La première fois, c’était à Anima, dans les couloirs de l’Espace Flagey. Après, il y eut la séance des Lutins où il récupéra son prix du meilleur film d’animation, assis sur scène. La dernière rencontre fut la bonne : Bastien Dubois, réalisateur de Madagascar, carnet de voyage, se pointa aux Grands Boulevards, boucle d’oreille à droite, rendez-vous à gauche et t-shirt illustré au centre.
Format Court : Assez tôt, tu as eu envie d’être carnettiste. Qu’est-ce qui t’attirait particulièrement dans les carnets de voyage ?
Bastien Dubois : Je pense qu’au-delà du carnet, c’était surtout le voyage qui m’intéressait. Le carnet, c’est plus un moyen d’expression. D’une part, ça donne un objectif à ton voyage, d’autre part, ça facilite vraiment les rencontres. Quand tu es en train de dessiner, il y a toujours quelqu’un qui va s’approcher, s’arrêter, te poser des questions. Lors de certains voyages, je me suis retrouvé sans argent, mais mes dessins me permettaient de survivre. Dans le Grand Bazar d’Istanbul, j’ai rencontré un homme qui possédait toute une rue et qui m’a demandé de dessiner l’un de ses magasins. J’ai payé 20 nuits d’hôtel grâce à ce dessin. À Naples, j’avais perdu ma carte bleue, j’arrêtais les touristes pour faire leur portrait, avec des dessins accrochés à mon sac à dos. Quand on voyage en groupe, on fait peu de rencontres, quand on voyage seul, on en fait un peu, quand on dessine, on en fait encore plus.
En rentrant d’un de ces voyages, tu t’es inscrit à Supinfocom, à Valenciennes. Tu avais des repères en animation ?
B.D. : Pas trop… En arrivant à Supinfocom, je n’avais aucune idée de ce qu’était réellement le milieu du court métrage d’animation. J’étais allé à quelques nuits d’animation et à très peu de festivals. Au départ, je me voyais même plus dans la BD, le jeu vidéo, l’illustration, la création de sites Internet que dans la réalisation.
Qu’est-ce qui t’a poussé vers la réalisation alors ?
B.D. : Supinfocom est une école de techniciens. Quand j’ai commencé, on faisait de l’ordinateur toute la journée, il me fallait une échappatoire car ce n’était pas une finalité pour moi. Je voulais voyager, faire des choses hors des chemins battus.
Quand je suis revenu d’Istanbul en 2004, j’ai commencé directement Supinfocom. Ça a été un choc parce que je me suis retrouvé à faire quelque chose de très formaté alors que pendant deux mois, j’avais été complètement libre, à faire du stop et à dormir à la belle étoile. L’idée de faire un film sur des carnets de voyages après mes études est apparue. Elle m’offrait un objectif, un point de repère qui m’a permis de tenir pendant les deux ans de Supinfocom. Sans ça, je pense que j’aurais lâché l’école avant parce que j’avais vraiment été dans un état d’esprit de vagabondage et de liberté totale les mois précédents.
Quelle touche personnelle as-tu apporté sur Ah, le film de fin d’études que tu as fait avec Simon Moreau et Joris Bacquet ?
B.D. : Je ne sais pas. Un petit grain de folie (rires) ! Je crois avoir surtout contribué au fait que ce soit aussi sombre et dérangeant. Ce n’est pas évident de répondre après coup. On bossait ensemble, chacun rebondissait sur les idées des autres, c’est vraiment un travail complémentaire. Simon est à la base de l’univers graphique de « Ah ». Après, au niveau du film, de la réalisation, du design, chacun y a mis un peu du sien.
En 2007, après tes études, tu as entrepris un voyage à Madagascar. Qu’est-ce qui t’a incité à raconter une histoire sur ce pays en particulier ? Avais-tu une connaissance préétablie de l’endroit ?
B.D. : Absolument pas. Je savais que je voulais faire un film sur des carnets de voyage mais je n’avais aucune idée du pays que j’allais choisir. Pendant mes études, j’ai rencontre une fille d’origine malgache qui m’a parlé de Madagascar et qui m’en a montré des photos. Petit à petit, l’idée a fait son chemin. Après, j’ai passé un an et demi à chercher de l’argent pour faire ce film sur Madagascar sans jamais y avoir mis les pieds.
