Chargée du créneau court métrage à la Commission de sélection des films et membre du jury officiel à Media 10-10, Eve-Laure Avigdor nous fait état de la situation du cinéma bref en Belgique francophone.
En quoi consiste ta fonction au sein de la Commission de sélection des films?
La Commission de sélection des films est un secrétariat au sein du Centre du cinéma qui gère tout l’aspect administratif des demandes d’aide à la production, à la finition, à l’écriture ou au développement pour les documentaires. C’est une commission composée de professionnels du secteur. On y trouve une section long-métrage, documentaire et court métrage. Moi, je suis responsable du court. Je m’occupe concrètement de toute l’organisation, de la réception des dossiers à l’étude de leur recevabilité. Je suis en contact avec les professionnels d’un côté et les membres qui siègent, de l’autre. Donc, j’assiste à toutes les réunions, je prends note de ce qui se dit sur chaque projet et je rédige l’avis envoyé à la Ministre de la Culture pour approbation tout comme je rédige les retours aux demandeurs.
Quels sont les critères de recevabilité d’un dossier ?
Les règles de recevabilité sont différentes pour chaque créneau. Pour le court, il s’agit surtout de vérifier que tous les éléments obligatoires figurent au dossier. Par exemple, le demandeur doit être une société de production qui peut être une ASBL [association sans but lucratif] mais qui doit avoir pour objet principal la production audio-visuelle. Il y a aussi des critères de budget. Je vérifie qu’il y a une certaine cohérence entre le budget prévisionnel et le plan de financement. S’il y a des contradictions, je le signale au producteur avant que le projet soit étudié.
D’après les projets reçus en général, quelles seraient les forces et les faiblesses des courts métrages produits en Communauté française ?
En ce qui concerne les scénarios présentés, je suis toujours étonnée de constater la grande diversité. Il y a énormément de films de genre, des films noirs, des films d’horreur, de zombies, plus fantastiques ou des comédies. Et ça c’est une force, je trouve. Parce que je sais que parfois des jeunes m’appellent et me demandent s’ils peuvent remettre une comédie parce qu’on leur a dit que ça ne servait à rien, qu’à la Communauté française, on n’aimait pas ce genre là et qu’il fallait faire du film social. La faiblesse serait donc de se confiner à un genre pour plaire à la Commission.
Comment expliques-tu dans ce cas que la diversité de départ ne se retrouve pas nécessairement dans les films produits ?
Je trouve qu’elle s’y retrouve quand même un peu. Il y a par exemple des comédies ou des films de zombies qui sont aidés. Ce n’est peut-être pas la majorité mais on ne peut pas dire qu’on n’en aide pas. Si un film est refusé, c’est peut-être aussi parce qu’il comporte des faiblesses, parce qu’il n’est pas assez travaillé, indépendamment de son genre. Il y a des films très cyniques qui sont aidés, j’en ai vu à Media 10-10.
Pendant le Festival du court métrage de Bruxelles, s’est tenue une table ronde sur le court métrage. La deuxième partie s’est déroulée dans le cadre de Media 10-10. Quels sont les changements fondamentaux apportés dans le domaine de la production, de la promotion et de la diffusion du court métrage ?
On a décidé de la mise en place d’une table ronde dans le but de donner la parole à tous les intervenants. Parce que l’on s’est rendu compte que le secteur du court était très diversifié et qu’il n’était pas ou peu représenté, on a ressenti la nécessité d’une réflexion continuelle sur les choses, une consultation plus large. C’est la raison pour laquelle on a lancé l’idée de la table ronde. Et par rapport à la Commission, une des principales choses qui est revenue, c’est l’ouverture au minoritaire. Donc maintenant, des producteurs belges ont la possibilité de demander de l’argent pour des films pour lesquels ils sont minoritaires du point de vue de la production. Ils peuvent, pour un film belge réalisé par un auteur belge, envisager que leur part financière soit minoritaire et ils peuvent aussi demander une aide pour un film français par exemple ou italien parce qu’ils peuvent être engagés dans un projet qu’ils n’ont pas initié. Ce qui leur permet de boucler des projets à eux et d’être sur des projets culturellement intéressants. Cela permet aussi de donner une réciprocité à des producteurs qui à l’étranger font la même chose pour eux. Le but est de s’ouvrir à l’étranger tout en préservant la production belge. Cette nouvelle réglementation, qui est un peu calquée sur celle du long, donne une nouvelle définition d’un majoritaire et d’un minoritaire basée sur des critères culturels et non plus sur des critères économiques.
