Jan Švankmajer en DVD

Chalet Pointu propose dans son catalogue trois DVD non exhaustifs des courts-métrages de Jan Švankmajer. Présentés dans un ordre non chronologique, ils abordent un aspect particulier du travail du cinéaste tchèque. De l’animation classique au surréalisme en passant par les différentes recherches formelles, c’est l’occasion idéale d’aborder une œuvre plurielle et singulière.

Courts-métrages Volume 1

Ce premier DVD est une entrée en matière, un apéritif. Il comporte six courts-métrages recouvrant une période large de l’œuvre de Švankmajer, de Et Cetera (1967) à Obscurité-Lumière-Obscurité (1990). On y retrouve un panel de styles d’animation différents qui recouvre une bonne partie des talents du maître. Trois films sont essentiels :

– Obscurité-Lumière-Obscurité (1990)

Au commencement, il y a une main, puis deux… Dans le salon exigu d’une maison de poupée, les membres d’un corps en glaise se rencontrent et s’assemblent pour former un corps, le cerveau ne faisant qu’une entrée tardive dans la construction. On retrouve ici une torture du corps chère à l’auteur et un mélange de matière (glaise et morceaux de viandes tels que la cervelle ou la langue), l’homme ainsi reconstitué ne trouvant pas ainsi le bonheur.

– Les possibilités du dialogue (1982)

« L’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma » selon Terry Gilliam. On y retrouve trois situations de dialogues entre des têtes ou des langues, du Arcimboldo revisité et torturé, des personnages qui se dévorent les uns les autres. Film somme des obsessions du cinéaste, Les possibilités du dialogue est un film phare, le plus connu et primé en festival dans l’œuvre foisonnante du cinéaste.

– L’appartement (1968)

Film réalisé l’année du printemps de Prague, il est le manifeste surréaliste de Švankmajer. On y voit un personnage (un acteur en chair et en os cette fois) dans un appartement récalcitrant où les murs sont mous, les œufs durs (mais alors vraiment durs !) et la soupe servie avec une cuillère trouée. Le noir et blanc n’est pas sans rappeler celui d’Un chien Andalou. Ce court offre un réel aperçu de la période strictement surréaliste de Švankmajer.

Courts-métrages Volume 2

Ce deuxième opus se focalise essentiellement sur les années 60 et s’attache à montrer que Švankmajer était surréaliste bien avant d’intégrer le mouvement en 1970 et ce, dès son premier film. Les titres de ce DVD sont moins connus, l’animation est parfois balbutiante. Nous pourrions appeler ce DVD « le laboratoire surréaliste de Jan Švankmajer » tant la forme est torturée, en perpétuelle évolution. Ces films sont aussi les plus sombres du cinéaste. Paradoxalement, ce sont aussi les plus humains. L’homme y trouve sa place en tant qu’acteur (une rareté chez Švankmajer), son rapport au monde est mis à mal par les objets, et des forces invisibles et incontrôlables, le parti communiste tchèque y est indirectement visé, ce qui entrainera pour Švankmajer une interdiction de tourner pendant sept ans. Trois exemples :

– Une semaine tranquille à la maison (1969)

Pendant une semaine, un homme s’introduit dans une maison pour observer ce qui s’y passe, et dans ce cas, cela dépasse l’entendement. Film sur le voyeurisme et la place du spectateur, Une semaine tranquille à la maison met en perspective le regard, (le nôtre ou celui de l’auteur) pour nous donner une vue imprenable sur son jardin secret et mettre à mal la position d’observateur et d’observé. Ce film peut être vu comme une métaphore de l’état stalinien qui observe l’art et les artistes, sans rien y comprendre, alors qu’en fait, c’est l’observateur lui même qui est l’objet d’étude, le centre de l’oeuvre.

– La fabrique de petits cercueils (1966)

Deux marionnettes se battent pour la possession d’un cochon d’inde (seul personnage de chair et de sang du film). Nous retrouvons ici les duels chers au réalisateur (même si cette fois, ce n’est pas pour de la nourriture) et le genre classique des marionnettes tchèques est détourné grâce à des gros plans de matière en mouvement propres au surréalisme. Film sur le désir de possession, La fabrique de petits cercueils pousse le duel jusqu’au bout, et seul l’objet de désir s’en sort indemne. Film prophétique, vous avez dit ?

– Le puits, la pendule et l’espoir (1983)

Film postérieur aux autres courts-métrages du DVD, il y a toute sa place de par la forme cinématographique adoptée. Il s’agit du film le plus angoissant de Svankmajer. Allégorie de la torture tournée entièrement en caméra subjective, le film entraîne dans un flot d’images jamais gore, mais souvent oppressantes. On peut voir ce film comme une continuation d’Une semaine tranquille à la maison tant il est question ici de la place du spectateur, cette fois au centre d’une torture visuelle et sonore dont il ne pourra évidemment pas sortir indemne.

Courts-métrages Volume 3

Ce troisième volume est un florilège de films allant de la commande (clip pour MTV et autres) à des film plus connus. Ce sont en général des films plus caractéristiques du style du Švankmajer que nous connaissons, des films peut-être moins formels, mais qui nous donnent à voir les prémices de son fameux Alice. Après les expériences parfois cauchemardesques du second DVD, nous entrons dans un monde à l’apparence plus sereine, mais toujours aussi torturé. La chair est mise à mal, les personnages se décomposent (quand ils ne se mangent pas), les régimes politiques s’anéantissent. A noter qu’en bonus, se trouve un extrait de l’émission « La nuit s’anime » consacré à Eva et Jan Švankmajer à l’occasion de leur exposition au musée-château d’Annecy. Une occasion de découvrir une autre facette de cet artiste.

Flora (1989)

Film consacré à l’une des obsessions de Švankmajer : la décomposition. Nous y voyons une femme faite de légumes, à la Arcimboldo, impuissante face au pouvoir du temps. Très court (moins de deux minutes) mais d’autant plus percutant, le film comporte lui aussi une violence faussement atténuée par le fait qu’au fond, ce ne sont que des légumes que nous voyons pourrir. L’animation de Flora, son anthropisation et la situation de huis clos donnent toute leur force à cette œuvre.

– La nourriture (1992)

Ce film est un triptyque à la manière des Possibilités du dialogue avec petit déjeuner, déjeuner et dîner. L’obsession de Švankmajer est ici poussée à son paroxysme. L’homme se retrouve tour à tour distributeur de nourriture, auto-cannibale et anthropophage. Nous sommes dans une espèce de Grande Bouffe à la violence démesurée dirigée vers la nourriture de l’autre et les objets. Manger est, dans ce film aussi, une façon de dialoguer. A regarder en dehors des repas.

La mort du Stalinisme en Bohème (1990)

Švankmajer règle ses comptes avec le stalinisme dans ce film aux références politiques variées (peu lisibles des néophytes) mais ceux qui rêvent de voir Staline se faire fendre la tête en deux seront ravis. Dans le film, les couleurs du drapeau tchèque envahissent peu à peu les objets du quotidien et les icônes du régime, les figures du parti sont mises à mal. Il s’agit du film ou Švankmajer traite de la politique de manière frontale et non métaphorique comme dans ses autres œuvres. On ressent réellement la joie libérée (et parfois sadique) du cinéaste.

Thierry Lebas

Article associé : Jan Švankmajer, le cinéma fait main

 

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *