En novembre, Hagar Ben-Asher était de passage à Paris pour représenter Minshar for Art, l’école tel-avivienne dont elle est sortie il y a trois ans, avec « Pathways » sélectionné à la Cinéfondation. En pleine préparation de son premier long métrage « The Slut », cette jeune femme proche de la caméra (devant/derrière) déboutonne ses intérêts : Caméra Obscura, la rédemption, la représentation de la sexualité, et son pays de cinéma.
Comment t’es-tu intéressée au cinéma ? As-tu des souvenirs d’enfance liés au septième art ?
Dans ma famille, on n’était pas très cinéphiles. Enfant, je n’allais pas voir de bons films. Ma réponse peut paraître assez banale, mais en fait j’étais accro aux comédies romantiques ! J’ai d’ailleurs toujours rêvé d’en faire, mais j’ai appris à connaître et aimer le cinéma au fur et à mesure de mes études.
Qu’est-ce qui t’a alors amenée à faire une école de cinéma ? L’envie de faire une comédie romantique ?
J’ai étudié à Tel Aviv, dans une école qui s’appelle Camera Obscura. Je faisais de la photo, je voulais être artiste mais à la fin du premier semestre, j’ai décidé de m’inscrire dans le département de cinéma, même si ça a été difficile de me dire que j’allais faire des films. Être dans cette école, évoluer dans une atmosphère dynamique, étudier l’art, parler de choses passionnantes, m’a donné la confiance qui me manquait. À un certain moment, je suis arrivée à me dire que je pouvais le faire. La volonté n’a pas d’explication : je ressentais une grande attirance pour le cinéma et je voulais absolument réaliser cette passion.
Tu es sortie diplômée de Minshar for Art, une école toute jeune en Israël. Pourquoi as-tu choisi cette formation après Camera Obscura ?
À vrai dire, je ne l’ai pas choisie. J’ai étudié à Camera Obscura pendant trois ans. La dernière année, il y a eu tellement de problèmes financiers que l’école a dû fermer pendant quelque temps. Par conséquent, tous les étudiants ont été transférés à Minshar for Art sans vraiment en avoir le choix. Vu que j’y ai passé seulement quelques mois en dernière année, je pourrais difficilement dire grand chose de cette école puisque je n’y ai pas vraiment étudié. À l’inverse, il s’est passé quelque chose d’assez intéressant à Camera Obscura qui est une école fort libérale. Cet aspect a des bons côtés comme des mauvais, mais si on a envie d’apprendre, on dispose de très bons outils, d’un très bon enseignement et de nombreux cours théoriques. Entre mon apprentissage à l’école et mon expérience dans une vidéothèque pendant deux ans, j’estime que j’ai eu toute mon éducation cinématographique.
Les réalisateurs israéliens croisés me parlent tous de liberté dans leurs écoles. Comment est-ce que toi, tu as vécu cette liberté de faire ce que tu voulais ?
À la Camera Obscura, on nous donnait la possibilité d’écrire des scénarios non classiques. On n’était pas obligé de développer le récit de manière traditionnelle. D’ailleurs, mes films témoignent de cette liberté. L’école nous laissait faire des films, même si ceux-ci n’avaient pas le mot « succès » placardé dessus. Si elle sent que tu as du potentiel, elle te fait confiance. Si tu es sérieux et que tu tiens à ton projet, on t’aide à le développer.
Ton film de fin d’études, « Pathways », a été réalisé à Minshar. Est-ce que l’école a validé ton projet et son financement ?
En fait, c’était plutôt un film indépendant que j’ai autoproduit avec mes économies. C’est après, quand le film a été sélectionné à Cannes, que l’Etat d’Israël m’a donné de l’argent.
Sans grand budget, comment se sont déroulés le tournage et le montage ?
Je pense que chaque projet a son propre temps. Ça faisait longtemps que j’écrivais « Pathways ». Au moment de le tourner, on était aussi bien préparés que possible, d’autant que je jouais dedans, donc avec mon chef opérateur, tout était déjà bien prévu. Je ne sais pas comment on as pu monter si vite par contre. Ça a été incroyable. J’ai tourné à la mi-décembre et en deux-trois semaines, j’avais déjà une première version que j’ai pu envoyer à Cannes. On a terminé le montage en 8 à 10 séances seulement ! Même si le film a changé en cours de montage, on avait une idée très précise de ce qu’il allait devenir.
En parlant de montage, tu as travaillé avec Asaf Korman, qui est un cinéaste [« Yom mota shel Shula » (Le jour de la mort de Shula)] mais aussi un monteur sorti de Minshar. Quel lien t’unit à lui ?
Asaf et moi, on se connaît depuis longtemps. On a travaillé ensemble sur de nombreux projets. Ça a été un vrai avantage de travailler avec lui sur ce film. On a un très bon rapport, étant donné qu’on est tous les deux cinéastes. C’est un réalisateur et un monteur extrêmement talentueux. Il représente peut-être la meilleure chose que j’ai trouvée à l’école. Travailler avec quelqu’un qui n’est pas seulement réalisateur permet d’avoir un point de vue très précieux sur un film.
Vous aviez également le même chef opérateur sur vos films respectifs, Adam Zaslavsky.
Non. Adam a tourné le film d’Asaf, mais il m’a aidée avec le montage. C’est aussi un très bon ami et un réalisateur.
Ton film s’intéresse aux notions de rédemption et de tabou. Selon toi, comment est-ce que la caméra peut apprendre quelque chose sur la rédemption ?
