Vendredi, s’ouvrait le 19ème festival de Vendôme avec la projection du « Grand Amour », en présence de Pierre Etaix. Si le film n’a pas vieilli, son auteur de 82 ans avoue, lui, avoir pris beaucoup de rides. Digne hériter du slapstick, Etaix a créé au fil de ses films un personnage qui n’est autre que sa propre caricature. Et cela, dès ses premiers courts métrages.
Rupture
Un jeune homme (Pierre Etaix) découvre une lettre de rupture de sa fiancée. La tristesse ne dure pas longtemps : il lui signifie à son tour son désengagement dans leur histoire devenue postale. S’ensuit alors une succession de petites maladresses apparemment insignifiantes toutes plus drôles les unes que les autres : les timbres s’avalent, l’encre se dissipe, le papier vient à manquer, le bureau ne tient plus debout, le jeune homme passe par la fenêtre.
« Rupture » est le premier court métrage d’Etaix, son premier film au cinéma, et son personnage s’esquisse déjà. Dandy élégant, distrait invétéré, Etaix est le jeune homme et le jeune homme est Etaix. Les gags s’enchaînent comme au music-hall, la première école d’Etaix, et offrent un rythme sans pareil au film. Parcouru d’un seul « Oh, non », « Rupture » est un film pratiquement muet. Même si l’on est en 61, cela ne fait rien car l’habillage sonore et la musique sont très présents dans le film. Etaix a intégré les leçons de Tati et de Bresson : le son est au moins aussi important que l’image, il faut lui accorder du temps. L’apport est payant : le film remporte le Prix FIPRESCI à Mannheim et le Grand Prix du Festival Oberhausen en 62.
Heureux Anniversaire
Une épouse prépare son anniversaire de mariage pendant que son mari (Etaix pour ne pas changer) peine à rentrer chez lui. Cette fois, Etaix n’est pas au centre du film, d’autres personnages et situations croisent son chemin et le retardent encore plus pour rejoindre le domicile familial : un homme recouvert de crème à raser cherche à tout prix une place de parking, un Belge se démène pour arrêter un taxi, des déménageurs transportent de la vaisselle, et les cactus de la fleuriste piquent.
Ce deuxième court métrage d’Etaix, co-écrit et co-réalisé (on l’oublie) par Jean-Claude Carrière, fut réalisé juste après « Rupture ». On retrouve le personnage maladroit et confus du jeune homme de l’année précédente sauf qu’entre temps, celui-ci semble avoir trouvé une femme pour la vie et que le film n’est pas tourné en huis clos. Au contraire, la rue, ses hasards et ses « non, mais tu as vu ce crétin ? » offrent une saveur toute particulière au film, récompensé pour le coup de prix pas trop andouilles : le Grand Prix du Festival Oberhausen, le Prix Simone Dubreuilh à Mannheim, le Prix du Meilleur court au British Film Academy de Londres et l’Oscar du meilleur court métrage à Hollywood. Rien que ça.
En pleine forme
Un jeune homme (doit-on encore préciser de qui il s’agit ?) campe dans un pré. Comme chaque matin, il tente péniblement de se préparer du café. C’est sans compter les caprices du hasard, le manque de volonté de sa cafetière et le désir d’indépendance du grain à moudre. Chassé par un agent de police, il se mêle à la communauté du camping local.
Dernier court « officiel » d’Etaix, ce film est initialement une des séquences du long métrage « Tant qu’on a la Santé » dans sa première version de montage. Quelques années après l’avoir réalisé, Etaix extrait cette séquence et l’intitule pour l’occasion « En pleine forme ». Là aussi, l’individu est à part, dans sa bulle, et observe les autres, sans avoir l’air de les comprendre. Une fois encore, l’humour, le rythme et les gags d’Etaix font sensation.
Katia Bayer
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