L’Étrange Festival a envahi une nouvelle fois le Forum des Images de Paris du 2 au 11 septembre dernier avec une sélection pleine de bruit et de fureur. Année après année, Frédéric Temps, le délégué général, et son équipe continuent de présenter à un public toujours plus nombreux une programmation hétéroclite et internationale en marge du cinéma dit « grand public ». Comme l’affirme l’édito de l’édition 2011 « ce parti pris (car c’en est un) a probablement longtemps expliqué « l’irrespectabilité » de la manifestation auprès d’une certaine presse, d’un certain pouvoir ou de certaines institutions. »
Le film de genre made in France a très rarement bonne presse dans l’Hexagone. Pourtant, au début du cinéma, avec Méliès, puis Feuillade et plus tard Tourneur, ce type de films rencontrait bel et bien les faveurs d’un large public. Depuis, le film de genre a progressivement cessé de compter au pays de la langue de Molière, relégué au rang de cinéma de seconde zone.
Pourtant, près de vingt ans après sa création, l’Étrange Festival est devenu un événement incontournable, le miroir d’un cinéma impertinent, qui dynamite les cloisons poreuses entre les genres, mettant au grand jour, dans les salles obscures, une sélection de films qui ne tiennent pas en place.
Sur les 71 programmes présentés, nous avons choisi de mettre l’accent sur quatre d’entre eux. Honneur au court métrage, un format plutôt apprécié au sein de ce festival, trois prix étant décernés à chaque édition, dont deux pour les courts.
LA GRAN CARRERA (Kote Camacho – Espagne – 2010 – 6’24 – Fiction – Noir & Blanc) – Prix du Public de l’Étrange Festival 2011
1914, Hippodrome de Lasarte – les parieurs s’affairent dans les tribunes, une course de chevaux un peu spéciale s’apprête à commencer…
Kote Camacho, le réalisateur de La Gran carrera installe habilement une atmosphère en jouant avec les images d’archives et les prises de vues réelles, et en utilisant avec parcimonie les effets spéciaux. Amplifié par l’enthousiasme des turfistes, il parvient à faire basculer son récit dans une inquiétante étrangeté, et à faire planer l’ombre de Luis Buñuel sur cet atypique hippodrome. Hasard ou coïncidence diabolique, l’hérétique et médusant moyen métrage Simon du Désert de Buñuel s’était également glissé dans la programmation de l’Étrange cette année.
ANA TEMNEI (Koen Mortier – Belgique – 1995 – 9’ – Fiction – Couleurs), A HARD DAY’S WORK (Koen Mortier – Belgique – 1997 – 10’ – Fiction – Couleurs)
Cette nouvelle édition a porté une attention toute particulière aux films de Koen Mortier. Venu présenter son dernier long métrage 22nd of May, il a répondu à nos questions, notamment à propos de ses deux premiers courts métrages, Ana Temnei et A Hard Day’s Work, ainsi que de son passage au long métrage.
Premier film très personnel, Ana Temnei trouve son origine dans un souvenir de son réalisateur, alors étudiant en anatomie. Un jour, un de ses professeurs a emmené un bébé mort pour le découper, dans le cadre d’une recherche, et s’est écrié à la classe : « Le premier qui le touche, je le tue ! »
Film expérimental parfois obscur, Ana Temnei dépeint un univers déshumanisé fait d’images désordonnées. Le réalisateur a cherché, souvent brutalement, à amener son public là où il le souhaitait c’est-à-dire là où ça fait mal. Résultat, on sort de ce film avec un petit goût amer dans la bouche….
Le deuxième court métrage de Mortier, A hard day’s work, est volontairement aux antipodes du premier. Le choix a été fait de laisser plus de place à la narration tout en gardant un ton dur et cynique non sans un traitement humoristique.
Dans une atmosphère proche de Trainspotting de Danny Boyle, un jeune homme de bonne famille entreprend de devenir une petite frappe sans jamais y parvenir. Le film suit les mésaventures de ce pauvre bougre désireux de prendre le contre-pied de l’éducation de ses parents et qui se casse les dents dans son entreprise, mais c’est avant tout un film sur la relation père/fils et sur les désaccords qui peuvent en résulter. Le film se clôt brutalement dans une pièce vide, laissant le spectateur face à ses interrogations. Encore une fois, Mortier surprend.
