« One Million Love Songs… and love stories » fait partie des nouveaux DVD édités par Chalet Pointu. Cette compilation est à l’origine un programme du Festival d’Annecy, conçu par Laurent Million, sélectionneur au festival. Du rose, des cœurs et une typographie romantique sur la jaquette, voilà qui ne saurait être un message plus que clair : nous avons affaire à des films d’amour ! Mais attention, ici pas de films mièvres ou à l’eau de rose; des courts métrages qui parlent d’amour en animation traditionnelle (2D, 3D, pixillation) et en chanson!
Avant de voir…
Il y a des DVD que l’on emballe dans de jolies jaquettes pour mieux pouvoir en faire commerce. Souvent, on y trouve des stars, des phrases chocs, des paillettes et autres fioritures qui flattent l’œil. Ici, difficile de jouer les vendeurs de pacotilles avec des courts métrages d’animation qui par essence n’ont pas de star au casting. En revanche, quand on prend le temps de retourner l’objet et qu’on détaille le programme, plusieurs noms assurent que le moment de visionnage va être intéressant. Parmi les plus fameux, on trouve les deux maîtres Bill Plympton avec « Your Face » et Gilles Cuvelier avec son célèbre « Love patate ». Ajoutons à cela de petites pépites d’humour qui, bien que déjà vues, sont toujours un agréable instant de cinéma comme avec « Le bon numéro » d’Aurélie Charbonnier ou « About Love » de Giacomo Agnetti. Bref, le paquet semble bien serti et l’heure et quart de films sera légère et agréable si l’on en juge par l’habillage du DVD.
One Million Love Songs
Cela peut paraître audacieux de mettre en exergue les chansons d’amour plutôt que les histoires en elles-mêmes quand on présente des courts métrages. C’est pourtant par ce biais que Monsieur Million nous invite à voir, et à entendre, les 12 films qui composent ce programme.
Les musiques, les chansons sont ici autant de jalons qui parcourent les histoires d’amour présentées. Pas de ségrégation dans les genres musicaux, on passe aisément d’une reprise punk de My Heart Will Go Home dans « Fishes » de Mirek Nisembaum, à une ode jouée à la mandoline dans « Dji vou veu volti » réalisé par le Belge Benoît Feroumont, sans oublier les airs pop de «Your Face » de Bill Plympton ou jazzy de « Falling in Love Again » de Ferguson Munro qui tirent leur épingle du jeu. Jeu musical qui supplante parfois la narration et supporte beaucoup le jeu amoureux dans sa mise en scène. Que l’on soit dans une séduction classique entre un prince et sa princesse, ou face à une relation plus audacieuse comme dans « Love patate » où l’amour unit un être humain à une pomme de terre, les chansons se font les relais inventifs des sentiments des personnages !
C’est bien connu, les musiciens font rêver les filles. Mais dans la compilation, Monsieur Million insiste également sur la sensibilité des hommes à la douce voix des chanteuses. Dans « Hasta los Huesos » de Castillo René, c’est une chanteuse de bar qui fait tourner la tête à un tout jeune cadavre qui découvre les bas fonds du monde. De la même manière, on retrouve l’attraction ulyssienne pour la femme-sirène fantasmée par un homme qui en perd la raison dans « Illuzia » de Naeh Uriah et Assoulin Udi. Le programmateur aura même osé le clin d’oeil aux maitresses du chant d’amour : les divas, avec la reprise de Céline Dion évoquée plus haut dans « Fishes » et la voix sublime de Marlène Dietrich dans « Falling in Love Again ».
And love stories!
Les histoires présentées dans le programme sont aussi différentes que peuvent l’être les relations amoureuses. Le panel, s’il ne peut être considéré comme représentatif des amours, amourettes et flirts de nos semblables, est pourtant un beau florilège de mise en scène des sentiments et des sensations de l’amour.
L’animation permet de se dégager des contraintes du réel. Le crédible n’a pas d’importance et la distance instaurée par des personnages étranges, animaliers ou fantasmés permet de se recentrer sur l’essentiel. On est dans le conte ou la fable dans la plupart des films proposés sur ce DVD. Une histoire d’amour entre un radiocassette et sa voisine également robotique ne peut susciter d’émotion que grâce au talent d’un réalisateur pour le moins imaginatif, Jonathan Nix. Il réalise avec « Hello » une amourette radiophonique que l’on se prend à avoir envie de voir littéralement fonctionner. Dans « Love patate », c’est presque une démonstration sur la tolérance à laquelle on a affaire. L’amour qu’un homme porte à une patate est incompréhensible et pourtant… on se laisse cueillir!
