Synopsis : Inspiration d’un fantôme qui erre sur les rivages alentours touchés par le Tsunami en décembre 2004. Dans un village sur une île thaïlandaise (Ko Samed), les deux réalisateurs ont mis un acteur à disposition de trois enfants de 4 à 6 ans, en les invitant à le diriger. Le personnage devient une marionnette qui s’agite au grès de leur imaginaire. Un support sur lequel les enfants se projettent. Le film est structuré sur la direction d’acteur enregistrée en temps réel, passant d’une activité à une autre, d’une émotion à une autre, sans hiérarchie. Un portrait de cette île vu par les enfants de la plage.
Genre : Installation
Durée : 9’13’’
Pays : France, Thaïlande
Année : 2005
Réalisation : Christelle Lheureux et Apichatpong Weerasethakul
En France, la formation au cinéma d’animation se porte bien. La Poudrière, les Arts Déco, Les Gobelins, l’EMCA, Emile Cohl, l’ESMA, Supinfocom Arles… Autant de noms ronflants pour des écoles prestigieuses qui accompagnent les talents émergents des films d’animation de demain. L’Association Française du Cinéma d’Animation (Afca) s’est récemment associé à la promotion de cette jeune création en dédiant une compétition spécifique à ces films de fin d’études lors de son Festival National du Film d’Animation de Bruz. Laboratoire d’expériences ouvert à tous les styles graphiques et techniques, banc d’essai artistique où s’exposent innovations et inspirations du moment, le Festival nous a fait découvrir avec près de 35 films issus de ces pépinières de talents, la réserve de créativité du cinéma d’animation français. Parmi eux, quelques coups de cœurs de Format Court.
Matatoro de Raphaël Calamote, Mauro Carraro et Jérémy Pasquet
Avec « Matatoro », les trois auteurs issus de la promotion 2010 de l’école Supinfocom, Raphaël Calamote, Mauro Carraro et Jérémy Pasquet, probablement inspirés par la culture populaire locale de la région d’Arles, nous font pénétrer dans le décor des antiques arènes pour vibrer au rythme hispanisant des spectacles tauromachiques. Le film qui mélange des techniques de dessin en 2D et quelques passages en 3D, nous propose une faena surréaliste dans le monde baroque de la corrida. Jouant sur la confusion du réel et de l’imaginaire, on suit le parcours émotionnel d’un torero maladroit affrontant fébrilement une bête terrifiante de l’élevage Miura, ainsi que la bronca impitoyable d’un public aficionado. Respectant l’univers ultra-codifié des courses de taureaux, le film nous fait traverser les étapes du spectacle en transfigurant les perceptions de son héros pathétique. Dévoyant aux valeurs traditionnelles qu’incarnent les matadors, ce torero de pacotille prend tour à tour les traits d’une danseuse de flamenco enchaînant les passes, d’un picador piteux monté sur les chevaux de bois d’un ancien manège, ou d’un trapéziste balancé dans les hauteurs d’un chapiteau lors du tercio de banderilles, alors que les peones masqués (toreros subalternes) dansent en ronde autour de la bête sauvage qu’ils font tourner en bourrique.
L’univers sonore du film est parfaitement ciselé, et mêle avec brio des ambiances musicales latines et foraines, et les interactions d’un public hyper-stylisé qui s’incarne selon les scènes en fines paires de moustache lorsqu’il s’agit de rire, en une nuée d’yeux sifflant implacablement la prestation, où en fourchettes frémissantes à l’heure de la mise à mort. Car dans le cirque tauromachique, tout termine toujours par une mort dans l’après-midi. L’estocade de « Matatoro » est une merveille du genre et dresse un tableau digne de Jodorowsky, tourné en 3D dans un silence de mort que seul interrompt le bruit d’une vague de fond. Au bout du compte, c’est finalement le torero qui est transpercé par la bête, finissant par se fondre complétement avec elle pour ne plus former qu’une espèce de minotaure christique planant dans les rayons du soleil au dessus d’une arène à genoux. « Matatoro », vainqueur du Grand Prix du film étudiant de Bruz, fait partie de ces films allégoriques qui savent vous troubler par sa puissance émotionnelle.
Laszlo de Nicolas Lemée
Avec « Laszlo » de Nicolas Lemée, l’école de La Poudrière produit un film très actuel qui, entre drame et comédie, dresse une chronique du monde contemporain et apporte un regard critique sur une certaine mondialisation. Au centre du sujet, la clandestinité et le destin de ces millions d’hommes qui, broyés par un système qui les dépassent, survivent entre les expulsions internationales. Dans le cas de « Laszlo », on est face à une fatalité, et le film commence par cette phrase : « La première fois que j’ai été expulsé, c’était du ventre de ma mère ». Dès lors, on suit le parcours chaotique d’un homme dont le seul tort est d’être né sans identité dans un pays en guerre, et qui, sans l’avoir jamais voulu, voyage du Kosovo à Paris, puis à Londres, Kaboul, Guantanamo, New York, Belgrade, au rythme d’expulsions administratives successives qui n’ont aucun sens pour lui. Absurdité d’une époque sans compassion où les hommes sont victimes d’un monde obstrué par la peur de l’autre, les coups de tampons s’abattent sur « Laszlo », touriste involontaire des camps de rétention et des règlements migratoires. Pris au piège de ce processus qui fait de lui un pantin désorienté sans aucune prise sur sa vie, dont seul l’amour offre un répit. Entre arrestations et déportations, une silhouette féminine ponctue le film, ouvrant des moments de pause dans ce mouvement anarchique où l’homme prend enfin sa vraie dimension. Réalisé image par image à partir de photos, de vidéos, et de détails visuels composites, le film joue sur la frontière entre réalité et fiction pour nous emmener dans une danse insensée qui nous renvoie à notre propre humanité.
