Les films d’écoles offrent un intérêt particulier pour l’amateur de l’animation – ce genre à potentiel illimité où toute représentation imaginable semble réalisable –, dans la mesure où ils montrent à la fois une certaine fragilité chez ces artistes en bourgeon et une fraicheur désinhibée résultant d’une imagination riche. Ce n’est donc guère étonnant qu’Anima, le premier festival belge de l’animation, ait consacré deux séances de courts aux films d’écoles internationaux. Coup d’œil sur quatre coups de cœur.
D’une rare crudité d’Émilien Davaud, de Jérémy Mougel et de Marion Szymczak
Ce film collectif parvient de Supinfocom (Arles) et dépeint un monde de plantes anthropomorphisées, où chaque fleur, chaque fruit et chaque feuille a un visage et des sentiments humanisés. La scène se présente comme une corne d’abondance dans laquelle la naissance, la croissance et la mort se suivent dans une danse cyclique, rythmée par les airs bouffons d’une trompette moqueuse. Esthétisée à souhait, cette idylle verte donne à voir une toute autre façade de la nature, affreuse, inexorable et surtout arbitraire. En suscitant une véritable empathie végétale capable de plonger même des végétaliens dans une crise éthique – chose pour le moins originale -, le film sort le spectateur de ses références anthropocentriques. En même temps, il s’avère curieusement pertinent au regard de l’actualité mondiale, par sa réflexion sur la Nature capricieuse et les conséquences dramatiques sur les habitants de la Terre. Convenablement située entre simplicité et recherche, sur le plan de la forme et du contenu, cette « rare crudité » est à la hauteur de son titre et de tous les jeux de mots que celui-ci évoque.
Farat de Velislava Gospodinova
Court métrage bulgare issu de la New Bulgarian University, « Farat » est un tour de force qui montre parfaitement la versatilité du genre animé. Doublement citationnel, le film met en images une interprétation du poème « Le gardien du phare qui aimait trop les oiseaux » de Jacques Prévert, avec comme partition le célèbre Prélude en do dièse mineur pour piano de Rachmaninoff. Amoureux des oiseaux, le gardien ne peut supporter qu’ils meurent en masse contre les vitres de son phare et, son amour vainquant sa conscience professionnelle, il décide d’éteindre le sémaphore, ce qui provoque ironiquement le naufrage d’un cargo de milliers d’oiseaux. Le parti pris de Gospodinova de s’éloigner de l’humour noir et de la rhétorique quelque peu prosaïque des vers de Prévert (Les oiseaux il les aime trop | Alors il dit tant pis je m’en fous) dote le film d’une gravité et d’un côté dramatique puissant. En même temps, à l’aide du travail musical turbulent et morcelé de Tsvetan Chobanoff, la réalisatrice parvient à traduire avec justesse le symbolisme du poème à l’image (la récurrence du mot “milliers” à travers la surcharge dans le dessin, le chagrin exagéré de l’homme tourmenté, …). Avec son dessin incisif, surréaliste et agité, « Farat » réussit son pari ambitieux d’adapter une œuvre littéraire à l’écran.
Cardboard de Sjors Vervoort
Sur fond d’images live action de la ville se muent des morceaux de carton animés. Avec une vitesse comparable à celle du battement empressé du paysage urbain qu’ils traversent, ils se présentent tantôt comme de petites bêtes furtives tantôt comme des objets monumentaux. Le matériau devient le sujet même et l’hybridité des médiums se fait outil de narration. Entre du Time-Lapse et du Street Art, cette animation hétéroclite brouille les pistes de la perception et ce faisant, poursuit la tendance popularisée par l’artiste-phénomène Blu (« Muto », « Big Bang Big Boom »), même si le travail de graffiti urbains de ce dernier paraît d’emblée plus audacieux car plus “réel”. Néanmoins, sur le plan purement cinématographique et malgré des limitations narratives, Sjors Vervoort parvient à rendre son expérience hybride plus percutante et plus fraîche que la technique monotone de l’Italien, notamment grâce à la durée succincte et au rythme entrainant de « Cardboard ».
Mumkin Boukra de Thibault Huchard
Diplômé de l’École de dessin Émile Cohl de Lyon, Thibault Huchard livre avec « Mumkin Boukra » une animation, une adaptation elle-aussi, sur le récit-cadre des “Mille et Une Nuits”, qui raconte la jalousie et la vengeance d’un Sultan rendu cocu par une de ses femmes et la rencontre avec Shéhérazade, la conteuse des mille et une histoires.
Tant dans l’image que dans la bande-son, l’orientalisme règne, mais toujours avec goût et raffinement. Les plans fluides coulent les uns dans les autres, comme autant d’images associatives qui s’ensuivent dans un kaléidoscope illustrant tour à tour les éléments du récit, le passage du temps et le symbolisme psychologique derrière l’action. De ce point de vue, l’esthétique de Huchard n’est pas sans rappeler le travail de Florence Mihaile, personnage redoutable dans l’animation française.
En tant que film “muet”, « Mumkin Boukra » assume les codes du cinéma muet. Notamment, la part majeure de la narration s’effectue par le biais d’intertitres. Mais loin des simples textes superposés entre les plans, ceux-ci font intégralement partie de l’image et achèvent ce “macabre festin” en s’envolant dans un nuage de calligraphie esthétisée représentant le pouvoir de la narration.
Consultez les fiches techniques de « D’une rare crudité », de « Farat », de « Cardboard » et de « Mumkin Boukra »