LE BUNKER DE LA DERNIERE RAFALE (Marc Caro, Jean-Pierre Jeunet – France – 1981 – 26’ – Fiction – Noir et Blanc)
L’Étrange Musique. Ainsi sont joliment labellisés les ciné-concerts organisés durant le festival. L’un d’eux présentait, cette année, le moyen métrage de Marc Caro et de Jean-Pierre Jeunet répondant au doux titre du Bunker de la dernière rafale accompagné d’une nouvelle et inédite version sonore interprétée en live par Mister Caro himself.
Prenant le contre-pied d’une tendance actuelle friande de bidouillages informatiques, il choisit d’utiliser sur scène uniquement une petite table de mixage analogique et différents boîtiers – sans l’aide d’aucun ordinateur. Ce projet original, Marc Caro l’a évoqué dans l’interview qu’il nous a accordés, dans lequel il est également revenu sur son rapport au court métrage.
Pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas, Le Bunker de la dernière rafale s’intéresse à une petite communauté de militaires, enfermés dans un bunker, dont le destin va basculer après la découverte d’un compteur défilant à rebours. Affolé, le groupe va peu à peu sombrer dans la folie…
Trente ans après sa sortie, le film n’a pas pris la moindre ride, la même impression de folie contagieuse confinée dans un lieu clos produit toujours son effet. La nouvelle approche sonore de Marc Caro décuple même cette impression, notamment par l’utilisation quasi exclusive de sons stridents et de basses fréquences, sans pratiquement l’écho de la moindre note de musique. Les options prises par la direction artistique (déco, maquillage, etc…), les thématiques abordées ainsi que l’absence de dialogues assurent au film une authenticité qui le fait échapper au cloisonnement d’une époque ou à un style donné. Le Bunker… est décidément un film bien à part dans le cinéma français.
COLD FISH – Tsumetai nettaigyo (Sono Shion – Japon – 2010 – 2h24 – Fiction – Couleurs)
Last but not least, nous avons choisi de vous parler d’un long métrage qui ne sortira probablement pas en salles (mais dont une sortie DVD est prévue chez Wild Side) pour clore cet aperçu de la foisonnante sélection 2011 de l’Étrange Festival.
Chaque famille a son vilain petit canard. Le label « Sushi Typhoon » n’échappe à la règle. Rendus célèbres auprès des cinéphiles du monde entier avec des films sexy-trash japonais au budget limité comme Machine Girl et Tokyo Gore Police (extrait ci-dessous), les films « Sushi Typhoon » viennent de faire l’objet d’une nuit spéciale à la 17ème édition de l’Étrange Festival.
Contrairement à ses petits camarades de l’écurie « Sushi Typhoon », Sono Shion a choisi d’installer son récit dans un environnement plus réaliste avec son film, Cold Fish.
Shamoto, propriétaire d’un petit magasin de poissons tropicaux souffre en silence. Sa femme ne le désire plus et sa fille le déteste. Celle-ci va être prise en flagrant délit de vol mais au lieu d’appeler la police, le patron propose à Shamoto d’embaucher sa fille…
Rarement, on aura vu un cinéaste japonais déconstruire avec tant d’ardeur la société japonaise et ses dysfonctionnements. Comme chez Miike et Wakamatsu (dont l’excellent Piscine sans eau était également présenté), la transgression des interdits sociaux – et surtout moraux – est au centre du film. Le personnage de Shamoto est notamment poussé dans ses derniers retranchements jusqu’à finalement afficher ses véritables motivations.
Un mot sur le casting et la direction d’acteur, particulièrement remarquables. Denden (qui joue le patron peu scrupuleux) y est pour beaucoup. Déjà vu dans Cure de Kiyoshi Kurosawa et Eureka de Shinji Aoyama, il catalyse par sa seule présence, toute la frustration de Shamoto.
Voir ou revoir notre étrange sélection de films en lien avec la compétition de courts métrages du festival : Tchernobyl apocalyptique & poulet géant, collage & déconstruction, animation en boucle & synchronisation urbaine, style jazzy & réalité reproduite, humour noir et belge