Sélectionné en compétition nationale au Festival international de Clermont-Ferrand, « In Loving Memory » est le quatrième court métrage d’un homme de cinéma touche-à-tout qui aime travailler dans l’urgence et l’improvisation.
Jacky, est-ce que tu peux m’expliquer comment est née l’idée du film, quel en a été son point de départ ?
C’est un peu long…. Le point de départ a eu lieu il y a quatre ans. J’ai trouvé un stock d’images Super 8 dans un marché aux puces que j’ai acheté. Je ne sais pas vraiment comment ces images sont arrivées entre les mains de ce brocanteur, mais j’avais une vingtaine de bobines d’une demi-heure chacune, montées, étiquetées très précisément (vacances 61, vacances 62, …). Il s’agissait de films de vacances d’une famille allant de 1960 à 1975, mais je ne pouvais pas les voir. J’ai cherché pendant quatre ans du matériel de visionnage mais le problème est que ce matériel abîmait les bobines, rayait les pellicules. Je sentais que j’allais en faire quelque chose un jour mais il fallait pour cela que j’attende de pouvoir les numériser, ce qui impliquait de trouver un budget… Donc j’ai fantasmé ces images de vacances, j’imaginais ce qu’elles pouvaient être, j’avais en tête des films naïfs, mais je ne m’attendais pas à ce que le vidéaste ai un tel sens de l’image.
Quel a été finalement le déclencheur pour faire naître le film ?
J’avais cette matière. Il y a un an, les responsables du G.R.E.C, qui avaient produit mon précédent film, « Far from Manhattan», m’ont contacté ainsi que six autres jeunes cinéastes dont ils avaient produit les films récemment. Ils nous ont présenté un projet de commande de film collectif de France 2, qui représentait une heure et demie d’antenne. A partir de là, entre cinéastes, on a discuté mais on n’a pas réussi à trouver de thème commun, donc l’idée a été que chacun fasse son film et que les ponts se trouveraient naturellement a postériori.
A la base du film, il y a donc eu cette commande d’un film qui devait faire huit minutes et qui était produit avec 8.000 euros, ce qui représente la moitié du budget habituel d’un film du G.R.E.C. Avec ce budget, il fallait trouver une façon de faire un film pas cher. Je savais que je n’aurais pas assez pour un tournage complet, donc j’ai utilisé l’argent pour numériser les pellicules Super 8, payer la monteuse, la musique et les effets spéciaux.
Par ailleurs, un ami de La Fémis, m’a fait dans le même temps une autre commande, pour un exercice de fin d’études. Il m’a demandé de faire un film de science-fiction en Super 8, dans l’esprit de la fin de « Far from Manhattan », alors, je suis reparti avec Cassandre (Ortiz, comédienne de « Far from Manhattan » et « In Loving Memory ») et j’ai fait appel à un ami qui fabrique des armures. Au final, il y a donc un autre film qui existe avec les mêmes images que pour « In Loving Memory ».
Et puis, il existe une troisième source pour le film. J’avais vu un clip de Kanye West qui utilise la technique du datamoshing (technique qui consiste à recréer volontairement des erreurs de compression vidéo à des fins artistiques). Cette chose me fascinait, je l’avais repérée comme tout le monde à la télévision mais surtout sur les DIVx. Le datamoshing créée des images monstrueuses, notamment dans les films pornos. Ces images s’entremêlent et créent des trucs incroyables. En revanche, je ne savais pas qu’on pouvait recréer cet effet, et quand j’ai compris je l’ai utilisé. J’avais donc ces trois éléments, et j’ai simplement dit au G.R.E.C que je n’avais pas d’idée de film mais qu’en revanche, j’avais des images en Super 8, que j’adorais un clip de Kanye West, que j’avais fait des images de Cassandre en armure, et qu’avec cela, on pouvait sûrement faire un film. Ils m’ont totalement fait confiance.
Quand as-tu écrit le scénario ?
A ce moment là, je n’avais pas encore de scénario. Quand j’ai commencé à écrire mon scénario, ou du moins à réfléchir à ce que je voulais raconter, j’ai voulu parler de la mémoire et de la filiation. J’ai perdu mon père cette année et je pense que cela a en quelque sorte conditionné le film, même si je ne parle pas de cela. Le film n’aurait pas existé de cette façon-là dans d’autres circonstances.
Comment as-tu abordé le travail autour des images en Super 8 ?
Le Super 8, c’est magnifique, mais ça comporte un problème. C’est trop beau, trop facilement mélancolique ou poétique, trop facilement kitsch en fait. Avec ces images, je savais que je prenais le risque de tomber dans ces travers kitsch, ce que je voulais éviter. C’est pour ça que j’ai choisi de détourner les images par le biais de la science-fiction. J’ai imaginer un futur où on pourrait, via la technologie, nous amputer de notre mémoire, un peu dans l’esprit de Philip K. Dick. J’ai voulu montrer la face cachée de ces images presque publicitaires. Il s’agissait presque de faire un film contre ces images trop belles, à l’aspect factice. Le datamoshing était le moyen parfait de figurer leur déstructuration.
Existe-t-il une résonance entre ton film précédent « Far from Manhattan » et « In Loving Memory »?
