Les interviews de directeurs artistiques se poursuivent sur Format C. Après Bernard Boulad du Festival de Brest, c’est au tour de Luc Engélibert des Rencontres Henri Langlois de s’exprimer sur le court en général, et les films d’écoles en particulier. Entretien-brasserie, Place du Trocadéro, en compagnie du bruit, du thé, et des changements de service.
Quels ont été vos liens avec le cinéma, avant de vous rapprocher du Festival de Poitiers ?
Je me suis toujours intéressé au cinéma et à la fabrication d’images. J’ai animé le ciné-club de mon école, puis après le bac, j’ai suivi plusieurs formations dont des études de cinéma à Paris 3. Relativement vite, j’ai fait des courts métrages que je n’ai pas trouvés bons, et qui n’auraient pas intéressé beaucoup de monde, à mon avis ! Ces films, je les faisais sans aucun moyens, avec un peu de pellicule, et des caméras empruntées. Très rapidement, je me suis rendu compte que la réalisation n’était pas pour moi. Comme j’aimais beaucoup parler des films, les décortiquer, et analyser les émotions que provoquait le cinéma, je me suis dit que ma place serait mieux dans un rôle de passeur ou de vecteur, entre les oeuvres et le public. C’est comme ça que j’ai cherché à être exploitant de salles d’art et d’essai, plutôt dans l’action culturelle, et que j’ai créé une société de distribution et un complexe de cinéma, avec d’autres personnes. Ce qui m’intéressait, c’était de faire découvrir des cinéastes, des auteurs, à un public. Cette envie est restée, avec le temps.
L’exploitation est plutôt liée au long. Est-ce que vous montriez des courts en première partie de programme dans vos salles ?
Non. Aujourd’hui ce n’est plus possible de le faire sauf si on mène un acte très volontariste avec l’Agence du court métrage, avec le RADI [Réseau Alternatif de Diffusion], qui permet d’avoir accès à un certain nombre de courts, et de les montrer. Deux problèmes se posent : d’une part, le RADI ne fait plus entrer personne parce qu’il n’arrive plus à avoir assez de copies pour pouvoir le faire, et de l’autre, une séance pareille a forcément un coût puisqu’en France, le court métrage n’a pas le droit de prendre sa recette sur le billet du long. Quand on passe un court, c’est systématiquement dans la part de l’exploitant qu’on prend de l’argent pour payer le court, et non sur le ticket d’entrée. C’est pour cela que j’ai préféré privilégier des rendez-vous et des rencontres autour du court métrage tous les mois, quand j’étais exploitant à Paris.
Comment s’est établi le rapprochement avec le festival de Poitiers ? Le connaissiez-vous, le suiviez-vous ?
Je le connaissais, mais je n’étais jamais allé à Poitiers même. J’y suis allé une fois à Tours en 85 ou 86, lors des premières années du festival, quand il était encore centré sur les films de fin d’études. Je n’y étais pas retourné depuis. Il y a cinq ans, le Directeur général de la Scène Nationale de Poitiers m’a appelé. Il venait de récupérer les Rencontres Henri Langlois des mains du maire et m’a proposé de reprendre l’événement. J’ai accepté, et depuis septembre 2004, je fais partie de cette aventure.
https://www.youtube.com/watch?v=iRZuUPeLUVw
Comment aborde-t-on un festival, alors qu’on y a été qu’une seule fois, il y a longtemps, dans une autre ville, et sous une dénomination différente ? En arrivant, vous a-t-on de demandé de rester dans la continuité des éditions précédentes ou d’apporter votre touche personnelle ?
L’idée n’était surtout pas de rester dans la continuité des éditions précédentes, pour une raison simple. Depuis sept ans, le festival perdait de l’argent, et les trois dernières années avaient été un gouffre financier fantastique, au point que la Mairie, la Ville, le Département, la Région, et l’Etat avaient décidé de ne plus verser de subventions. Le festival était en liquidation quand le maire de l’époque a décidé d’en racheter le nom et de le confier au Théâtre National de Poitiers. En voyageant à l’étranger, il rencontrait de nombreuses personnes qui savaient qui était Henri Langlois, mais personne ne savait où se trouvait Poitiers. Il a décidé de maintenir le festival et de refaire le tour des financiers, de convaincre l’Etat, la Région, le Département, etc de remettre le couvert. En le confiant au responsable du Théâtre, il lui a dit qu’il voulait que le festival garde son renom”. Il n’a pas donné d’autres cahiers des charges que celui-là.
