Stimulé par le jeu et le naturel des ados, Rudi Rosenberg fait des films avec eux après être passé par la case comédien. Son dernier film « Aglaée » a remporté le Prix CCAS et le Prix d’interprétation féminine à Angers et part bientôt pour Clermont-Ferrand. Rencontre entre deux villes, dans un café apaisant, à peine chamboulée par les rongeurs d’opéra.
On t’a connu comédien. Qu’est-ce qui t’a poussé vers la réalisation, après un passage par l’EICAR ?
J’y ai toujours un peu pensé. Je savais que tôt ou tard, j’allais m’y mettre. J’ai eu l’occasion de faire un stage subventionné par l’AFDAS. Tous les deux ans, les professionnels du spectacle ont droit à un stage. Tu peux devenir cuisinier, fleuriste, faire de l’informatique, de l’anglais, etc. La première fois, j’avais fait du théâtre. En 2007, j’ai hésité entre la musique et le cinéma. Finalement, j’ai décidé de faire l’EICAR pendant un an. Je me suis donné à fond, et j’avais des petits rôles en parallèle.
En fin d’année, tu as réalisé « 13 ans ». Tu as fait ressurgir des souvenirs personnels dans cette histoire autour de l’adolescence ?
J’ai écrit quelque chose sur l’adolescence en piochant un peu dans mes souvenirs et en essayant de scénariser, de construire une histoire. Ce n’est pas du tout autobiographique (“le mec qui se protège !”) mais la première scène du film est arrivée. Ça peut être un lieu commun de traiter de l’adolescence dans ses premiers films. Mais le temps passe et j’ai toujours envie d’approfondir ce sujet.
Qu’est-ce qui t’intéresse dans l’adolescence ? L’individu par rapport au groupe, les garçons contre les filles, le sentiment de gêne ?
L’individu par rapport au groupe, j’aime bien. Ce n’est pas que j’ai vraiment un regard sur l’adolescence. Non, ce que j’aime bien surtout, c’est les adolescents, c’est eux. Je suis davantage admiratif devant un ado qui est juste et vrai devant une caméra que devant le plus grand des comédiens. Je vois ça dans les films de Sophie Letourneur, Philippe Faucon, et Larry Clark.
Comment encadres-tu tes jeunes comédiens ? Comment travailles-tu avec eux alors que ce sont tes premières expériences en tant que réalisateur ?
« Aglaée », c’est une sorte de laboratoire avant le long métrage que je suis en train d’écrire. J’avais envie de faire des impros avec des jeunes, de voir comment ils réagissaient. C’était surtout une expérience de direction d’acteurs avant d’envisager un quelconque circuit en festival. Le film marche bien, j’en suis super heureux mais au départ, je voulais vraiment m’entraîner à diriger des jeunes. Il y a eu beaucoup plus d’impro sur « Aglaée » que sur « 13 ans ». Quand on tourne en 35 mm, c’est difficile d’improviser. On avait très peu de pellicule, on ne pouvait faire que deux prises par plan. Pour « Aglaée », on a vraiment pu travailler plus.
Comment as-tu choisi le comédien d’« Aglaée », Marc Faria-Chaulet ?
On a fait pas mal de castings sauvages. Le comédien roux qui joue le rôle de Benoît, je l’ai trouvé à la dernière minute le dernier jour, dans la rue. Il foutait le bordel devant son collège avec ses copains, il nous a balancé des pétards sur la gueule et il nous a fait mourir de rire ! Au départ, je voulais un mec petit, marrant, qui essaye de sortir avec la fille plus grande, un peu plus belle, un peu handicapée. Je pensais qu’il y avait là un ressort comique. Finalement, le film a pris un sens différent avec ce choix de casting.
Dans le film, il y a une scène qui gêne parfois les ados et les profs qui les encadrent, celle où Aglaée voit du sperme sur un coussin…
Ah bon ? J’ai l’impression que les gens ne réagissent pas à cette scène. On ne m’en parle jamais, du coup, j’ai oublié le problème. C’est marrant que tu m’en parles parce que je déteste ça, mettre les gens mal à l’aise. J’ai essayé quand même d’être le plus soft possible, du moins, je le croyais. Pour moi, c’était plus un prétexte pour une scène de comédie mais cela devient oppressant pour le personnage. Ce que je voulais, c’est que le garçon se mette dans une situation délicate et que la fille lui vienne en aide. En tout cas, pour mon long, je veillerai à ne pas montrer des choses aussi crues.
Qu’est-ce que tu as appris sur le deuxième film que tu n’avais pas découvert sur le premier ?
Je pense que j’ai fait des progrès en direction d’acteurs. Enfin, j’ai appris des choses sur les ados, sur l’équipe. Déjà, je sais que si je fais un long avec des ados, je ne les mets pas dans le même hôtel ! J’en mets un par hôtel !
Ça va faire un sacré budget !
Ah non, mais là, ce n’était pas possible, ils ne dormaient pas de la nuit ! Ça a été le plus beau tournage de ma vie, il y avait une ambiance extraordinaire. On s’est tous pleuré dans les bras en repartant. C’est incroyable à quel point les jeunes sont capables de se lier d’amitié en très peu de temps comme ça.
Est-ce que tu leur as apporté des trucs que tu as appris en tant que comédien ou tu les as laissés se débrouiller seuls ?
Au contraire, il faut les laisser libres. C’est plus de la délicatesse, de l’attention qu’il faut avoir pour eux. En tant que comédien, j’ai pu subir le manque d’attention de certains réalisateurs, et c’est quelque chose que j’essaye de ne pas reproduire. Le réalisateur termine une prise et ne dit pas si c’est bien ou pas. Le comédien a besoin d’être mis en valeur, surtout lorsqu’il a 13 ans et que son image est importante.
Ton rapport au court, c’est quoi en fait ?
Pour moi, c’est un laboratoire et un apprentissage. Un jour, en allumant la télé, je suis tombé sur « Manue Bolonaise » de Sophie Letourneur, un film avec des ados. Je suis resté scotché dessus, j’étais mort de rire pendant une heure. Je croyais que c’était un documentaire mais en fait, c’était une fiction. Je me suis dit que c’était exactement ce que je voulais faire, des films avec des ados. Ça m’a donné envie de devenir réalisateur.
Qu’est-ce qui s’est passé ce soir-là ?
Je me suis dit que ces ados étaient super naturels. Ça t’arrive de voir une fiction et de te dire c’est un documentaire ? Jamais, quoi. Il n’y a que les ados pour être aussi bons, pour te faire croire à ça.
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film