Quand je suis arrivé sur place, j’avais juste une base de scénario. J’ai commencé à faire des dessins, à animer sur place. Je louais une chambre dans un orphelinat. J’alternais les voyages et le travail. Quand je ne m’enfermais pas dans ma chambre pour travailler, je faisais des allers-retours pour faire des pauses, trouver des anecdotes, des scènes de vie, esquisser des croquis, prendre des photos et des sons, tourner quelques vidéos. Tout cela me servait de matière première pour créer les dessins nécessaires à la fabrication des plans. J’ai fait la moitié du film sur place, le reste, je l’ai fait en rentrant en France.
Le film entremêle du dessin, de la peinture, de la photo, de la broderie, … Quels ont été tes outils sur place ?
B.D. : Je suis parti avec un ordinateur portable, un appareil photo d’assez bonne qualité pour faire des scans, 10 kg de matériel de dessin (papier, peinture, encre, …). Sur place, j’ai acheté une petite imprimante et j’ai fabriqué une table lumineuse avec un vieux tiroir qu’un charpentier m’a déniché.
Madagascar, carnet de voyage est traversé par des visages. Est-ce que leurs propriétaires l’ont vu, une fois terminé ?
B.D. : Certains, oui. En décembre dernier, je suis retourné pendant un mois à Madagascar, j’ai loué un bus et j’ai emmené des gens qui sont dans le film à le voir à l’Alliance française. Là-bas, il y a un petit cinéma à savoir une salle avec des chaises en plastique et une toile.
Les musiciens n’avaient pas du tout compris qu’on allait voir le film au cinéma. Ils pensaient qu’on allait enregistrer de la musique parce qu’à chaque fois que j’allais les voir, c’était dans ce but, donc ils sont venus au cinéma avec leurs instruments de musique ! Comme il y a eu quelques petits problèmes techniques, on a dû attendre une demi-heure avant que la projection commence. Ils ont alors commencé à jouer dans le cinéma et tout le monde s’est levé et s’est mis à danser ! Quand on a projeté le film, ça a été une expérience géniale. C’était la première fois que les gens que j’avais emmenés allaient au cinéma et ils voyaient un film qui parlait d’eux ! Ils se reconnaissaient, pointaient du doigt l’écran en disant : « Izao ! Izao ! » (« Moi ! Moi ! »).
Pourquoi as-tu décidé de te mettre en scène dans le film ?
B.D. : Ah, tu as remarqué ? C’est quelque chose de très discret. Ce n’est pourtant pas du Antoine de Maximy, avec la caméra en gros plan sur la figure ! Les gens qui me connaissent savent que c’est moi. Si j’avais pu, j’aurais tout fait en vue subjective, je voulais vraiment que le spectateur s’immerge, vive le voyage, mais je me suis dit qu’il fallait par moments qu’il y ait une interaction à l’image pour offrir une crédibilité au film.
Où en es-tu ? Quels sont tes projets actuels ?
B.D. : Je travaille sur un clip et sur un projet de court qui se passera en Papouasie mais qui n’est pas un carnet de voyage comme Madagascar.
Au vu de ton parcours, qu’est-ce que tu as appris du format court ?
B.D. : Le court offre une liberté et une indépendance au niveau du format, de la durée, et des financements que tu ne trouves pas en long. Néanmoins, un film comme Madagascar coûte relativement cher, donc il a fallu trouver des sous. Après, moi, j’admire beaucoup quelqu’un comme David O’Reilly, l’auteur de Please say something, qui a une technique très simple, qui peut fabriquer un court en deux-trois mois, qui s’auto-produit, qui utilise de la 3D et qui ne fait pas de rendu ni de compositing. Je suis complètement admiratif de la créativité et de l’énergie que développe ce mec parce qu’il est complètement libre d’être juste dans la narration et de faire exactement ce qu’il veut très rapidement. C’est quelque chose que je lui envie beaucoup parce que moi, dès que je veux mettre un truc en place, ça prend des mois (rires) !
Tu le lui as dit ?
B.D. : Oui, bien sûr, on en parle souvent. C’est un très bon pote !
Propos recueillis par Katia Bayer
Article associé : la critique du film