Et nox facta est
La compétition internationale du Festival du film francophone de Namur, composée cette année de 11 titres (dont deux belges chevauchant la compétition nationale), était marquée ces jours-ci par une grande richesse de sujets, de formes, de genres, de durées, de nationalités, … Pourtant, une certaine noirceur s’était glissée en filigrane à travers toute la sélection, démontrant la grande sobriété et le sérieux qui imprégnaient chaque court et qui régnaient dans la salle. Aperçu global d’une sélection hétéroclite.
Parmi les films visionnés à Namur, le thème de la violence familiale était présent dans pas moins de trois titres. Le plus dur à voir et le plus littéral dans son propos étaitassurément « Khouya » (Mon frère) de Yanis Koussim, venu tout droit d’Algérie. Tract appuyé sur la violence dans un foyer sans père où le frère est roi, ce court plonge son spectateur dans un monde terrible de non respect et de brutalité envers les femmes, et ce faisant décrit une réalité universellement interpellante. Toujours dans la logique de rapports fraternels, « Musafirul » (L’invité) de Razvan Tache Alexandru (Roumanie) montre, sur un ton beaucoup plus léger, les périples d’un frère possessif récemment sorti de prison, obsédé par les activités de sa jeune sœur. Qu’il prenne en otage un vieux couple pour mieux épier celle-ci n’est nullement problématique pour le spectateur qui assiste dans cette tragicomédie à un renversement de situation où le tyran devient le tyrannisé et où les victimes deviennent les êtres bienveillants. En dernier lieu, le réalisateur français Nicolas Sarkissian offre sa propre version de l’agression domestique, sous forme d’un essai psychologique nommé « Fracture ». Ce film a le mérite de bénéficier d’un travail cinématographique impeccable, même si il est peu crédible en ce qui concerne l’histoire, qui met en scène la trop grande rupture entre une vie parfaite et le « mal invisible » ressenti par le protagoniste, montrée par le biais de gros plans et d’une bande-son subjective.
Dans la jungle des villes / In the urban jungle from Annee Zero on Vimeo.
Deuxième thème, moins hostile mais pas pour autant plus réjouissant : le vol, matériel dans « Lord » du Roumain Adrian Sitaru ou plus métaphorique dans « Dans la jungle des villes » de Stéphane Demoustier et Denis Eyriey (France). Tout comme « Valuri » (Vagues) réalisé par Sitaru en 2007, « Lord » charme par l’innocence et l’ironie apportées à un sujet potentiellement pesant pour créer un réalisme sobre et un humour doux-amer que l’on associe au cinéaste roumain. Le deuxième film propose en revanche une sorte de « Mr Ripley » transposé à Strasbourg, où le vol d’un sac provoque une rencontre fatidique entre les trois protagonistes. Mais à l’inverse du drame noir américain, ce court français se clôt sur un ton plus allègre. Notons que le jeu d’acteurs (dont les deux rôles masculins sont assurés par les réalisateurs eux-mêmes) est en lui-même digne d’une comparaison avec le film culte de Minghella.
L’échec est autre thème saillant dans cette programmation bigarrée. Un court belge, « Nuit blanche » de Samuel Tilman, offre un regard très humain et quasi documentaire sur une nuit dans la vie d’un gendarme de secours en montagne, qui essaie de sauver trois jeunes alpinistes perdus dans un orage. Autre film issu du pays plat, « Pour toi je ferai bataille » de Rachel Lang dresse le portrait intime d’une jeune fille à la recherche d’elle-même se soumettant aux supplices de l’armée française. Enfin, « Nola », une coproduction franco-tchadienne, qui fait sa première au FIFF, suit le parcours d’une détenue lors de ses jours de sortie, dont le sentiment d’enfermement est habilement traduit à l’image par le réalisateur Askia Traoré.
Histoire de poursuivre avec la noirceur, relevons deux courts axés autour du thème du suicide, provenant conjointement du Canada. « Les Poissons » de Jean Malek se présente telle une vignette très courte et archi lyrique sur le « cri ultime » de trois jeune filles prématurément exténuées. À l’instar du sublime « Virgin Suicides » de Coppola fille, « Les Poissons » transporte son spectateur dans l’univers intérieur de ses protagonistes, par le biais d’une bande-son émotionnellement chargée, d’un texte hautement poétique et d’une image très onirique. « Les Journaux de Lipsett », signé Théodore Ushev, est plutôt une fiction-animation frénétique qui transmet avec acuité le tourment mental du réalisateur québécois Arthur Lipsett, qui s’est donné la mort en 1986. L’image surchargée répond parfaitement au texte dense composé à partir de scénarios de Lipsett. Ushev interprète ceux-ci à sa guise pour inventer sa propre narration, sa démarche mettant en évidence la question de la représentation de la réalité dans une optique biographique.
Petit dernier, le Français Rudi Rosenberg apporte heureusement un vent frais avec « Aglaée » et transmet avec justesse et audace ces sentiments troublants qui accompagnent l’éveil sexuel et provoquent autant de cruauté que de souffrance chez l’adolescent.
Que le fil rouge tourmenté qui semble traverser la sélection internationale soit symptomatique de quelque phénomène de marasme universel ou d’une annus horribilus particulière, une chose est bel et bien certaine : au FIFF, la qualité des films choisis reste le critère premier. Quelque soit l’opinion qu’on en ait, même si « ils ne rigolent pas ici », dixit un gamin causeur dans la salle.
Consulter les fiches techniques de « Khouya », « Lord », « Nuit blanche », « Les poissons » et « Les journaux de Lipsett »