climax du genre se retrouve dans le film suédois « Jäsningen » de Åsa Maria Bengtsson qui propose une inversion de la norme. En effet, le handicap moteur devient la règle et celui qui n’est pas handicapé est banni de ce qui ressemble de près où de loin à une secte. Drôle de point de vue que de prôner ce type de discrimination sans concession.
Happy end
Malgré tout, LE facteur commun de tous les films du programme Cocotte Minute reste le happy end. Si le ciel manque de tomber sur la tête de la grande majorité des protagonistes des films, il existe toujours une ouverture positive. Elle peut être anecdotique et décalée comme dans « What it seems » où un soldat est pris dans un drôle de quiproquo ou plus lourde de sens comme dans « Der Philatelist » de Jan-Gerrit Seyler (Allemagne), où une rencontre va transformer la morne vie d’un homme solitaire en un bonheur simple.
Les films flirtent donc cette année avec des petites joies du quotidien, des surprises modestes et de drôles d’accidents. En somme, rien de bien tangible mais plutôt des instants fugaces de tensions positives ponctués de petites victoires sur soi-même ou sur les autres !
Cocotte Minute : un laboratoire d’idées et d’expérimentation
Pas facile pour les programmateurs de composer une sélection de très courts européens cohérente en termes de contenu. La Cocotte 2012 peut être prise comme une occasion de découvrir des films de jeunes réalisateurs qui expérimentent le cinéma. Les films d’écoles semblent trouver leur place dans cette compétition avec « What It Seems », « Der Philatelist » et « Waterbaby ». Les trois sont des films assez académiques qui s’appuient sur des références et des codes classiques en termes de narration et de réalisation mais qui sont dans l’ensemble de bonne facture. On relèvera à ce propos le beau traitement presque expressionniste des décors dans « What it seems ».
D’autre part, on remarquera cette année la quasi absence des animations auparavant bien plus représentée dans cette compétition. Autre fait suffisamment marquant pour être mentionné ici : deux films présentés sont des films de promotion. « .363 ep.2 » est le pilote d’une série et « Year Zero » n’est autre que le film de présentation du festival barcelonais OFFF ! Même si ces films sont de qualité – cela est tout particulièrement vrai pour « Year Zero » qui est sans conteste techniquement le meilleur film de la sélection –, ont-ils une place dans une compétition de courts métrages ? La production européenne de très courts est-elle si pauvre qu’on ne peut sélectionner d’autres films pour une compétition ?
Ne nous méprenons pas. Le programme Cocotte Minute est malgré tout un agréable moment à partager. Les films montrés sont propices à la discussion tant sur leurs fonds que sur leurs formes. Et même si l’ambiance cette année n’est pas à la franche rigolade, les films sont suffisamment décalés pour interpeler les spectateurs qui ne manqueront pas d’avoir un avis sur le film à primer.
Le programme Cocotte Minute est projeté au 27ème Festival européen du film court de Brest le mercredi 14 novembre à 18h et le samedi 17 novembre à 10h