Créées en 2004 au sein de la Société des Réalisateurs de Films, les Rencontres du moyen métrage de Brive mettent en valeur un format privilégié par de nombreux cinéastes mais très peu diffusé en festival : le moyen métrage. Avant et après les dates du festival, son délégué général, Sébastien Bailly, était à Paris. Petit rendez-vous pris à proximité de toiles slaves, de marches japonaises et de mozzarellas italiennes.
Tu viens de la réalisation. Pourquoi avoir monté un festival de moyens métrages ?
Pour plusieurs raisons. Parmi les films que je voyais, ceux qui m’intéressaient le plus faisaient souvent 30 minutes, ne circulaient pas beaucoup en festivals et n’étaient pas forcément mis en valeur dans les compétitions à côté de films de 10 minutes. En 2004, j’ai donc crée avec Katell Quillévéré un lieu consacré à ces films-là au sein de la Société des Réalisateurs de Films (SRF).
Quel était l’intérêt de la SRF dans une telle manifestation ?
La SRF n’a pas pour vocation de créer des festivals, mais son travail est de défendre les cinéastes. Elle a créé la Quinzaine des Réalisateurs en 1969 parce que ça répondait à un besoin d’une diversité de programmation au sein du festival de Cannes. De même, elle a fondé les Rencontres du moyen métrage de Brive en 2004 parce qu’il y avait une nécessité de montrer des films réalisés dans un format vraiment très particulier. La télévision et les festivals programmaient difficilement les moyens métrages, la SRF trouvait donc important de créer un lieu dédié à ces films.
Pourquoi le format moyen n’intéressait-il pas les festivals ?
Certains de ces films-là ont pu passer à la Quinzaine des Réalisateurs, à la Semaine de la Critique, à Angers, à Belfort, à Brest et à Clermont-Ferrand, mais ils ont toujours été noyés dans le groupe. Aujourd’hui comme hier, certains festivals ne sélectionnent pas les films au-delà de 20 ou 30 minutes, parce qu’ils estiment que le court métrage est un petit film de 10 à 15 minutes, alors que légalement, la durée d’un court va jusqu’à 59 minutes. Beaucoup pensent aussi qu’un court est une petite forme rigolote. Personnellement, je trouve ça un peu réducteur et je ne suis pas sur qu’une durée courte permette aux auteurs-réalisateurs de s’exprimer profondément. Le moyen métrage leur permet à l’inverse de véritablement installer leur mise en scène, d’approfondir leurs personnages, et de créer un univers complexe, vu la difficulté de maîtriser, sur une demi-heure ou plus, une durée, un scénario, et un montage. Avec ce format, on commence vraiment à voir si on a affaire à un auteur ou pas. En 10 minutes, cela me paraît difficile.
Est-ce que le moyen est une passerelle entre le court et le long ?
Certainement. En termes de production, les budgets sont plus importants que pour le court (entre 100.000 et 150.000 euros), on peut trouver de l’argent pour financer des films, mais il n’y a pas de rentrées financières car le marché est extrêmement limité. En même temps, comme ces films ne sont pas dans le marché, ils sont à l’abri de la violence des règles des chaînes de télévision et des distributeurs.
Certaines personnes ont parfois envie de sortir du court et, n’arrivant pas à faire des longs, font des moyens pour affiner leur travail et se tester sur la production et une durée plus difficile. Il y a aussi des gens qui reviennent au moyen entre deux longs, comme Eugène Green, Marie Vermillard ou François Ozon, par plaisir mais aussi parce qu’économiquement, ils sont plus libres de faire ces films-là, sans qu’un distributeur ou une chaîne leur impose quoi que ce soit. Enfin, il y a des gens qui ont vraiment été révélés par ce format-là comme Arnaud Desplechin, Bruno Podalydès, les frères Larrieu, Alain Guiraudie, ou Mikhaël Hers, plus récemment.
Bruno Podalydès est quelqu’un qui a fait des courts avant son moyen. Qu’est-ce que ce format-là a changé dans son parcours ?
Podalydès a fait des courts avant “Versailles, rive gauche”, mais quand tu regardes ses films, finalement, c’est plus avec celui-là qu’il s’est trouvé car c’est quelqu’un qui a besoin de temps et qui aime énormément les grandes familles de personnages. Ce n’est pas dans ses courts qu’il a pu développer à ce point son récit.
Pourquoi les Rencontres ont-elles été implantées à Brive ? Quel lien cultives-tu avec cette ville-là ?