Ces récits, tous très narratifs, nous parlent de nos sentiments mais sont également très portés sur l’influences des illusions que chacun se forge autour de ce qu’est la relation amoureuse. Celles-ci sont ici prétextes au ridicule. Dans «Illuzia», les réalisateurs transforment un homme pris par l’ennui en un rêveur lubrique qui cherche à atteindre une femme qu’il n’aura bien entendu jamais. L’amour trivial porte à sourire dans son traitement, tant l’homme y paraît tout à fait niais.
Dans «Rosette» de Romain Borrel, Gaël Falzowski, Benjamin Rabaste et Vincent Tonnelli, c’est la femme qui se retrouve emprise à des pulsions de volupté carnassière. Les réalisateurs, issus de Supinfocom, mettent en scène une donzelle dont le cœur bat pour un univers fait de viande. Dans le monde réel, celle-ci fantasme sur son boucher mais n’assumera finalement pas de pénétrer complètement dans ce monde de viande.
La chair est faible dans les histoires d’amour, même lorsqu’elle est faisandée comme dans « Hasta los Huesos » ou quand elle court à la perte de ceux qui sont amoureux comme dans « Love Song » de Bruce Currie. Dans ce film en 3D, des rats musiciens, et à moitié mutilés, s’acharnent à séduire une grosse bête qui pourrait bien s’avérer être leur prédatrice.
Finalement, dans l’amour, il n’y a définitivement que peu de place pour la raison… Sauf peut-être si l’on traite la chose froidement, à force de scénettes en pixillation qui illustrent des moments de vie d’un couple du début à la fin de son histoire… C’est ce qu’a créé Giacomo Agnetti dans « About Love ». Il y condense les meilleurs et surtout les pires moments d’une love story en y ajoutant une touche de hasard malheureux qui renforce un peu plus l’aspect déjà comique de la chose.
Les histoires d’amour finissent mal en général…
Dans les 12 films, on rit beaucoup avec des histoires tragi-comiques qui font passer l’amour vache pour une comédie en soi. Il y a là l’histoire la plus absurde des histoires de hasard : « Falling in Love Again ». Dans ce film au graphisme désuet, Fergusson Munro fait se rencontrer littéralement par accident un homme et une femme qui tombent amoureux mais qui chutent également dans un ravin dans le même mouvement, leur fin s’avérant être amoureusement tragique.
Il faut aussi croire que parler d’amour en animation rime facilement avec détournement de codes sociaux et relationnels. Les réalisateurs s’amusent à jouer avec les stéréotypes. Dans « Fishes », le romantisme en prend un coup quand l’hymne à l’amour du « Titanic » de Cameron est repris par un chœur de poissons peu fréquentables. Du côté de l’ode interprétée par les amoureux transis, c’est « Dji vou veu volti » qui se moque des mots exprimés par un prince à sa belle. Le réalisateur détourne les sous-titres et les transforme en un véritable personnage qui devient l’adversaire du prince. « Hello », quant à lui, propose un point de vue plus gentil du détournement de l’ode amoureux quand il personnifie des objets technologiques en les dotant de sentiments et en les faisant s’exprimer à force de sons préenregistrés. La petite pépite (déjà dit en haut) en mode clin d’œil sur le détournement de codes de l’amour moderne est sûrement le léger « Le bon numéro » où Aurélie Charbonnier se moque de l’envie de créer, par des moyens artificiels et technologiques, des relations amoureuses qui correspondraient en tous points à nos attentes… La morale de cette histoire étant bien sûr qu’à vouloir tout contrôler, on passe à côté du hasard et… du bonheur comme la petite brunette héroïne.
Les histoires et les chansons d’amour de M. Million font la part belle au hasard, fantasmes, accidents et autres aléas de la vie amoureuse. Ici, pas de drame, juste une bonne douzaine de parenthèses plus ou moins enchantées qui portent un regard, tendre ou cruel, mais le plus souvent drôle, sur ce sentiment universel qu’est l’amour.
« One Million Love Songs… and Love Stories » est un programme léger mais loin d’être insipide. Si les films ont déjà eu de belles carrières et ne sont pas pour la plupart des nouveautés, le DVD constitue le point de vue d’un programmateur de renom sur le thème de l’amour animé. Peu de maisons d’édition de DVD se risquent à ce genre d’exercice et le travail de Chalet Pointu mérite à ce titre d’être salué encore une fois.
Articles associés : la critique de « Dji vou veu volti » et de « Hasta los Huesos »
One Million Love Songs… and Love Stories : éditions Chalet Pointu