C’est une question difficile. Fut un temps où j’employais ce mot « rédemption » très facilement. J’avais l’impression de raconter une histoire théologique, d’entretenir une conversation avec la religion. « Rédemption » est un mot très religieux. Pour moi, le cinéma est aussi un acte de rédemption. La question du point de vue est une question religieuse. Mes personnages cherchent la rédemption, comme moi je la cherche en faisant du cinéma. J’étais très enthousiaste à l’époque, mais aujourd’hui j’ai du mal à faire face à cette question. Aujourd’hui, je dirais que je fais du cinéma principalement pour poser des questions. C’est très récent, cette transformation. Je suppose qu’elle est liée à mon nouveau projet, un long métrage. Maintenant, mon but c’est de faire du cinéma en restant modeste, car la modestie est très importante, dans l’art comme dans tout aspect de la vie.
Ton film traite pourtant du fossé entre le sexe et la violence. Faire réagir le spectateur, ce n’est pas une question, ça ressemble à un but !
C’est vrai. Ça me fait plaisir d’entendre ça. En pratique, j’essaie de montrer la sexualité d’une façon brusque, crue, sans avoir recours à des scènes érotiques, belles ou sexy. Et je pense que ça, c’est une volonté de provoquer une réaction chez le spectateur.
À deux reprises, tu t’es retrouvée liée à Cannes, d’abord avec la Cinéfondation, avec « Pathways », ensuite avec la Résidence du festival, avec « The Slut ». Comment as-tu vécu ces aides alors que tu débutais dans le milieu ?
Ce sont les plus beaux cadeaux que j’ai jamais reçus. Ils m’ont donné de la confiance et m’ont permis de faire ce que j’ai fait, sans devoir me soucier des problèmes d’ordre matériel. Ces deux événements m’ont fait un très grand bien, j’ai pu profiter de chaque minute pour me consacrer à mes projets.
Tu prépares actuellement ton long métrage, « The Slut ». Est-ce que ce sera un projet aussi personnel que « Pathways » ?
Oui, la protagoniste vivra sa sexualité de la même manière et ce sera même encore plus personnel. Par contre, quelque chose a changé. Avant, dans mes courts, j’étais très critique envers mes personnages. Depuis, j’ai perdu toute l’ironie, toute la peur, et tous les sarcasmes que j’entretenais vis-à-vis d’eux. Maintenant, je suis gentille avec mes personnages !
Voudrais-tu rejouer ta protagoniste ?
Je suis à la recherche d’une autre actrice, parce que le personnage a dix ans de plus que moi, et est mère. Ce n’est pas une fille de 30 ans. De toute façon, cette fois, j’ai vraiment envie de me consacrer à la réalisation. Je ne veux plus faire trop de choses sur un plateau, surtout lors qu’il s’agit d’une plus grande équipe, de plus de temps et de moyens.
C’est difficile d’être à la fois devant et derrière la caméra. Et pourtant, je ne peux pas dire avec certitude que je ne jouerai pas. Mon producteur est convaincu que je le ferai, mais je suis réellement à la recherche de quelqu’un d’autre.
Tu as fait trois courts et maintenant un long. Qu’est-ce que le passage par la forme courte t’a apporté ?
Je n’aurais pas pu faire autrement, en allant par exemple directement au long. Je vois une évolution chez moi, d’un film à l’autre. Par exemple, quand je regarde « Pathways » maintenant, j’y relève des erreurs que je ne répéterais jamais. Mais ce n’est pas très grave, parce que j’ai appris des choses, je me suis initiée au langage du cinéma et j’y ai trouvé les germes de quelque chose qui me permet aujourd’hui de m’épanouir.
Y a-t-il un lien entre les courts métrages, les films d’écoles, Israël et une jeune femme juive ? Est-ce que le fait d’être une cinéaste israélienne est en soi une source d’idées ?
Les films que je vois ici sont vraiment tous excellents. Je les connaissais mais je ne les avais jamais vus programmés tous ensemble. On m’a dit récemment qu’Israël est un pays de cinéma mais que les cinéastes ne s’en rendent pas encore compte. Il y a tout en Israël : le conflit, les enjeux politiques, le Judaïsme, l’histoire, l’avenir. Il s’y passe quelque chose de réellement étonnant. Quelque soit le point de vue qu’on adopte pour montrer ce qui se passe ou le message qu’on veut faire passer, on dispose toujours d’une source très riche et dynamique.
Est-ce que tu penses que c’est aussi dû au fait que les jeunes cinéastes issus d’autres pays n’ont peut-être pas traversé d’expériences difficiles ?
Je ne sais pas, je n’ai jamais vraiment vécu ailleurs. Une « expérience forte » est quelque chose de tellement personnel et subjectif. Le traumatisme peut être ressenti différemment d’une personne à l’autre, mais je crois qu’il y a quelque chose dans ce pays qui nous rend plus sensibles à ce qui nous entoure. Malgré l’incertitude qui règne en Israël, les Israéliens sont très lucides, ils voient clair, ils sont toujours à la recherches de nouvelles idées.
Uri Kranot m’a dit un jour que ce qui se passe en Israël est une source d’inspiration pour les artistes.
Je comprends parfaitement cette idée. Même si ça peut paraître un cliché de dire que l’adversité inspire l’art, mais après tout, les stéréotypes sont toujours basés sur une vérité !
Propos recueillis par Katia Bayer. Retranscription, traduction : Adi Chesson
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Article associé : Minshar for Art : Le manifeste de l’art