Plato de Léonard Cohen
Issu de l’ENSAD, Léonard Cohen signe un film de fin d’études brillant et drôle qui jongle avec les potentialités graphiques de l’animation dessinée. « Plato », double Prix du meilleur film de fin d’études et du jury junior à Annecy, est avant tout un jeu de dessin génial qui, avec la simplicité du trait d’un crayon à papier, mélange les perspectives 2D et 3D dans un ballet géométrique en noir et blanc. Verticalité, horizontalité, angles, profondeurs, reflets, volumes, ombres, rotations, inversion des perspectives, « Plato » joue avec des repères mouvants qui bouleversent notre perception logique et l’impression du réel. Au début du film, une silhouette filiforme debout sur une ligne horizontale rappelle franchement l’ambiance « planche à dessin » de la fameuse série télé des années 80, « La Linea ». Le personnage est à la recherche d’une forme et trace des objets géométriques dans l’espace avec la pointe de son doigt. Soudain, c’est l’illumination, il crée le cube ! Mais voilà qu’à peine terminé, le cube glisse hors du plan vertical où il a été conçu pour prendre vie dans un univers tridimensionnel, échappant par la même à son créateur resté captif d’un monde en 2D. Dès lors s’engage entre le dessinateur et son cube, une course-poursuite vertigineuse où l’on bascule sans cesse entre des univers dimensionnels renversants. Exaltant le rapport entre le créateur et sa créature qui tour à tour s’engendrent, s’observent, s’opposent et s’affrontent pour finalement mieux ne faire qu’un, « Plato » nous fait voyager au cœur du processus créatif en jouant de la magie des univers dessinés.
Synopsis : Un personnage trace des carrés dans un univers en deux dimensions, quand l’espace se révèle et le met face à un vrai cube en volume. Illusions, anamorphoses et passages du volume au papier emmèneront notre personnage dans cet univers graphique trompeur.
Réalisation : Léonard Cohen
Genre : Animation
Durée : 7’50 »
Pays : France
Année : 2010
Animation : Léonard Cohen, Manuel Lombion, Cyril Maddalena
Bien partie pour devenir illustratrice, Emilie Mercier est devenue animatrice grâce à une petite annonce évoquant le festival Anima. Son premier film, « Bisclavret », mêlant vitrail, lai et (in)fidélité, a remporté le Prix Média et le Prix Emile Reynaud au dernier festival de Bruz. Entretien autour des bonds dans le temps, des univers propres aux auteurs et du langage des oiseaux.
Tu as commencé des études d’illustratrice à St-Luc, en Belgique avant de te tourner vers l’animation. Comment ce changement s’est-il décidé ?
J’ai toujours voulu être illustratrice, Mon chemin m’a menée vers la Belgique parce que je n’avais pas pu entrer dans les écoles françaises et il a bifurqué vers l’animation à cause d’une révélation, le festival Anima. Je suis entrée à l’école en 1987 et je n’ai entendu parler du festival que deux ans plus tard. discipline que j’étudiais à l’Institut Supérieur St Luc de Bruxelles. Mais mon chemin a bifurqué vers l’animation en découvrant le festival Anima. Un tirage au sort permettait d’assister J’avais gagné un concours dans le journal pour assister à un forum de quotidien sur le scénario organisé par le festival. Avec d’autres étudiants, j’ai pu rencontrer Youri Norstein, Bill Plympton, Peter Lord…
Je ne me souviens pas de leurs propos mais j’ai été frappée par leurs personnalités et par l’ambiance qui semblait régner dans ce milieu. Je me suis rendue compte que l’animation était un milieu très simple et très chaleureux, et ça m’a donné envie de faire ce métier. En découvrant les films et les auteurs en même temps, j’ai réalisé que je ne devais pas être illustratrice mais que je devais travailler dans l’animation. Du coup, après St-Luc, j’ai enchaîné sur une année d’études à Gobelins, avec comme but d’acquérir les connaissances permettant de réaliser un film d’auteur. en story-board et layout et puis, je suis entrée dans la série.
Te souviens-tu des films que tu y as vu ?
Oui. J’ai été frappée par « A Grand Day Out » de Nick Park (personne ne connaissait Wallace & Gromit à l’époque), les succès du début de Plympton (« Your Face », « 25 Ways to Quit Smoking »). Je me souviens aussi d’avoir vu « Le Manteau » de Norstein. La pellicule a d’ailleurs brûlé pendant la séance : le film s’est détruit sous nos yeux, sans que nous puissons voir la fin. Même si c’était une copie, c’était un sentiment étrange d’être témoin de la fragilité d’un film.
Ca ne t’a pas manqué de délaisser l’illustration ?
Si, ça me manque encore d’ailleurs. Mais c’est un métier pour lequel je ne peux pas m’empêcher d’anticiper le fait que ça ne me fera pas vivre, alors qu’il faut faire les livres parce qu’on a envie de les faire.
Pour le coup, « Bisclavret », ton premier film, est quand même proche de l’illustration…
C’est très juste. L’idée de raconter une histoire en utilisant la forme du vitrail m’est venue à St-Luc. Incapable d’écrire moi-même une histoire, j’attendais de trouver la bonne. Dix ans plus tard, j’ai eu un coup de foudre pour un texte, mais comme à ce moment, j’étais passée à l’animation, il était évidement que cette idée allait devenir un film plutôt qu’un livre.
Tu as travaillé sur la série « Tintin » et sur le film « L’hiver de Léon ». « Bisclavret » est très différent dans sa forme…
C’est vrai que c’est un virage stylistique. Mais dans l’animation ou dans l’illustration, ce qui m’a toujours fascinée depuis l’enfance, c’est que chaque univers soit unique. En fait, ce que j’adore se résume en un seul mot : « auteur ». Ce qui me parle, c’est quand j’entre dans l’univers formel et narratif d’un auteur.
Qu’est-ce qui t’a séduit dans le vitrail ? Les couleurs, la perspective, les motifs ?
Oui, j’aime beaucoup les motifs, la géométrie, les couleurs, ce qui est décoratif. Mais ce que j’ai essayé de faire avec « Bisclavret », c’est de garder certains paramètres visuels et authentiques et pas d’autres. Ca ne m’intéressait pas d’être dans l’imitation pure, dans le pastiche de vitrail. Par exemple, je n’ai pas mis les petites hachures qu’on pourrait y trouver. De même, les couleurs et la luminosité sont là mais les formes ne sont pas toujours les mêmes. Comme le texte de Marie de France me paraissait en plus très moderne, j’ai cherché à jouer sur des éléments visuels et musicaux tout aussi modernes pour ne pas obtenir à la fin une tarte à la crème médiévale !
Le film t’a pris dix ans. Comment as-tu maintenu ton projet en vie pendant toutes ces années ?
J’ai tellement adoré le texte que malgré ce processus de maturation très lent, j’étais sûre que j’irais au bout, que je le ferais. L’envie de le faire a toujours été aussi forte même dix ans après. Le coup de coeur ne s’est jamais affaibli, il s’est même renforcé au fur et à mesure de ma compréhension du texte. Au début, je l’ai lu comme tout le monde, après j’ai commencé à me poser des questions, à me demander quel était le vrai sujet du poème. Pourquoi sur douze poèmes de Marie de France, ai-je choisi celui-ci et pas les onze autres ? Les autres ne m’ont sûrement pas autant intriguée. Maintenant que j’ai appris à lire celui-ci, je vais certainement aborder les autres différemment.
