« Coucou-les-nuages », son film de fin d’études, vient de remporter le deuxième prix à la Cinéfondation, à Cannes. Interpellé par la vie, le non-formatage et les rencontres, Vincent Cardona, en passe de sortir diplômé de la Fémis, revient sur son parcours et ses questionnements.
L’évidence, le résultat
Le cinéma a toujours été une sorte d’évidence pour moi. N’ayant aucun contact dans le milieu, ce projet me paraissait improbable. Grâce à des copains en Cinésup, j’ai appris l’existence d’écoles publiques de cinéma en France. Du coup, après des études en philosophie, j’ai tenté la Fémis pour me donner les moyens de faire du cinéma. Dans mon coin en Bretagne, personne ne connaissait la Fémis. Quand j’ai annoncé aux gens que j’étais pris, tout le monde s’en foutait !
J’ai passé deux fois le concours en réalisation. La première année, j’ai été recalé au deuxième tour. L’année suivante, je me suis mieux renseigné sur l’épreuve technique. En arrivant, on te fournit un texte et deux photos de comédiens qui vont jouer pour toi. Tu t’isoles dans une salle et tu prépares pendant une heure une scène que tu tournes juste après. Sur le plateau, un jury t’observe en ne parlant pas, ensuite, tu discutes de tes rushes avec deux autres personnes. C’est très bizarre de tourner et de parler juste après de son désir de cinéma, de son rapport à la mise en scène. Quelque soit le texte, je me suis dit que je ferais un plan séquence en plusieurs prises, avec des variations, mais pas un film à monter. La scène, je m’en fichais, c’était un prétexte. Ce que je voulais, c’était montrer un résultat : adresser une lettre filmée aux personnes qui allaient voir les rushes. J’ai été pris.
16/26
En première année, on nous donne la possibilité de faire un film en 16 mm, « une fiction 16 ». J’ai ainsi fait un film qui s’appelle « Le pénis de Napoléon » que j’ai revu récemment. J’y ai retrouvé des motifs vaguement prémonitoires de mes films suivants (un équilibre entre la comédie et le drame, un intérêt pour la maladresse, un goût pour les films peu narratifs). Je pense que cette continuité s’explique par le fait que je suis entré à la Fémis assez vieux, à l’âge de 26 ans. J’ai tiré profit du fait d’y accéder sur le tard. J’ai eu besoin de tout ce temps pour arriver à définir mes envies de travail, à appréhender un peu mieux mon propre rapport au langage cinématographique. Un mystère demeure : dans mes deux derniers films, une notion fantastique est apparue, et je ne sais pas d’où elle vient.
La liberté, le formatage
À la Fémis, on est très bien loti, on est très libre. Pourtant, au début, j’avais très peur du formatage. On m’en avait beaucoup parlé, on m’avait dit de faire attention. En rentrant, je me demandais comment on allait réussir à me formater, à me faire faire des films « Fémis ». Je craignais de perdre ma singularité et mes envies. En réalité, c’est bien d’avoir peur. Ça oblige à être encore plus vigilent, à revenir sans arrêt à l’émotion première du film. Même si c’est difficile, même si la fabrication d’un film est très fragmentée, il ne faut pas lâcher cette émotion, il faut tenter de faire en sorte que le film lui corresponde.
L’apprentissage
Je suis en accord avec la pédagogie de l’école qui consiste à dire qu’on apprend le cinéma en faisant des films. Mon avant-dernier film, « Sur mon coma bizarre glissent des ventres de cygnes » est arrivé après un moment important, un stage sur le film « Hadewijch » de Bruno Dumont. J’étais à la fois assistant mise en scène et assistant régie. Avant, ce qui m’intéressait au cinéma, c’était la vie, la vitalité, l’évitement du théorique, du derrière l’écran. Naïvement, je croyais que l’expérience vécue du tournage et l’enthousiasme de l’expérience contribuaient à mettre de la vie dans le film. Par la suite, en me retrouvant sur le plateau de Dumont, j’ai découvert une vraie puissance cinématographique, et le tournage m’est apparu comme une messe. C’était très silencieux, extrêmement pragmatique, il n’y avait pas de postures, pas d’artifices. Dumont est un cinéaste au travail, et un tournage, c’est vraiment de l’ordre du travail et de l’artisanat. Bizarrement, je n’ai intégré cette notion qu’à ce moment-là. Du coup, quand je suis arrivé sur « Mon coma », je me suis dit que la vie, c’était ce qu’il y avait devant la caméra, qu’il fallait rester concentré sur le film, et que le reste n’avait aucune importance. Après, sur mon film de fin d’études, j’ai plutôt rééquilibré les choses, en restant dans la concentration mais en prenant aussi en considération l’environnement du tournage.