Après, pour la touche personnelle, j’ai eu envie de rester fidèle au projet de Langlois (une compétition uniquement composée de films d’écoles), mais de l’enrichir d’autres rendez-vous, de rencontres professionnelles, d’ateliers en faveur des jeunes, de sections de films d’écoles françaises, et de focus particuliers sur une Région du monde dont on reçoit peu de films alors que beaucoup de choses qui s’y passent, cinématographiquement parlant.
Le festival est né à Tours et a déménagé par la suite à Poitiers. Quel était l’intérêt de Henri Langlois pour les films de fin d’études ?
Langlois est décédé quelques semaines avant le festival. Ses intentions de départ étaient claires. Il avait consacré toute sa vie à conserver la mémoire du cinéma, il voulait désormais donner un coup de main aux nouvelles générations pour que le renouvellement de cette histoire du cinéma puisse être soutenue et aidée.
Le festival, au moment où Langois l’a créé, était centré sur les films de fin d’études. Il y a trente ans, il y avait beaucoup moins de grandes écoles de cinéma qu’aujourd’hui. Il y en avait une quinzaine dans le monde (l’école de Łódź, la FAMU à Prague, le VGIK à Moscou, la NFTS à Londres, l’IDHEC et l’école Louis Lumière à Paris, la Columbia University à New-York, …. ). À cette époque, il y avait des écoles qu’on ne connaissait pas encore, soit parce qu’elles n’existaient pas soit parce qu’elles ne s’étaient pas encore fait remarquer. Le festival était un espace plus restreint pour les nouvelles générations et pour les films de demain.
Comment se fait-il que depuis l’an 2000, le festival se soit ouvert à tous les films courts réalisés par des étudiants en cinéma ?
Depuis quelques années, le festival s’est recentré sur les films d’écoles car on a constaté qu’il y avait parfois des films très aboutis en deuxième ou troisième année. Cependant, vous posez la question du court, mais le film d’écoles n’est pas seulement court. Les films d’écoles sont majoritairement des courts, mais on reçoit quand même quelques longs.
Vrai, vous en avez un de 92 minutes, cette année, « Der Die Das » [Sophie Narr, Allemagne]…
On en montre un, mais on en a reçu onze ou douze. Dans les écoles scandinaves, allemandes, et sud-américaines, certains étudiants font des longs métrages. La majorité reste du court, mais c’est surtout dû à des questions de moyens et de temps de production. Pour moi, le court et le long sont deux formats de films différents, mais tous deux sont des films d’écoles.
Concrètement, comment s’organise la sélection des milliers de films reçus ?
Je n’aurais jamais la prétention et la possibilité de les voir tous. Fatalement, j’en vois beaucoup moins. Dans le comité de sélection composé de 15 membres, chacun doit avoir vu 300 films, et chaque titre doit avoir été vu par 3 personnes pour passer à l’étape suivante où on en garde seulement 10%. Ensuite, avec mon équipe et les membres du comité qui veulent aller jusqu’au bout, on voit les 120 films restants, et on constitue un premier programme. Le critère le plus important est l’émotion, qu’elle soit provoquée par la manière d’écrire le scénario, l’idée générale qui a sous-tendu le propos du film, ou un parti pris de mise en scène très affirmé.
Je n’ai pas de voix prépondérante dans le comité, mais j’arrête le travail quand on est à peu près aux trois-quart des discussions. On regarde si il y a des régions du monde qui ne sont pas représentées. Si on n’a rien montré d’Asie, d’Afrique, d’Amérique Latine, alors qu’on a des films de ces endroits, on essaye de les repêcher. Sur quelques titres, la décision est donc un peu politique : on essaye de représenter un panorama assez complet de la nouvelle création. Après cela, on reprend le débat pour les derniers films.
