« Au même moment, un peu plus loin… »
Isabelle Tollenaere est loin d’être inconnue au bataillon du Festival Courtisane puisqu’elle y était lauréate en 2008 et en 2010 avec respectivement « Still leven » (2007) et « Trickland » (2010). « Viva Paradis » est son troisième film sélectionné à Gand.
Le 14 janvier 2011, sur l’avenue Habib Bourguiba, on pouvait entendre des cris de joie qui scandaient, poings levés, des convaincants « Ben Ali, dégage » aux côtés de rageurs « vingt-trois ans, basta ! », deux mois après le départ du dictateur, Isabelle Tollenaere a promené sa caméra dans les couloirs d’un cinq étoiles tunisien. Là, le temps s’est arrêté, figé dans une réalité immuable, inébranlable où la chute de Ben Ali et l’immolation de Mohamed Bouazizi ne semblent jamais avoir existé.
Quand une partie de la Tunisie compte ses victimes, l’autre appâte ses proies et tente d’ignorer les secousses des tremblements qui l’anime. L’industrie du tourisme se révèle alors aussi inadaptée que les caciques de l’ancien régime. Au creux de la Révolution du Jasmin, le personnel de l’hôtel agit comme si de rien n’était, pour le bien-être de la clientèle venue trouver en ses lieux, le luxe, le calme et la volupté attribués à un exotisme démodé. Et dans les couloirs vides, on différencie subtilement le client du personnel tant l’impassible inactivité les réunit.
Avec des plans séquences significatifs, « Viva Paradis » se présente comme un cliché instantané, révélateur du vide, de la poursuite d’un artificiellement beau, d’un superficiellement faux. Des grandes pièces dépeuplées de l’hôtel, aux plages de cocotiers désertes, en passant par les ruines tristes d’une Carthage détruite, la réalisatrice filme l’absence et le dénuement. Le montage mêle sans intertitres ni narration over, des images des ruines à celle du Palace fraichement rénové. Sans rien revendiquer, mais grâce à sa distance individuelle, la vidéaste dévoile les contradictions liées à la façon dont ont devient, malgré soi, acteur de l’Histoire.