Mihai Grecu est un auteur expérimental qui sait jouer avec les émotions du spectateur. Son dernier film, « We’ll become oil », dresse un tableau noir et hyper esthétique du monde contemporain centré sur son fondement énergétique, le pétrole. Un peu comme dans son précédent film « Centipede sun », le réalisateur roumain crée des images épurées qui nous font pénétrer dans un univers visuel et sonore hypnotique où la matière et les éléments prennent vie et nous amène à une profonde réflexion sur notre propre nature et l’époque que nous traversons. Avec « We’ll become oil », la terre, l’air, le feu et l’eau, entre harmonie et déséquilibres, suscitent la fascination.
Le film débute par un lent panoramique qui nous fait découvrir le paysage magnifique et aride d’une montagne hérissée de pics se dressant sous un soleil de plomb. Dans l’environnement sonore, des fréquences radio se brouillent et font écho aux commentaires techniques de quelques pilotes aéroportés. Survolant en rase-motte l’étendue désertique, des hélicoptères de combat entrent dans l’image pour se livrer à une troublante chorégraphie. Dans la tempête de sable que soulève le mouvement des rotors, ils ont l’air de danser, par paire ou en ronde, semblant célébrer le triomphe technologique et destructeur. Soudain, comme pris d’une folie incontrôlable qu’on mesure être celle des hommes, les hélicoptères se ruent les uns sur les autres, s’écrasant au sol dans un chaos de flammes et d’émanations toxiques. Une épaisse fumée noire s’élève au-dessus des dunes de sable. Dans un plan large, le nuage obscur envahit tout l’espace d’un paysage à l’état sauvage, emplissant l’atmosphère d’un tourbillon délétère. Comme dans les incendies des puits de pétrole irakiens, un feu ardent jaillit du sol, dressant au dessus de lui des colonnes de gaz apocalyptiques. Un plan aérien nous fait survoler un paysage côtier, en arrière-plan, d’intarissables feux de puits s’embrasent, la caméra plane au-dessus d’un lac d’essence pour nous plonger dans les envoutants reflets irisés d’une marée noire globale.
« We’ll become oil » est un film magnétique qui, en jouant sur la force des éléments, parvient avec subtilité à nous faire saisir la beauté dans la dévastation. S’emparant du rapport paradoxal entre la nature et les hommes, il fait l’allégorie d’une époque destructrice de prédation et de folie humaine, celle de la fin du pétrole.