Le souci documentaire, les comédiens non professionnels
Dans « Coucou-les-nuages », il n’y a que trois comédiens professionnels. Les autres comédiens sont mes voisins vivant près de chez mes parents. À la Fémis, c’est quasi impossible dans les films et les exercices, d’aller tourner ailleurs qu’à Paris ou en région parisienne pour des raisons de budgets mais pour le film de fin d’études, on a la possibilité d’aller où on veut. J’ai ressenti un désir fort d’aller tourner à côté de chez moi et le besoin de saisir cette opportunité-là.
Les comédiens non professionnels m’offrent une cohérence, un lien avec le documentaire. Même si le cinéma est une imposture, ça m’aurait semblé violent de faire venir un car de comédiens depuis Paris. Je n’aurais pas vraiment assumé cet artifice.
Le parti pris de l’exposition
Je me suis mis mis en scène dans tous mes films. Ce n’est jamais quelque chose qui se dessine très en amont, mais cela arrive comme une évidence. Ce n’est pas toujours confortable d’être derrière la caméra, d’envoyer les comédiens au front. J’aime l’idée des limites personnelles, de l’inconfort, ça m’intéresse d’aller de l’autre côté de la caméra, de partager cette exposition avec les comédiens, de mouiller moi aussi ma chemise.
Découvrir une comédienne, travailler avec Mathilde Bisson
En deuxième année, j’ai travaillé avec les élèves du Conservatoire à l’occasion d’un atelier animé par Noémie Lvovsky. Pour moi, ça a été un cadeau incroyable et un très beau moment d’apprentissage d’avoir à disposition dix jours, une petite caméra et six jeunes comédiens super motivés, boursouflés de vitalité ayant un vrai désir de cinéma et de jeu pour la caméra.
À ce moment-là, il y a eu la rencontre avec Mathilde, elle faisait partie de ce groupe. Depuis qu’on est ensemble, on fait les films à deux. Mathilde écrit autant son personnage que moi, on est au diapason, on sait exactement ce qu’on recherche dans chaque scène. Après, il y a son talent propre, son rapport exceptionnel au jeu, sa spontanéité. Dans ce que j’essaye de mettre en place, à un moment donné, il faut que dans le dosage, dans la recette, il y ait une Mathilde Bisson.
Le court derrière soi
Pour le moment, ça ne m’intéresse pas trop de refaire des courts. J’en ai fait beaucoup, ma culture et mon goût du cinéma viennent du long, et finalement, c’est très paradoxal qu’une école de cinéma nous entraine à faire du court. Ce n’est pas tout à fait la même chose de faire un court et un long, en plus, ce sont deux mondes très différents. Par ailleurs, je ne pense pas que le court soit une préparation au long. Quand on en a fait un ou deux, c’est très bien, mais ça ne sert à rien de multiplier les expériences de courts pour se rassurer ou rassurer les investisseurs, pour un jour tenter l’expérience du long.
Transition Fémis
Quand j’ai été admis à l’école, c’était au moment des 20 ans de la Fémis. J’avais lu un article dans lequel de nombreuses personnes qui étaient passées par l’école répondaient à la question : « Qu’avez-vous retenu de votre passage à la Fémis ? ». Il y avait toutes sortes de réponses, et comme je m’apprêtais à y entrer, je me suis demandé ce que je répondrais si on me posait la question. Pendant mes études aussi, je me suis interrogé sur ce sujet. Ce que je retiens, finalement, ce sont les rencontres. Pour moi, la grande différence a été le passage d’un état à l’autre : avant, je ne connaissais personne pour qui le cinéma était une chose concrète. Maintenant, alors que je m’apprête à sortir de cette école, je connais des gens pour qui le cinéma n’est pas de l’ordre du fantasme.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film
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