La sélection se fait aussi par rapport à la durée. Quand on sait qu’on a onze programmes d’1h30, on en connaît le nombre total de minutes. Cette année, on a retenu 40 films, alors qu’il y a des années où on en a sélectionné 56 et même 63. Il y en a une vingtaine qu’on aurait vraiment voulu garder, mais on a voulu montrer le long métrage de 92 minutes. Un film pareil prend la place de six courts, donc on en montre moins. Ceci dit, la sélection à Poitiers reste une sélection extrêmement dure : 40 films sur 1300, c’est seulement 3%.
Quel regard portez-vous sur le niveau de ces films ?
Le niveau de ces films réalisés par des jeunes gens âgés d’une vingtaine d’années est étonnamment fort. Ce qui est captivant dans ce métier, c’est qu’on peut déjà prévoir ce qui va se passer dans la cinématographie des cinquante ans à venir. Le Mexique prend le pas depuis plusieurs années, l’Uruguay aussi. À Poitiers, on a vu arriver la cinématographie argentine et coréenne. On sait que le cinéma allemand est en train de se renouveler depuis sept/huit ans. D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si il y a quand même neuf films allemands sur quarante dans la compétition…
Vous avez cité à plusieurs reprises le mot « émotions ». Pourriez-vous me parler d’émotions précises provoquées par des films programmés cette année ?
« Roma » [Elisa Miller, Mexique] par exemple, raconte, l’histoire d’une jeune fille qui descend d’un train, et qui s’introduit dans une usine pour se laver. Elle y rencontre un vieil ouvrier qui lui apporte du savon et une serviette pour qu’elle puisse se doucher. Cette rencontre, en très peu de mots, est filmée dans des champs/contrechamps avec un mouvement, une fluidité de caméra, qui donne à penser que quelque chose de très pudique, de très retenu se passe entre eux. L’usine de ce film est également très bien filmée. Rarement, on voit aussi bien filmé le travail, et un lieu de travail. Devant un film pareil, on se dit immédiatement, que la réalisatrice sait écrire, et qu’il y a quelque chose de formidable en elle.
Le documentaire « Mother of exiles » [Damian John Harper, Allemagne] m’a aussi beaucoup touché. Sous forme de portraits, le réalisateur traite de la vie dans les quartiers new-yorkais. Le film a l’intelligence d’être à la fois extrêmement documenté sur les lieux de la ville et la vie au quotidien. L’auteur a compris comment le réel pouvait s’intégrer dans la fiction et comment le documentaire pouvait s’approprier le réel, pour lui donner cette espèce de chair, de vérité. Lui aussi, il a cette capacité à écrire des choses très fortes, très émouvantes.
Avec le temps, qu’est-ce qui continue à vous animer dans le film d’école ? Les rencontres, l’effet de surprise, ou la possibilité d’attraper de nouvelles émotions ?
Découvrir des gens capables de provoquer à un moment donné des choses en moi, et transmettre ce plaisir-là à d’autres personnes est primordial. Chaque année, c’est un véritable plaisir de découvrir des films et de voir arriver tous ces jeunes qui repartiront enrichis par leurs rencontres et expériences. C’est ce que nous a dit Nassim Amaouche, Juré de cette édition, par exemple. Avant son premier long métrage, « Adieu Gary », lauréat du Grand Prix de la Semaine de la Critique, il avait été récompensé en 2004 à Poitiers, avec son court métrage « De l’autre côté » [Prix Spécial du Jury et le Prix Découverte de la Critique Française]. Cette année, il m’a dit : “je ne peux pas dire que Poitiers m’a aidé à trouver les moyens de financer mon long métrage, mais c’est le festival qui m’a donné l’envie, l’énergie, et le courage, pour écrire, me lancer, et me confronter à un public, parce que j’avais été repéré et mis en avant par ces Rencontres-là. »
Est-il resté en contact avec les autres réalisateurs rencontrés en 2004 ?
Je peux déjà vous dire qu’il est resté en contact avec une réalisatrice qu’il a rencontré à Poitiers, puisque c’est sa femme et la mère de son fils ! C’est formidable ! Quand ça se passe comme ça, on est aux anges !
Propos recueillis par Katia Bayer
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