Le lien, c’est que je suis originaire de Brive. J’y connaissais un lieu qui pouvait accueillir un festival pendant plusieurs jours, il n’y avait pas beaucoup de manifestations autour du cinéma dans la région, et on a tout de suite reçu un accueil très favorable, donc il y avait beaucoup de conditions réunies. Si on avait monté un festival pareil à Paris, on aurait été noyé dans une proposition colossale de manifestations. De toute façon, je crois que la mission d’un festival, c’est aussi d’investir des lieux dont ce n’est pas la vocation.
Est-ce que le public briviste perçoit correctement ce qu’est un moyen métrage ?
Maintenant, oui. Mais au départ, les gens ne savaient pas ce qu’était. Il a fallu leur expliquer que les moyens étaient des films, au même titre que des courts ou des longs, et qu’on faisait le pari de les montrer. On leur a expliqué aussi que derrière chacun de ces films, il y avait un regard, un auteur, un tempérament, une saveur, un point de vue sur le monde, et que leur point commun était d’être dans une durée 30-60.
Vous imposez-vous des critères de durée ? Si un film dépasse 60 minutes ou est inférieur à 30 minutes, pouvez-vous le refuser ?
Si il est inférieur à une demi-heure, je considère qu’il y a plein d’endroits où il peut être vu. Si un film que j’aime vraiment dure plus de 60 minutes, je le prendrai car il aura toutes les peines du monde à sortir en salle et à être vu.
La situation dont tu me parles concerne surtout la France. Depuis cette année, vous montrez des moyens d’autres pays via une nouvelle compétition européenne. Quel est le témoignage des réalisateurs étrangers sur la situation dans leur pays ? Est-ce plus facile ou non de produire un moyen métrage ailleurs ?
Globalement, je pense que c’est plus difficile de faire des courts ou des moyens ailleurs étant donné qu’en France, il y a beaucoup de guichets et d’argent pour les films, alors qu’à l’étranger, on a plus affaire à des films d’écoles ou à des productions un peu fauchées, bricolées, avec peu d’argent. Il n’y a pas tellement d’entre-deux, comme en France, avec un producteur qui cherche de l’argent auprès des chaînes, des régions, et du CNC.
Comment se fait-il que ces films-là arrivent à se faire dans les écoles ?
Parce que dans les écoles, il y a des moyens et du matériel à disposition, et parce que la créativité n’est a priori pas brimée.
Quels sont les pays aujourd’hui reconnus pour leur forte production en moyens métrages ?
Beaucoup de moyens métrages se font en Europe, notamment en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, en Pologne, en Roumanie, et dans les pays nordiques. Dans d’autres pays, comme le Portugal et l’Italie, il y en beaucoup moins, mais des films nous parviennent aussi.
En sept ans, comment les choses ont-elles évolué en termes de fréquentation, de films reçus, et de travail avec le public ?
En sept ans, on n’a pas eu beaucoup de mal à convaincre les gens de la profession que le festival correspondait à un besoin, on a réussi à se faire connaître et à gagner un public local. Les gens sont encore curieux de découvrir des choses très peu connues qu’ils ont rarement la possibilité de voir en DVD ou à la télévision, ce qui prouve qu’ils ne sont pas aussi frileux qu’on le croit.
La quantité de films reçus a aussi évolué. La première année, on a dû en recevoir 140, aujourd’hui, on en compte plus de 400. Cela ne veut pas dire que plus de moyens métrages se sont tournés en sept ans, mais que ces films sont plus mis en valeur aujourd’hui. Enfin, la presse régionale et nationale suit le festival, ce qui contribue à la notoriété et à la carrière des films et des réalisateurs.
Parmi ces films, certains t’ont-ils plus interpellé que d’autres ?
Cette année, sur 400 films, j’en ai gardé 21. Pour moi, ils sont tous égaux. Mais je suis ravi d’avoir découvert précédemment “La Peau trouée“ de Julien Samani, comme “La main sur la gueule” d’Arthur Harari, et “Les voeux” de Lucie Borleteau. Tout de suite, j’ai senti que j’avais a affaire à des gens qui avaient des choses à dire de façon très, très forte. Pourquoi monte-t-on un festival ? Pour essayer de révéler les cinéastes de demain, et pour mettre au maximum en valeur les oeuvres non repérées ou mal mises en évidence dans la masse de films.
Propos recueillis par Katia Bayer.
Consulter les fiches techniques de “Versailles Rive gauche” et “La main sur la gueule”