Cette année, davantage que les autres, la sélection du Brussels Short Film Festival révélait la noirceur de l’âme. Des films venus des quatre coins du monde qui déclinaient la même souffrance, la même peur d’exister et la même peur de mourir. Parmi ceux-ci Darwaazon wala Ghar (La Maison aux portes) de Nishant et Rohit Sharma et Tuba Atlantic d’Hallvar Witzø ont retenu l’attention grâce à leur façon poétique et originale de traduire le déclin de l’Homme.
Dans son essai La Vieillesse, publié en 1970, Simone de Beauvoir adressait déjà une virulente critique à la société française pour la manière dont elle considérait les personnes âgées. Taboue à bien des égards, la question demeure dérangeante même 40 ans plus tard. Chez nous en Occident, vieillir angoisse, car chaque année supplémentaire mène irrémédiablement vers la mort. Et la mort est synonyme de fin. Par cette considération existentielle, la vieillesse reste fort mal acceptée par la majorité des gens. C’est ainsi que l’homme moderne et civilisé, fort d’un emploi du temps hyper chargé, laisse choir les rêves et les illusions de ses aînés dans de jolies chambres aux murs décrépis, jusqu’à ce qu’ils reposent (définitivement) en paix.
Avec Darwaazon wala Ghar (La Maison aux portes), Nishant et Rohit Sharma signent une métaphore sensible des relations humaines. Sur le pas de sa porte, un homme d’un certain âge est assis et semble contempler l’activité de la ville. Quand ses voisins se débarrassent d’une vieille chaise et la jettent à la décharge, l’homme s’en va la récupérer, les voisins la reprennent et l’homme la récupère à nouveau jusqu’à ce qu’il décide de s’attacher à celle-ci quitte à être lui-même emporté à la décharge. Même s’il est vrai que Darwaazon wala Ghar est un film formel avant tout, il peut éventuellement se lire comme un questionnement sur la place des « Vieux ». Ainsi, dans un pays où les aînés sont vénérés, où une place de choix leur est accordée, le jeune tandem indien semble au contraire exprimer le désenchantement tangible d’une vieillesse caduque, attachée à des traditions considérées comme obsolètes. Comment évoluer dans un monde moderne qui vit à un rythme de plus en plus effréné sans se détacher un peu du passé ? Et comment vivre dans un monde qui abandonnerait les valeurs de ce passé ? C’est qu’au sein de la « plus grande démocratie du monde », croyances et traditions sont le lien même qui tissent les relations. Par le biais de panoramiques répétitifs, le film cantonne volontairement, la réalité dans un horizontal suffocant. La jeunesse ainsi confinée dans un carcan linéaire se retrouve incapable de communiquer avec ses pères et décide de s’en débarrasser tout simplement.
De son côté, Tuba Atlantic du Norvégien Hallvar Witzø prend le parti pris d’un cynisme nordique. Oskar, vieil acariâtre de 70 ans, apprend par son médecin qu’il lui reste 6 jours à vivre. En dispute avec son frère depuis des années, il est prêt à lui pardonner. Le problème est qu’il habite de l’autre côté de l’Atlantique. En lice dans la course aux Oscars du mois de février et lauréat du Prix des Médiathèques à Clermont-Ferrand, Tuba Atlantic est le genre de film qu’on n’oublie pas, tant le scénario, la mise en scène et l’interprétation sont une belle réussite. Mais Tuba Atlantic pourrait sembler morbide s’il n’y avait pas cet humour décalé parsemé tout au long du film. Pour filmer un homme en fin de vie, Witzø a également opté pour des mouvements horizontaux, non pas pour enfermer le spectateur mais pour renforcer la solitude d’Oskar en quête d’un dernier signe de réconfort avant le grand départ. La musique, toujours en contrepoint, souligne le côté décalé et maladroit du personnage et permet d’entrer une pointe de burlesque dans cette angoisse existentielle. Des paysages norvégiens, hivernaux et désolés, filmés dans des horizons lointains, se dégage une poésie sensible, palpable mais inexprimée. Comme si l’appel de l’ailleurs était plus fort malgré tout, comme si Oskar le savait mais qu’une dernière fois il lui fallait montrer au monde qu’il resterait ce grincheux solitaire, tueur de mouettes dont il déteste le cri.
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