Qu’est-ce qui t’a intéressée dans ce poème-ci ?
Les thématiques que je trouvais très féminines. À mon avis, le loup-garou est un prétexte pour parler d’une histoire de couple et de ce qui se passe entre un homme, une femme et la société. Chacun a décidé de vivre sa vie sexuelle comme il l’entend, lui, en vivant sa vie de loup, elle, en changeant d’homme. Ils font la même chose quelque part, ils deviennent maîtres de leur destin.
Je voulais garder quelque chose que j’adore dans le texte : une double lecture. Le film est accessible aux enfants qui le voient au premier degré, et il est riche en sous-entendus pour les adultes. C’est pour ça que je n’ai pas voulu insister sur la symbolique du loup, la rendre plus explicite que ça mais je pense que certains adultes la voient; certains ricanent quand ils voient le loup dormir dans le propre lit du roi, ils voient poindre l’allusion homosexuelle. et la comprennent encore mieux quand, à la fin, un vers évoque le roi et le baron : “Toute sa terre, il le lui rendit, et plus encore que je ne dis”. Comment ça, “et plus encore que je ne dis ?”. Hélène Vayssières d’Arte, qui s’est intéressée à ce projet et qui l’a soutenu, m’a aidée sur cette partie-là de l’histoire, sur la possible aventure entre le roi et le baron. La question qu’elle a été amenée à me poser était la suivante : “Entends-tu ce que dit le langage des oiseaux ?”. C’est une question que je vais me poser sur le restant de mes films, dans la mesure où je travaillerai sur le texte de quelqu’un d’autre, un scénariste ou un poète.
Comment as-tu choisi les vers que tu allais utiliser pour ton histoire ?
C’est une bonne question parce que j’ai eu beaucoup de mal. Pendant longtemps, j’avais tellement de respect pour le poème que je n’arrivais pas à commencer le travail d’adaptation. Il me semblait tellement fabuleux que je me sentais incapable de et n’osais rien couper. Je n’arrivais pas à écrire le scénario non plus, je sentais que ça allait dans trop de directions. J’essayais de faire les choses dans l’ordre comme on nous l’apprend en animation : d’abord le scénario, puis le storyboard. J’ai fini par me rendre compte que ce que j’écrivais ne fonctionnait pas, était trop dilué, du coup, je et me suis mise à faire le storyboard d’après le poème et non pas d’après le scénario. Après, j’ai écrit le scénario en lisant mes dessins. Sans eux, j’aurais été incapable de raconter cette histoire.
C’est plutôt rare en animation d’associer des vers et un univers médiéval, non ?
Oui, plutôt. En vitrail, j’ai vu des livres illustrés, mais en animation, je n’en ai pas entendu parler. Je trouve intéressant d’utiliser l’animation, un médium assez contemporain, pour faire resurgir un texte qui a plus de 800 ans. Le texte est tellement ardu, beau, bien écrit… Ça a été un pari de transmettre un patrimoine aussi ancien et féminin. Pourquoi les problématiques d’une femme du 12ème siècle en font résonner une autre du 21ème siècle ? C’est étonnant, non ? Ça m’a toujours fascinée, cette proximité de deux époques aussi éloignées.
Maintenant que ton idée a abouti, comment envisages-tu la suite ?
J’ai des histoires en tête, liées à d’autres lais de Marie de France. J’aimerais ne faire que des films très simples. Même « Bisclavret », j’aurais voulu le faire plus simple, esquissé, gribouillé, bouillonnant d’énergie. Je serais fière de faire quelque chose de spontané, de ludique de moins laborieux. Je ne regrette rien de ce qui a été fait sur ce film mais si j’arrivais à être plus rapide, avec une esthétique moins travaillée, je serai contente. J’aimerais atteindre cela mais mon caractère est plus perfectionniste, plus lent.
« Bisclavret » est depuis peu accompagné d’un livre illustré. Comment as-tu abordé le fait de revenir au livre ?
Mon coproducteur Arnaud Demuynck m’a proposé de faire un livre pour accompagner le film. Pour cela, on a dû faire un choix d’images parmi celles du film. Il y a d’énormes ellipses, en 24 tableaux, il a fallu résumer toute la problématique du film. On en arrive à un extrême dépouillement, au squelette, à un livre pour enfants, finalement. Personnellement, ça me renvoie aussi à l’illustration de mes débuts, ce qui me réjouit. Une boucle s’est bouclée.
C’est au Festival National du Film d’Animation de Bruz que Juliette Marchand, l’une des réalisatrices de « Tempête dans une chambre à coucher », nous a livré ses secrets de fabrication. Après des études à l’ENSAD, elle nous livre ici son troisième film d’animation en tant que réalisatrice. Alors qu’un vent frais et humide souffle sur la région bretonne, c’est dans la chambre à coucher du couple Cleveland, personnages du film de marionnettes animées de Juliette Marchand et Laurence Arcadias, que la véritable tempête a lieu.
Suzan et Duayne Cleveland, couple branché d’une banlieue chic des Etats-Unis, ont apparemment tout pour être heureux : une belle maison, une belle voiture et une belle garde-robe. Pourtant, il apparaît dès le début que leur vie sexuelle est sur le déclin. Les deux réalisatrices de « Tempête dans une chambre à coucher », film déconseillé aux moins de seize ans, ne font pas les choses à moitié : afin d’être sûres que tout le monde a compris, la première scène du film introduit le couple dans la fameuse chambre à coucher où souffle non pas un vent chaud mais un calme plat à mourir d’ennui, et cela malgré le costume coquin qu’arbore Suzan, et le film pornographique qui défile sur l’écran de télévision.
Pour faire face à cette impasse, le couple décide de s’offrir un voyage dans le désert afin de mettre du piquant dans leur relation. Du piquant, Consuela, sorte de cliché de la femme de ménage mexicaine qui garde la maison des Cleveland en leur absence, elle, n’en manque pas ! Lorsqu’elle entre dans la chambre du couple, elle ne peut résister à l’envie d’essayer les vêtements sexys et luxueux de Suzan. Elle se met alors à danser et à se trémousser devant le miroir tandis que le plombier, qui passait par là, se rince l’œil. Commence alors une aventure torride entre le couple d’employés de maison qui vont se livrer à divers jeux sexuels. D’une situation cocasse à l’autre, le film de Juliette Marchand et Laurence Arcadias nous fait sourire et, avouons-le, nous émoustille quelque peu.