Ensuite, il y a d’autres changements liés à cette ouverture. Par exemple, la Commission exige qu’après avoir déposé un projet minoritaire, le producteur ne peut déposer qu’un projet majoritaire, elle exige aussi un minimum de financements acquis. Il y a deux autres changements qui concernent l’augmentation de la durée de mise en production des films, allongée à 2 ans comme c’est le cas pour le long ou le documentaire, et la nécessité pour un producteur de fournir plus d’informations et de renseignements sur les droits d’auteurs, sur leurs contrats. Dorénavant, ce sera un des critères de recevabilité. L’idée est bien évidemment de protéger les auteurs et de leur faire prendre conscience qu’ils ont quelque chose à défendre.
Ces changements concernent davantage la production. Qu’en est-il de la promotion et de la diffusion?
Je trouve qu’avec l’ouverture au minoritaire, le fait d’être en coproduction internationale pour un court métrage belge ouvre une part de marché de diffusion énorme. Quant à la promotion, les discussions ne sont pas encore actées.
En tant que membre du jury à Media 10-10, tu as été amenée à voir des films que tu avais vus au début de leur création, à l’état de scénario. Comment reçois-tu leur évolution ? Juges-tu ces films de la même façon ?
C’est très enrichissant pour moi et c’est la raison pour laquelle, même en dehors des festivals où je suis jury, j’essaye de voir le plus souvent les films qu’on a aidés ou pas. Puisque je lis quand même énormément de scénarios. Il y a des films qu’on n’aide pas forcément mais qui se font et je suis toujours curieuse de les voir. Parfois, je retrouve les faiblesses qui étaient à l’écriture alors qu’à d’autres moments, il y a de bonnes surprises. Des projets qui semblaient un peu faibles où les éléments ne transparaissaient pas forcément à l’écrit, se font quand même et je constate que les réalisateurs ont bien fait d’être tenaces et d’aller jusqu’au bout. Mais il est certain que c’est un peu perturbant en tant que jurée de voir les films quand on a lu le scénario et les notes d’intention.
Cela te rend-tu plus exigeante vis-à-vis de ces films ?
Oui, certainement mais pas plus exigeante dans un sens d’excellence. Je pense effectivement que ça modifie mes attentes d’un film. Quand il s’agit d’un film dont je n’ai pas lu le projet, je n’en attends pas forcément quelque chose. Je le vois et je le reçois avec ma sensibilité, mon parcours, ma connaissance et mes goûts. Alors que les films que j’ai vu passer, je ne les regarde pas de la même façon. Mais pour le jury, je vote vraiment en mon âme et conscience.
Par rapport à la programmation dans l’ensemble, qu’as-tu pensé de la sélection ?
Je t’avoue que j’ai trouvé la sélection inégale dans le sens où il y avait quelques très bons films, des incontournables que l’on voit partout et des films moins bons. C’est peut-être dû au fait qu’il y avait énormément de films de fin d’études pour lesquels je trouvais que c’était un peu injuste de se retrouver à concourir aux côtés de films de bien meilleure qualité. Je ne dis pas qu’un film de fin d’études ne peut pas se retrouver en compétition, on en a primé d’ailleurs, mais j’ai parfois eu l’impression qu’il y avait des exercices plus que des films.
Comment perçois-tu l’avenir du court métrage ?
Moi, j’y crois vraiment. Mais je pense qu’il faut davantage de gens qui y croient. Je pense que le court est un espace important et singulier qu’il faut préserver. Et je n’ai pas l’impression qu’en Belgique francophone on ait tout essayé en termes de diffusion. Même s’il y a des initiatives qui existent, je pense qu’il y a des choses qui peuvent être amplifiées. Si on veut que les gens se déplacent et paient pour voir des courts métrages, ce serait bien que le peu de films qu’ils voient avant les longs soient de qualité et pas coupés ou massacrés parce qu’ils sont passés lumières allumées. Ce serait peut-être bien que, dans les écoles, on voie des films de qualité. Je trouve que le court métrage est un très bon outil pour l’éducation à l’image. S’il y avait ce travail là, les gens sauraient ce que c’est qu’un court métrage et ne se demanderaient pas ce que c’est que cet obscur film qu’ils ont vu par hasard.
Propos recueillis par Marie Bergeret