« Far from Manhattan » était vraiment une ouverture sur le monde de la femme qui, à la fin du film, sort dans la rue dans son armure et finit par l’ouvrir pour symboliquement sortir de sa bulle. Là, j’avais envie de continuer avec la même actrice qui m’inspire et de traiter ce que les anglo-saxons appellent l’ « empowerment » féminin, ce moment où les femmes prennent les armes. C’est une chose qui me fascine depuis que je suis gamin. A l’époque, j’adorais les dessins animés japonais, comme « Cat’s eyes, où d’un coup une femme revêtait une armure et devenait surpuissante.
Pourquoi avoir choisi une voix-off en anglais ?
J’ai essayé au départ de faire une version française avec Cassandre car elle parle aussi français, mais ça n’allait pas. Son accent français ne collait pas, ça m’intéressait moins, donc je ne l’ai pas faite car je n’avais pas non plus envie de prendre une autre actrice. Le film est en anglais pour une raison très simple, c’est que je voulais le faire avec Cassandre. A la limite, le titre aurait pu être en français mais il n’y a pas d’équivalent en français de l’expression « in loving Memory ». Au départ, le film avait un autre titre mais à cette époque, j’étais en train de lire la biographie de Don Simpson, qui est un producteur cocaïnomane et accro au sex, qui a produit « Top gun » et tous les films d’action des années quatre-vingt. Ce type était un vrai connard et le livre commence par « In loving memory Don Simpson »…
Tu as évoqué l’autre film de La Fémis fait à partir des images Super 8 et monté par cet ami étudiant, a-t-il également monté « In Loving Memory »?
Non, car il fallait vraiment garder une distance entre les deux films. Très tôt on s’est dit tous les deux qu’il fallait qu’on arrête de se parler de nos films respectifs. Chaque film a fait son propre chemin.
Est-ce que tout était très écrit ? Notamment le texte de la voix-off ?
Non, je n’aime pas trop écrire en avance. En fait, j’ai écrit l’histoire avant même de voir les images en Super 8, en espérant que cela fonctionne – ce qui aurait pu ne pas être le cas – et une fois que l’histoire a été écrite, je suis allé en salle de montage voir les images. Elles correspondaient à mes attentes, étaient classées par thématique. J’avais douze heures de rushes qu’il a fallu classer. L’écriture du texte s’est faite avec une belle part d’improvisation que j’ai adorée ! Je revendique cette prise de risque, c’est la façon de travailler qui m’excite le plus. Quant à la musique, elle s’est faite en « live », je travaillais avec la monteuse et envoyais en direct des choses au compositeur qui me faisait des retours. Travailler avec moi, c’est très stressant… Tout se fait dans l’urgence.
Ton film est sélectionné en compétition nationale, aurais-tu préféré une sélection labo ?
Je peux remercier le festival de Clermont qui a sélectionné trois de mes quatre films. Le seul qu’ils n’ont pas pris est finalement le plus expérimental. Ce n’était pas évident de sélectionner « L’enclave » qui est un film fragile, fauché et qui ne ressemble pas trop aux films sélectionnés en général. Quoi qu’il en soit, mes trois autres films ont été sélectionnés en compétition nationale même s’ils portent à chaque fois un peu d’expérimental en eux. Cela me fait plaisir d’être en national, je trouve que cela propose une ouverture sur l’expérimental au public.
As-tu des projets de long-métrage?
Je commence à écrire un long métrage, je ne me censure pas, il est expérimental et sera sûrement très dur à faire passer. J’espère le produire avec ma propre structure. Je viens d’autre part de produire un documentaire qui va bientôt sortir en salle.
Comment s’organise ta vie de critique avec celle de cinéaste et avec celle de programmateur d’un ciné-club sur la comédie US (cf. au Studio des Ursulines) ?
Pour ce qui est de la comédie, j’en programme, j’en critique mais je n’en fais pas car j’aime trop ce genre et que je ne suis pas sûr de pouvoir faire de bonne comédie. C’est un genre très difficile. Je n’ai pas de modèle pour faire une bonne comédie française même si j’aimerais un jour écrire une comédie sentimentale. Et puis, je pense qu’on ne fait pas forcément les films qu’on veut mais les films qu’on peut. Pour l’instant, je ne me pose pas la question d’un genre quand je réalise. Tous mes films se sont faits au fil de l’inspiration. Si demain, je suis inspiré pour faire une comédie, et bien j’en ferai une.
En ce qui concerne la façon de concilier critique et cinéma, c’est une vaste question. J’ai commencé à faire des films en même temps que j’ai commencé à écrire pour les Inrocks, en 2007. Je pense qu’il y aura un moment où j’arrêterai d’être réalisateur, producteur et critique. Le jour où je passerai au long, j’arrêterai probablement la critique. Pour l’instant, j’évite d’écrire sur le court métrage français car je suis trop impliqué dedans.
En tous cas, je pense que la critique est une bonne école pour la réalisation car cela apporte un regard sur la mise en scène, chose indispensable pour la création cinématographique. La critique m’apporte beaucoup en terme de réflexion et aussi de plaisir autour du cinéma.
Propos recueillis par Fanny Barrot
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« In Loving Memory » est présenté en compétition nationale au Festival du Court Métrage de Clermont-Ferrand (Programme F6)