Pendant ce temps, les Cleveland parcourent les paysages désertiques d’un Ouest américain fantasmé, dont la sécheresse ne fait que renvoyer à la nature même de leur relation. La chaleur et l’exotisme du paysage ne parviendront pas à réchauffer le couple, tandis que même les cactus perdent leurs piquants et s’écroulent sous le passage de la voiture. Image plus qu’évocatrice, la subtilité n’est pas toujours de mise pour révéler la frustration sexuelle d’une Amérique puritaine, et plus particulièrement des habitants d’une banlieue chic aux aspects convenus. Les oppositions sont claires : le géométrisme froid de la maison des Cleveland s’oppose à l’effervescence de couleurs du quartier mexicain dans lequel demeure Consuela ainsi qu’aux courbes et à la chaleur des paysages de l’Ouest américain. Ces décors, constitués de maquettes ainsi que de photos agrandies et mises bout à bout, sont directement inspirés du voyage de Juliette Marchand et Laurence Arcadias aux Etats-Unis.
Après une résidence à Baltimore, où Laurence Arcadias enseigne au département Animation du Maryland Institute College of Art, les deux réalisatrices se sont entourées d’une équipe d’animateurs, d’acteurs, et de compositeurs afin de concrétiser ce petit film coquin. La conception des marionnettes de « Tempête dans une chambre à coucher » s’est étalée sur plus d’un an. Il a fallu trouver les bonnes matières afin de permettre une liberté de mouvement des personnages. En effet, si on veut s’amuser avec le genre pornographique, il faut bien permettre aux personnages de se déhancher et aux corps de tissu de s’exprimer.
Lorsque l’on manipule les marionnettes que Juliette Marchand a apporté, on découvre qu’elles ont, pour office de bouche et d’yeux, de simples croix qui servent de repères. Ce sont des acteurs, filmés au préalable, qui ont prêté leurs yeux et leur bouche aux marionnettes, et dont les expressions du visage ont été fusionnées par ordinateur, permettant ainsi de donner une réelle expressivité aux personnages. Il est évident, lorsqu’on écoute Juliette Marchand, que les deux réalisatrices ont pris un malin plaisir à faire un film d’animation pornographique avec des marionnettes (mais du porno « soft » tout de même), et que leur projet plein de malice est à la fois un clin d’œil et un regard nostalgique vers l’Amérique.
Réalisé en France, le film est emprunt d’une imagerie proprement américaine. Il réinvestit cette image du suburb typiquement américain où règne uniformité et conformisme, un ensemble fait, littéralement ici, de boîtes en cartons collées les unes aux autres et peuplées de couples frustrés, grands consommateurs de Prozac, ces petites « pilules du bonheur » auquel il est fait référence ici. Ces banlieusards, c’est ceux que l’on a pu voir dans des films au propos virulent comme « American Beauty » ou « Little Children », qui explorent le mal-être d’une Amérique en mal de rêve et d’émotions intenses. Cependant, « Tempête dans une chambre à coucher » est un film plus léger, drôle et ironique, peut-être parce qu’il dépasse les limites de la comédie dramatique. Il joue avec les codes de la comédie romantique et pousse les limites jusqu’à la pornographie. Tout cela agrémenté d’une musique d’ascenseur qui accompagne les personnages dans leurs mouvements et leurs fantasmes, de cris, de gémissements, et de gloussements, qui rappellent au spectateur que le plaisir n’est pas loin, il suffit de savoir, comme Consuela, saisir l’instant.
Synopsis : Suzan et Duayne Cleveland ont tout pour être heureux. Tout… sauf une vie sexuelle épanouie. En désespoir de cause, ils décident de partir dans le désert pour un voyage initiatique sensé raviver leur flamme. Pendant qu’ils sont partis, leurs deux employés chargés de s’occuper de la maison vont connaître une passion torride dans leur chambre à coucher… d’où la tempête.
Genre : Animation
Durée : 11’25 »
Pays : France
Année : 2011
Réalisation : Juliette Marchand et Laurence Arcadias
Scénario : Juliette Marchand et Laurence Arcadias
Marionnettes : Cédric Mercier, Viviane Altman et Milan Jancic
Décor : Hugues Brière
Image : Stephen Barcelo et Cyril Maddalena
Montage : Agnes Mouchel
Musique : Evgueni et Sacha Galperine
Illustration sonore: Yan Volsy
Effets spéciaux : Olivier Esmein et Pierre-André Sauvageot
Les Magritte du cinéma ne sont pas une énième occasion de s’auto-congratuler entre professionnels. Leur but est de braquer un projecteur sur tous ceux qui assurent la réputation du cinéma belge à l’étranger, ravissent ici quelques connaisseurs, mais qui sont trop souvent ignorés du grand public.
21 récompenses seront attribuées en 2012, lors de la deuxième Cérémonie, par les membres de l’Académie André Delvaux. Elles seront remises le 4 février prochain au Square, à Bruxelles, aux meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur film flamand en coproduction, meilleur film étranger en coproduction, meilleur scénario original ou adaptation, meilleure actrice, meilleur acteur, meilleure actrice dans un second rôle, meilleur acteur dans un second rôle, meilleur espoir féminin, meilleur espoir masculin, meilleure image, meilleur son, meilleurs décors, meilleurs costumes, meilleure musique originale, meilleur montage, meilleur court métrage et au meilleur documentaire de l’année.
« C’est ailleurs seulement que la mer est belle. Celle que nous voyons nous donne toujours la nostalgie de celle que nous ne verrons jamais… » Fernando Pessoa
Il règne dans le dernier film de Miguel Fonseca une sorte de vague à l’âme que l’on retrouve dans les accords lancinants du Fado. “As Ondas” porte en lui une dimension contemplative, presque ésotérique qui lie l’homme et la nature, la vie et la mort comme les deux visages d’une même réalité.
Andreia et Alice sont soeurs jumelles. Andreia est atteinte d’insuffisance respiratoire et dépend d’une machine qui lui permet de s’oxygéner. Alice, quant à elle, pratique le surf, sort, rencontre des gens. Bien que différentes en raison de la maladie qui a conditionné le quotidien d’Andreia, les sœurs semblent ne pas pouvoir vivre l’une sans l’autre. Un lien étrange et peu compréhensible les unit. Car celle qui a le plus besoin de l’autre n’est pas la moins valide. C’est bien Alice qui supplie sa jumelle malade de ne pas la laisser toute seule alors que cette dernière doit partir le lendemain à Lisbonne pour se faire soigner.
