Fondé à Bruxelles en 1962, l’Institut National Supérieur des Arts du Spectacle avait pour but initial de briser les frontières entre la théorie et la pratique, de favoriser les collaborations entre les créateurs et les techniciens, de former des professionnels des métiers du cinéma. 50 ans plus tard, le Festival clermontois lui a accordé une carte blanche composée de 10 films. L’occasion pour certains de voir ou de revoir des courts métrages qui ont fait la renommée d’une certaine « belgitude » grâce à des personnalités tels que Jaco Van Dormael, Rémy Belvaux ou encore Olivier Smolders.
Qu’en est-il de la jeune génération ? Entre réalisme et imaginaire, elle papillonne, entre documentaire et fiction, elle virevolte. Mais force est de constater que l’humour noir, l’autodérision et le surréalisme d’il y a 20 ans ont laissé la place à une mélancolie douce-amère. Illustration en 6 films.
Réalisme prosaïque
Avec ses airs « stripteasiens », le film d’études d’Eve Duchemin « Ghislain et Liliane : couple avec pigeons » dépasse le voyeurisme de la célèbre émission pour creuser ses sillons plus authentiquement, au creux de l’être, entre la vie et la mort, à la lisière de ceux qui restent et de ceux qui partent. Un documentaire certes, une réalité naturellement, celle d’un couple qui se retrouve à l’automne de sa vie. Ghislain, colombophile féru, se voit obligé d’abandonner sa passion pour des raisons de santé. Seulement les pigeons, c’est sa vie. Liliane le sait, même si elle aurait sans doute apprécié un peu plus de petites attentions à certains moments, une sortie par-ci, un cadeau par-là. La réalisatrice communique avec le couple sans jamais se mettre en scène mais les regards de Ghislain, les paroles de Liliane, les confessions de chacun (très peu filmés ensemble), leurs états d’âme en somme, c’est à elle qu’ils sont adressés. Le spectateur devient alors le confident, le témoin tacite de ses échanges teintés de réflexions existentielles.
De considérations métaphysiques il en est maladroitement question dans la fiction de Laurent Golia « Casse-noisettes », qui n’a rien du ballet russe si ce n’est la thématique de la difficulté de grandir. Mûrir c’est peut-être aussi être capable de s’engager dans une relation de couple et prendre conscience de ses responsabilités. Or, le protagoniste bisexuel du film, passe son temps à rompre, à s’en aller au moment où les choses commencent à être sérieuses. Un soir, alors qu’il se rend chez un potentiel partenaire sexuel, après avoir passé un bon moment, son hôte se tord de douleur. C’est une torsion testiculaire, anecdote qui donne son titre au film. Notre héros reste perplexe face à l’idée de s’occuper de lui : personne ne peut accompagner « le rendez-vous galant » à l’hôpital ni lui apporter du linge propre puisque sa famille vit à l’étranger. Derrière le choix du libre détachement du héros, ses fondations humaines demeurent. Et notre personnage se retrouve ainsi, pour un temps qu’il abrège bien vite, responsable de quelqu’un qu’il ne connaît pas du tout. Mettant superficiellement en évidence les failles de l’homme moderne, bizarrement, le film de Laurent Golia porte bien son nom.
Montréal, au cœur de l’hiver 2007, Roger est un barbier discret et patient qui met ses talents de coiffeur au service des plus démunis : des sans-abris. Avec « Le Barbier », Julie Decarpentries réalise un documentaire inspiré. « Le Grand Roger », comme on aime le surnommer, exerce son métier, simplement, avec minutie et précision tout en parlant avec ses clients qui laissent transparaître des histoires individuelles dures et parfois tragiques. Pour montrer l’homme à l’ouvrage, la caméra de la réalisatrice reste fixe et garde une taille de plan qui suggère le tableau, le portrait. Le plan se rapproche lorsque la confession est intime, lorsque le coiffeur s’applique. Aussi assiste-t-on à une gestuelle professionnelle d’une longue expérience qui telle une caresse bienveillante rend un peu de dignité à ces marginaux « vagabonds ». Il y a quelque chose dans « Le Barbier » qui échappe à l’image et qui porte le réalisme prosaïque au-delà de la triviale banalité.
Imaginaire poétique
Celui qui n’a jamais rêvé de troquer son âge pour un autre peut jeter la première pierre à Pascale Brischoux, l’auteure du romanesque « Une longueur d’avance ». Si dans la majorité des cas, on préfère rajeunir, la réalisatrice s’est penchée sur l’exception en se demandant ce qui pouvait amener certains à vouloir vieillir, surtout quand il s’agit de jeunes filles. L’amour évidemment ! Ainsi, une jeune femme efface les années qui la séparent de son compagnon plus âgé. En allant vendre ses jeunes années dans un bureau énigmatique, elle offre une preuve incontestable que l’amour n’a pas d’emprise sur le temps. Et à son retour à la maison, la bouche de son amant garde le silence pour écouter le cœur de sa promise et entendre les battements qui l’ont poussée à agir. Filmé dans des couleurs pâles et sobres pour souligner le vermeil des sentiments, le film possède en son for intérieur des nuances qui font un moment penser à « La Plage d’Ostende » de Jacqueline Harpman.
« Three Inches of Memory » de Camille Fontenier et « Tao m’a dit » de Léo Médard ont tous deux profiter d’un programme d’échanges entre l’Insas, Sint-Lukas (Bruxelles) et la Beijing Academy. Réalisés à un an d’intervalle (2009 et 2010), les films sont des lettres filmées adressées au reste du monde, des cartes postales vidéos envoyées d’une ville magnétique, Pékin et d’un pays fascinant, la Chine. Quand le regard féminin de Fontenier se penche sur la quête de la tradition des petits pieds, Médard s’engouffre quant à lui sur les chemins de la philosophie en tentant de retrouver les traces du Tao.
L’un et l’autre ressentent le besoin et l’envie de creuser les mythes d’une culture millénaire en partant d’authentiques stéréotypes (les petits pieds ou le Taoïsme) tout en rencontrant le chaos de l’Orient moderne, celui de l’agitation urbaine et du flux continu. Si « Three Inches of Memory » a tout d’un conte, « Tao m’a dit » se rapproche du monologue métaphysique. Les deux lettres filmées hypnotisent parce qu’elles rendent comptent du pouvoir poétique des images et qu’elles mêlent imaginaire et réalité dans une errance solitaire et abstraite. A la recherche de fantômes ancestraux, les étudiants semblent avoir trouvé dans les visages anonymes d’aujourd’hui, un témoignage de la permanence des choses.