Il est peut-être curieux d’évoquer Annecy dans le cadre du focus Bruz. Annecy accueille un festival international depuis 50 ans, Bruz reçoit un festival national pour la première fois cette année. Il n’empêche, les deux événements défendent le cinéma d’animation, le court métrage, et des artistes jeunes comme confirmés. Et comme cette année, nous n’avons pas pu consacrer un focus à Annecy comme en 2009, nous profitons de l’actualité animée pour parler du DVD édité à l’occasion des 50 ans du festival.
Cette année, le festival d’Annecy fêtait donc son demi-siècle sous le signe des hommages, des invités et d’un coffret spécial sorti des presses pour l’occasion par Chalet Pointu, auteur d’un solide catalogue de DVD de courts métrages. L’éditeur est en effet habitué aux sorties de DVD anniversaires de différents festivals (Brest, Clermont-Ferrand, …) et aux coups de coeur exigeants et personnels (il est notamment à l’origine de la sortie des films de Svankmajer dont on vous reparlera très prochainement).
Sur ce coffret, figurent 40 films primés datant des années 60 aux années 2000 via 5 disques, à raison d’un DVD par décennie, recourant à des techniques très variées (dessin traditionnel, sur cellulos, peinture sur verre, marionnettes, éléments découpés, grattage sur pellicule, pâte à modeler, animation d’objets, …). Au fil des palmarès, on retrouve quelques mentions spéciales, des prix du public, du jury ou de la presse mais surtout des grand prix et même des grands prix ex aequo, comme par exemple trois films ayant remporté la récompense suprême en 1967 : The Breath (Le Souffle) de Jimmy T. Murakami (peinture sur verre, Grande-Bretagne), Klatki (Les Cages) de Miroslav Kijowicz (dessin sur cellulos, Pologne) et Arès contre Atlas de Manuel Otéro (dessin sur papier, France). Parmi les films importants de ce coffret, se trouvent les titres suivants choisis en toute subjectivité.
Lauréat du Grand Prix 1971 ex aequo avec Les autres aventures de l’Oncle Sam (Robert Mitchell, Dale Case, USA), L’Appel de Ryszard Czekala est un film audacieux pour son époque puisqu’il anime en papiers découpés une journée d’appel et la révolte de déportés dans un camp de concentration. Le film a son importance puisqu’il a été fait en Pologne et qu’il s’agit du premier film d’animation qui aborde sans fard le sujet de l’occupation et la brimade des opprimés. Ultra sobre, il joue avec les noirs, blancs et gris, et n’hésite pas à multiplier les axes de la caméra tantôt vers les prisonniers tantôt vers l’officier SS.
Grand Prix en 1983, Les Possibilités du Dialogue de Jan Švankmajer explorent les possibilités en animation en trois chapitres (dialogue objectif, passionné, épuisant). Le premier offre un joyeux bordel de matières, de nourriture, de pâte à modeler et d’animation d’objets (équerres, couverts, livres, enveloppes, dés à coudre, tubes de peinture, viande, pommes, ….). Chez Švankmajer, ça se rencontre, ça s’avale, ça se vomit dessus, ça se désintègre pour mieux se recrée : le maître de l’animation tchèque aime travailler autour du rythme, de la métamorphose, du chaos, de l’angoisse. Dans la deuxième partie, deux personnages en pâte à modeler se font face, se désirent, se désincarnent, se déchirent pour ne plus faire qu’un avec la matière. Dans la dernière possibilité, deux bustes en pâte à modeler installés l’un en face de l’autre se complètent en jouant à pierre-papier-ciseaux : l’un offre le dentifrice, l’autre la pâte, l’un, le beurre, l’autre le pain, l’un la chaussure, l’autre, le lacet, l’un le crayon, l’autre, le taille-crayon. Sauf que l’histoire se rebelle, que les éléments se désintègrent et que des couples imprévus se forment à l’infini: dentifrice-pain, taille-crayon, brosse à dents, crayon-lacet …. Il n’y a pas à dire : Švankmajer a de l’humour et s’en sert bien.
Du côté de l’Allemagne, relevons Équilibristes de Raimund Krumme, Premier Prix Spécial du Jury et Prix Fipresci en 87, un film en dessin sur papier, qui explore lui aussi les possibilités, mais plutôt celles d’un cadre, d’un fil et de plusieurs funambules. Plutôt beau et sobre, Équilibristes se définit par trois couleurs (blanc, rouge, noir) et travaille beaucoup avec les notions de perspective, de points de vue, de hors champ, d’invisible, de visible, et de bords. Les formes y sont simples, le trompe-l’oeil y est poétique et visuel, la musique y est minimaliste.
Prix Spécial du Jury en 2004 et récompensé d’un Oscar un an plus tard, Ryan de Chris Landreth est tout autre. Ce film canadien conçu en 3D raconte la vie de Ryan Larkin, auteur de plusieurs courts métrages ayant marqué le monde de l’animation, en leur temps (les année 70), et en proie désormais à ses souvenirs et à un mauvais penchant pour l’alcool. Le film se construit sur base d’interviews et donne vie à ces voix via des personnages étranges, désarticulés, parcourus de ligaments. Le film a son importante puisqu’il s’agit de l’hommage d’un homme pour un autre homme, mais aussi d’une interrogation sur le succès, la déchéance, la créativité et le manque d’inspiration.
Derrière un des derniers films de la sélection, se dissimule le très fin et très sensible La Maison en petits cubes de Kunio Kato. Cristal d’Annecy en 2008 et Oscar du Meilleur court métrage d’animation, ce film japonais fondamentalement poétique fait basculer son personnage principal, un vieil homme, dans ses souvenirs au fur et à mesure qu’il ouvre les “portes” de son passé enfoui et qu’il plonge dans les étages-cubes de sa petite maison installée dans les eaux maritimes. Mémoire, vieillesse, mélancolie, solitude, silences, émotions, … : Kunio Kato reconsidère avec brio la notion de condition humaine.
Voilà pour les coups de coeur. Un seul regret, peut-être. Certains films et certains réalisateurs cruciaux qu’on aurait eu envie de voir et qui font partie de la double histoire, celle de l’animation et celle du festival, viennent à manquer sur ce coffret. Parmi eux, citons seulement Youri Norstein, Bill Plympton, Barry Purves ou Nick Park, le créateur de Wallace et Gromit. On mettra ces oublis sur le compte du choix nécessaire et des questions de droits et on se contentera des titres présents. Tout en savourant le plaisir de bénéficier d’un support donnant à voir l’évolution de l’animation et mettant en avant des courts connus, ayant marqué des générations d’animateurs ou de simples spectateurs (La demoiselle et le violoncelliste de Jean-François Laguionie, David de Paul Driessen, Papillons de nuit de Raoul Servais, Brother d’Adam Eliott, …) comme rares, voire très rares comme par exemple Le Lion et la Chanson de Bretislav Pojar, un film tchèque tout en marionnettes et en poésie ayant très peu vieilli malgré ses cinquante ans.
Annecy, le coffret du 50e anniversaire. Edition : Chalet Pointu