Nous l’avions remarqué avec “I Know You Can Hear Me” (Prix Format Court au dernier Festival Media 10-10), le réalisateur portugais aime utiliser une forme particulière pour suggérer un fond de préférence fictionnel et non-narratif. Dans “As Ondas”, il a recours à des plans d’ensemble qui plongent le spectateur dans le décor idyllique et paradisiaque des côtes portugaises, lieu de référence à la jeunesse du réalisateur d’une part et à la genèse d’un monde toujours en création d’autre part. La nature est alors omniprésente et domine l’homme de sa grandeur et de sa puissance. A cela s’ajoute une bande-son particulièrement sensorielle (bruit des vagues, du vent, des mouettes) sur laquelle repose le rythme du film.
L’approche du cinéaste navigue entre réalité et fiction, les protagonistes (les sœurs Contreiras, célèbres mannequins) portent leurs prénoms dans la vie, certains plans sont pris sur le vif de la réalité montrant le temps qui passe. L’argument, en revanche, on peut s’en douter, est fictif. La démarche de Fonseca est, semble-t-il, de mettre en rapport l’infiniment petit à l’infiniment grand et le lien d’interdépendance existant entre les différents éléments. L’être humain vit et interagit dans une architecture configurée, il a besoin de l’autre comme complément de ce qu’il est et devient (relation entre les jumelles), enfin, il dépend de sa condition physique pour continuer à agir (maladie d’Andreia). Au-delà des apparences, c’est bien un film existentialiste que réalise Miguel Fonseca. Un court essentiel.
Prix Format Court du Meilleur Film dans la catégorie OVNI (objet visuel non identifié), I Know You Can Hear Me est un véritable tour de force. A partir d’une double citation, Miguel Fonseca déploie une narration neuve et non tributaire de ses composantes initiales drôlement antinomiques : l’ “action hero”-isme américain des années 80 et le haut Romantisme de Chopin.
Les deux premières études du maître polonais (op. 10 nos. 1 et 2) encadrent des scènes de « First Blood » (Rambo I) de Ted Kotcheff : courses-poursuites avec un chien de chasse, explosions dans la forêt et des stations-services, fusillades urbaines… Les images choisies sont chaqune totalement dépourvues de présence humaine au point d’être méconnaissables : on ne se rend compte de la source des séquences que lors du générique final. Le travail de l’image se veut brut et le réalisateur laisse les bruits de fond de la bande-son originale ainsi que des bribes de dialogue limite compréhensibles interférer avec la musique de Chopin. Celle-ci offre un écho au dualisme entre les images de violence et les idylles verdoyantes. La première étude (communément baptisée “Cascade”) est sulfureuse et écrasante, le virtuose primant de loin sur l’expressif, tout comme la mise en scène spectaculaire prime sur la narration dans l’image. La deuxième pièce, en revanche, est plus douce, basée sur une mélodie chromatique frénétique. Deux facettes qui définissent parfaitement le dilemme romantique entre l’artiste tourmenté, à la fois rêveur et révolutionnaire, poussé jusqu’au bout par les compositeurs du XIXe siècle (notamment Schumann qui était déchiré entre la persona du Florestan explosif et celle de l’Eusebius docile).
Improbable donc à première vue, le lien entre l’image rambo-esque et la musique chopinesque apparait graduellement plus plausible. Après tout, ne pourrait-il pas s’agir de deux faces de la même médaille? Ne pourrait-on pas percevoir une continuité logique entre le Romantisme humaniste du XIXe, le Rêve américain du XXe et finalement l’héroïsme extrême qui a rendu la société d’Oncle Sam humanicide et corrompu le cinéma américain depuis tant de décennies? Partant de cette idée, on pourrait effectivement voir dans « I Know You Can Hear Me », comme dit le sous-titre de Fonseca, “un film d’amour dans un film de guerre”.
Premier court métrage du réalisateur portugais Miguel Fonseca, Alpha est une exploration futuriste de la faculté émotive de l’Homme. Sorte de « 2008, Odyssée terrestre », non sans rappeler « A.I. », le film aborde la notion de l’humanité et la façon dont nous la gérons.
Sans la grandeur ou l’exhaustivité philosophique du visionnaire Kubrick et loin de la mégalomanie ostentatoire de Spielberg, Fonseca opte pour une sobriété efficace. Faisant librement appel à la Willing Suspension of Disbelief, il dresse le portrait d’Alpha et de Beta, deux androïdes destinés à accompagner des personnes solitaires ou ayant besoin d’aide, tels des chiens guides. Programmés pour assumer la lourde responsabilité de leur fonction, les protagonistes sont des êtres en devenir, des créations déambulant, s’interrogeant sur la nature humaine, munies de la quasi totalité du savoir détenu par l’Homme mais, comme des vitamines artificielles, dépourvues de la dimension naturelle qui, elle, ne s’invente pas.
« Alpha » se révèle être un film bien plus complexe que ne laissent initialement supposer son rythme posé, son scénario minimaliste et son jeu d’acteurs retenu. Jonglant entre sa description cynique de l’abandon dans la société individualiste et l’idée optimiste que l’amour et le dévouement pourraient être appris même par des machines, Fonseca montre, dès son premier court, la propension humaniste et réflexive qui traverse toute sa petite filmographie.
Synopsis : Ce qui commence comme expérience en laboratoire mène vers le développement d’êtres artificiels capables d’exécuter les tâches les plus variées et complexes. Avant de les livrer à leurs clients, le fabricant développe un contrôle de qualité, surveillé par un technicien, dans lequel certaines compétences (comme l’apprentissage de la langue du client) sont améliorées. Cette étape de la procédure se produit dans un environnement clos qui simule celui du client. Alpha et Beta sont deux de ces êtres artificiels, sur le point d’être livrés à leurs clients japonais.
Genre : Fiction, expérimental
Année : 2008
Pays : Portugal
Durée : 28′
Réalisation : Miguel Fonseca
Scénario : Miguel Fonseca
Image : Mário Castanheira
Son : António Pedro Figueiredo
Montage : Sandro Aguila
Interprétation : Sara Carinhas, João Nicolau, Manuel Mesquita. Avec les voix de Marta Morais et de Gen Ebato
« Je veux essayer de m’exprimer, sous quelque forme d’existence ou d’art, aussi librement et aussi complètement que possible, en usant pour ma défense des seules armes que je m’autorise à employer » James Joyce
Il n’est pas commun de rencontrer un jeune cinéaste portugais nous proposant d’associer une citation de James Joyce à son interview comme il n’est pas hasardeux d’avoir primé son court métrage « I Know You Can Hear Me » au Festival namurois Media 10-10 en novembre dernier. Quand Miguel Fonseca se livre au jeu de questions/réponses.
Qu’est-ce qui t’as amené vers la réalisation? As-tu étudié dans une école de cinéma?
Non, j’ai étudié la philosophie. En 2001, j’ai commencé à travailler dans la boîte de production qui produit mes films O Som e a Fúria.
Quelles sont les influences artistiques que l’on peut remarquer dans tes films?
Peut-on toujours dire avec certitude parmi les choses qui nous entourent celles qui nous influencent le plus? Je ne pense pas même si je dois bien avouer que “Le Parrain” de Coppola, “2001 Odyssée de l’espace” de Kubrick, “La Ligne Rouge” de Malick, “Magnolia” d’Anderson et “Gran Torino” d’Eastwood m’ont fortement influencé.
I Know You Can Hear Me
Au dernier Festival Media 10-10, à Namur, Format Court a primé « I Know You Can Hear Me ». Dans quel contexte ce film a-t-il été réalisé ? Comment t’est-il venu l’idée d’utiliser des images du film « First Blood » de Ted Kotcheff (1982)?
Le projet était très simple, en fait. Il s’agissait de réaliser un film où Arnold Schwarzenegger et Sylvester Stallone se rencontrent par le biais de la technique du Footage en utilisant des images de tous les films où ils étaient la vedette. J’ai commencé avec « First Blood » dans lequel Stallone joue John Rambo pour la première fois. J’ai décidé d’assembler, en respectant la chronologie du film, tous les plans où personne n’apparaissait. Le résultat était si mystérieux et intéressant que j’ai décidé d’en faire un film à part entière. Et c’est ainsi qu’est né « I Know You Can Hear Me ».
Pourquoi as-tu choisi la musique de Chopin pour ta réinterprétation du film?
Parce que cela fonctionne. Je pense que cela donne un ton dramatique et mystérieux au film.
Comment expliques-tu le sous-titre du film : Un film d’amour dans un film de guerre ?
« I Know You Can Hear Me » est fait de chaque plan « vide » de « First Blood ». Il en résulte une atmosphère très étrange. On peut avoir le sentiment, surtout dans la première partie, que l’on regarde les choses à travers les yeux de quelqu’un d’autre. Le film comporte deux parties. Dans la première, on suit quelqu’un qui cherche quelque chose ou quelqu’un d’autre. Pourquoi je pense qu’il est à la recherche de l’amour ou de quelqu’un qu’il aime ? Regardez la seconde partie du film et voyez ce qu’il se passe quand il ne trouve pas ce qu’il recherche. C’est le chaos le plus complet. Seul un amour « introuvé » peut causer un tel désespoir. « I Know You Can Hear Me » est un film d’amour.
« I Know You Can Hear Me » a été sélectionné à Namur dans la compétition OVNI (Objets Visuels Non Identifiés). Peut-on rapprocher ce film et ton cinéma du terme « expérimental » ?
Je pense que l’on peut dire que ce film est un film expérimental. Si par là on entend la volonté et l’habileté d’expérimenter librement des choses sous différentes perspectives et idées, alors oui, mon cinéma est expérimental et j’espère que cela continuera. J’ai hâte de réaliser d’autres OVNIS !
Te vois-tu réaliser des longs-métrages dans un futur proche ?
Oui, j’en ai naturellement l’intention. Donc pour le moment, j’écris, j’écris et j’écris pour un projet de long!
Diplômé en philosophie de la Universidade Clássica de Lisboa et auteur de trois courts métrages, Miguel Fonseca a marqué l’equipe de Format Court lors du dernier Festival Media 10-10 de Namur où le jury composé de Marie Bergeret, Adi Chesson et Bibiana Vila a décerné le Prix du Meilleur Film dans la catégorie OVNI (objet visuel non identifié) à “I Know You Can Hear Me”, le deuxième film du réalisateur portugais. Nous posons ici un regard sur le travail interpellant de cet artiste humaniste.
Une fois n’est pas coutume. La critique d’un film, fidèle à son histoire, s’exprime en rimes.
Achevé à Folimage, l’année passée
Un studio proche de l’image animée
Bisclavret, le premier film d’Emilie Mercier
Est librement adapté d’un lai réputé
Ce joli poème de Marie De France
A récupéré à Bruz deux récompenses
Le grand prix Média, le Prix Emile Reynaud
À la clôture, avant le rituel pot
C’est un conte charmant et un peu féroce
Qui narre en vers le destin bien atroce
D’un suzerain se transformant en loup-garou
Les soirs de pleine lune, à l’insu de tous
Ces évènements se passent en Bretagne
Découvrant cette vérité, sa compagne
Ecoeurée de vivre avec un animal
Révèle son secret à un chevalier rival
Ils s’entendent pour lui voler ses affaires
Et l’homme loup, trahi, est condamné à l’enfer
Mais son absence inquiète son ami, roi
Qui, ne l’oublions pas, représente la loi
Cette fable, proche du conte du Loup-garou
De Michel Ocelot, l’auteur de Kirikou
Mêlant féminisme et infidélité
Est très moderne pour être aussi datée
Bisclavret séduit pour sa jolie musique
Et naturellement pour son esthétique
Le film joue beaucoup sur l’aspect décoratif
Grâce au vitrail, à la couleur et au motif
Le film fait penser à des tableaux illustrés
Par ses aplats, sa narration et sa clarté
Avant d’opter à Saint-Luc pour l’animation
Emilie Mercier faisait de l’illustration
Ce choix a payé tant ce film est réussi
Dix ans ont été requis pour lui donner vie
Le charme pare son univers visuel
Unique dans l’animation actuelle
Synopsis : Une dame, épouse d’un Baron, s’aperçoit que son mari s’absente souvent et le questionne : il lui avoue qu’il se dénude et devient Bisclavret. Transformé en loup, il saccage, pille et tue. Effrayée et prise de dégoût, la dame révèle ce secret à un chevalier qui lui fait la cour depuis longtemps…
Genre : Animation
Durée : 14′
Pays : France
Année : 2011
Réalisation : Emilie Mercier
Scénario : Emilie Mercier
Son : Hervé Guichard, Luc Thomas, Christian Cartier
C’était l’invité discret, attentif et incontournable du festival d’animation de Bruz. Venu avec sa compagne, la scénariste Anik Le Ray, présenter leur film commun, « Le Tableau », sorti en salle en novembre, Jean-François Laguionie, bien connu en courts (« La demoiselle et le violoncelliste », « Une bombe par hasard », « L’acteur », « La Traversée de l’Atlantique à la rame », …) et en longs (« Gwen ou le Livre des Sables », « Le Château des singes », L’île de Black Mór ») est revenu sur sa rencontre avec Paul Grimault, le travail du mime, l’importance de l’animation, de l’émotion et du dessin libre.
Comment, vous qui étiez plus intéressé par le théâtre à la base, vous êtes-vous retrouvé dans l’animation ?
C’est souvent les circonstances qui font qu’on s’oriente vers un mode d’expression plutôt qu’un autre. C’est vrai que je me destinais plutôt à faire du décor de théâtre, en étant à la rue Blanche (ndrl, Ecole Nationale Supérieure d’Arts et Techniques du Théâtre, ENSATT), à Paris. Il y avait là un petit théâtre en marionnettes à l’école qui permettait aux étudiants d’apprendre la machinerie du théâtre, sauf qu’il ne servait pas. Avec un collègue, on l’a investi pour organiser des petits spectacles pour les autres élèves.
Comment cela se passait ? Y avait-il un spectacle une fois par semaine ?
Non, c’était complètement anarchique. Quand on avait mis un spectacle au point, on mettait les affiches partout, entre les cours. Ce n’était vraiment pas sérieux, ce qui l’a été un peu plus, c’est la rencontre avec Paul Grimault à ce moment-là.
Il est venu à un spectacle ?
Après les arts appliqués, j’ai fait 4 ans d’école de dessin, avec Jacques Colombat, un réalisateur de courts et de longs, qui avait délaissé les cours plus tôt que moi et qui avait été travailler chez Grimault. On s’est revu et il m’a emmené à une projection du « Petit soldat » au cinéma La Pagode, à Paris. Le film m’a absolument sidéré par la poésie qui se dégageait de l’histoire. Jaques m’a montré le film qu’il avait fait chez Grimault, « Marcel, ta mère t’appelle » et m’a dit : “Tu sais, en ce moment, Paul est d’une disponibilité terrible (rires), il est en train de se battre pour essayer de racheter le négatif de « La Bergère et le ramoneur » vu que le film a été terminé sans lui. Si tu veux t’y mettre, vas-y”. Intimidé, j’ai débarqué chez Grimault avec la petite histoire que j’avais préparée et il m’a dit : “Tu n’y connais rien à l’animation. Le seul moyen de l’appréhender, c’est de faire un film”.
C’était quoi, cette histoire ?
« La demoiselle et le violoncelliste » qui devait être un spectacle d’ombres chinoises. Il y avait une caméra dans un coin qui ne servait à personne, il m’a encouragé. C’est comme ça que ça s’est passé. Jacques m’a montré des rudiments de papier découpé, la manière d’articuler un petit pantin, et voilà. Je ne connaissais rien à l’animation, il n’y avait pas d’école à ce moment-là – on était en 62 – et j’ai fait le film.
Pourquoi ne pas avoir raconté cette histoire en ombres chinoises, comme prévu ?
Ca me tentait beaucoup moins. Grâce à ma rencontre avec Paul, je me suis rendu compte que l’animation, c’était avant tout du cinéma et pas seulement de la très belle image. « Le Petit Soldat », je l’ai vu dix fois, pareil pour « La Bergère et le Ramoneur » qui est devenu « Le Roi et l’oiseau », quand Paul a réussi à le terminer.
Est-ce que vous aviez aussi envie de travailler la couleur et le mouvement, ce que ne permet pas l’ombre chinoise ?
Oui. Je me sentais beaucoup plus apte à faire du cinéma avec de la couleur que de l’ombre chinoise, j’avais besoin d’espace, même si dans “La demoiselle…”, l’espace est assez restreint. Je ne sais pas, je l’ai revu l’autre jour.. (rires).
…Et ?
Je suis plus indulgent avec mes premiers films qu’avec les plus récents. Il y a une sorte de maladresse, presque une ingénuité, quelque chose de sympathique.
Cela veut-il dire qu’avec les années, vous ne vous permettez plus d’être maladroit, parce que vous ne travaillez plus seul et que vous avez acquis de l’expérience ?
Non, parce que je suis passé au long métrage. Le passage au long métrage, selon moi, vous fait complétement changer de métier. Vous passez d’un travail solitaire à une création collective, et il faut l’envisager comme ça sans penser qu’on va être maître de tout.
C’est quelque chose qui vous manque de ne plus maîtriser vos films ?
Le travail à la main, seul, je suis en train de le redécouvrir avec le long que je suis en train de faire, « Louise en Hiver ». Quand on fait des longs, la maîtrise est différente. On dirige le film comme un chef d’orchestre mais on ne peut plus se permettre de jouer de tous les instruments. Le cinéma, c’est ça, un travail d’équipe, forcément, c’est autre chose qu’en court métrage, d’ailleurs ça explique aussi le malentendu qui s’est produit sur mon premier long. Je n’avais pas compris cette différence de métier. Je l’ai compris après, sur le deuxième film, en travaillant différemment.
Je voudrais revenir à Grimault. On l’évoque souvent comme animateur, scénariste ou réalisateur, mais rarement comme producteur. Vous laissait-il une liberté totale sur vos trois premiers films qu’il a produit ?
On ne peut pas appeler ça de la production. Il payait la pellicule, les frais de laboratoire et d’enregistrement du son, mais tout le reste était à notre charge. On avait un accord selon lequel on n’était pas payé mais on faisait son film avec une liberté totale. Ca se passait comme ça et c’était formidable.
Il lisait le scénario en amont, il vous donnait des conseils ?
Je n’avais pas de scénarios, j’avais des histoires et des images. Il lisait mais il n’avait pas envie d’intervenir. Quand j’y repense, je crois qu’il avait envie d’avoir quelqu’un à ses côtés parce qu’il était dans une grande solitude à ce moment-là. « La bergère et le ramoneur » a été un moment très douloureux pour lui, il passait son temps à essayer de recoller les morceaux qui ne lui plaisaient pas dans le film ou bien il rachetait les droits au producteur qui voulait lui piquer son film. J’avais une liberté totale, je lui montrais les rushes quand ils sortaient du laboratoire, en général, il trouvait ça très bien même quand c’était vraiment mal fichu. Il disait : « Ce n’est pas grave. L’animation, ce n’est pas une question de virtuosité ou de savoir-faire. C’est une question de sentiments ». J’ai gardé tous ces conseils-là en moi, et ce sont encore les mêmes aujourd’hui. L’animation doit venir de l’intérieur et non pas de l’extérieur.
A cette époque, je faisais un peu de mime, et j’ai toujours pensé que ça m’a beaucoup aidé pour faire de l’animation. Mon professeur de mime, Maximilien Decroux (le fils du grand Etienne Decroux qu’on voit dans « Les Enfants du paradis » de Marcel Carné) a la même théorie dans le mime : “Vous faites le geste mais ce n’est pas l’extérieur qui compte, c’est l’intérieur. Ce que vous mettez dans le geste doit venir du centre”. Pour moi, l’animation, c’est ça. Il faut être dans l’épure, être le plus simple possible en fonction de ce qui est essentiel à exprimer. Il faut que tout ait un sens, donc ce n’est pas la peine d’en faire trop.
Dans certains de vos films, s’exprime la narration personnalisée : un personnage raconte des histoire sur des images. C’est quelque chose qui vous a fait peur au début, de couper votre histoire, de distraire le spectateur à travers une voix ?
Oui, c’est pour ça que mes premiers films sont muets, je me méfiais vraiment des voix, je trouvais qu’elles avaient un caractère de réalisme qui ne pouvait pas se mixer, s’inclure dans un dessin, dans une image alors qu’une musique pouvait parfaitement le faire. Grimault trouvait très bien que le film soit muet donc j’ai fait mes trois films sur ce principe-là. Je pouvais très bien raconter mes histoires sans texte, sans dialogue, sans monologue. C’est venu plus tard, les films dialogués. Qu’est-ce qui m’a fait changer ? Je n’en sais rien. Mais c’est vrai que mon grand plaisir, en animation, c’est de travailler sur les voix, c’est le contact avec les comédiens. Quand j’étais à la rue blanche, je laissais très souvent tomber les décors pour aller écouter les comédiens qui passaient (rires) ! Je suis fasciné par les acteurs…
Vous ressentez une nostalgie par rapport à cette époque où il n’y avait pas d’écoles, où on apprenait sur le tas, où on cherchait, où on expérimentait ?
Je n’ai pas la nostalgie de cette époque, car je continue à travailler comme ça. Quand j’ai fais « Le Tableau », j’ai travaillé deux ans seul à partir du scénario d’Anik (Le Ray), et j’ai retrouvé la maladresse, l’ingénuité, le non savoir-faire qui était le mien, parce qu’à chaque fois que je commence un film, je ne sais absolument pas comment je vais le faire et quelle technique je vais utiliser. Quand je dessine, le film n’est qu’une succession de petits croquis de sentiments, d’expressions, de dramaturgies, de rythmes. (…) Le plus important, si je voulais résumer mon boulot, ma responsabilité (rires), ça serait que je garde jusqu’à la fin du film les émotions que j’ai essayé de mettre au début, avec mes croquis. Un film, ce sont des rapports de choses, de sons, de dessins, de musiques, de mouvements. C’est du cinéma.
Vous vous positionnez plus comme cinéaste que comme animateur. Qu’est-ce que la prise de vues réelles vous a appris sur l’animation ?
J’ai toujours voulu faire de la prise de vues réelles. Pour moi, c’est une façon de se détacher de l’image graphique, que je trouve parfois encombrante. J’ai un gros bagage graphique, j’ai fait cinq ans d’école de dessin. A l’époque, on dessinait énormément, beaucoup plus que maintenant dans les écoles. Aujourd’hui, c’est la technique qui prend le pas sur le temps de dessin. Ce que j’appelle dessin, c’est le dessin libre, c’est ça qui donne la vie dans un film.
Pour moi, c’est une facilité de dessiner, de composer une belle image, d’obtenir quelque chose de beau à l’écran. Mais de temps en temps, j’ai envie de m’en détacher, de faire quelque chose de plus dur. J’ai fait un petit peu d’image réelle à travers mes courts, je trouve ça formidable. Le problème, c’est que je suis trop timide pour diriger une équipe de 30 personnes sur un tournage. Mais si on me donnait le temps et une équipe très réduite, je pense que je pourrais faire des films en prise de vues réelles avec autant de soin qu’en animation.
Certains de vos films se rejoignent par leur style très pictural. Qu’est-ce qui vous a plu dans la peinture avant d’aborder « La demoiselle et le violoncelliste », « Une bombe par hasard », et même « Le tableau » ?
Les surréalistes comme Giorgio de Chirico, la peinture naïve, je trouvais que ça collait bien avec ma façon de raconter. Il y avait une espèce de lenteur, d’enchaînement, de logique absurde, un peu décorative, et surtout pas réaliste qui me plaisait dans la peinture.
Pourriez-vous me parler de « L’acteur », un film à part dans votre travail ?
Comme je vous le disais, je suis fasciné par les acteurs. Un comédien m’avait raconté une histoire similaire avec Pierre Blanchar, un grand acteur des années 40, qui procédait un peu de la même manière que dans mon film. Je suis aussi fasciné par la vieillesse, par la façon dont on lutte pour rester en vie. Le film que je suis en train de préparer reprend d’ailleurs cette histoire via le conte d’une veille dame qui va retrouver une force de vie extraordinaire au moment où on l’a abandonnée. Pour « L’acteur », je me suis octroyé une petite curiosité artistique grâce à la peinture animée. Tous mes films jusque là avaient été faits en papier découpé, là, j’avais envie de quelque chose de plus fluide, de plus sensuel, de moins raide, et la peinture à l’huile peinte sur le verre offre cela de manière extraordinaire.
Vous avez adapté certaines de vos nouvelles. Vous faites une différence entre les mots et les images ?
Pour moi, cela ne fait aucune différence, c’est toujours lié à moi, sauf dans le cas du « Tableau ». C’est l’histoire d’Anik, mais je m’en suis emparée. Elle m’a dit : “Il faut que tu t’appropries cette histoire pour être libre, pour avoir l’impression que c’est la tienne”. C’est comme ça que je l’ai prise. Quand j’adapte une de mes nouvelles, à partir du moment où je prends un crayon, l’histoire devient le film à ce moment-là. Quand j’écris, c’est un rêve en images, je n’ai pas envie de dessiner. Les mots, j’ai découvert ça quand je suis passé du cinéma muet au cinéma parlant. Ils sont devenus aussi importants pour moi que les images.